La nuit avec Alice, lorsque Julia rôdait autour de la maison
de Botho Strauss

critiqué par Sahkti, le 12 avril 2006
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Il est temps de se réveiller
"Une vieille et faible Europe détruite par l'Amérique, inutile, épuisée, liquidée, qui se contente de gémir toujours la paix, la paix..."

C'est noir, sombre et dense. C'est un peu effrayant cette réalité humaine complètement déshumanisée. Botho Strauss dépeint le portrait d'un ghetto de luxe dans lequel vivent des comédiens que le temps et le monde ont oublié. Un homme se réveille après avoir passé la nuit avec une inconnue. Au milieu de ses interrogations surgissent d'autres visages, d'autres êtres, qui dissertent sur l'oubli, la fuite de la mémoire et la société qui s'effrondre. Le monde ne tourne pas rond, c'est sinistre.
Se succèdent des êtres bibliques, oniriques, des personnages de légendes antiques ou contemporaines, des êtres de tous les jours, des fantômes et des fantasmes.

Au-delà de cette histoire de personnages qui apprennent à se reconnaître ou à se méconnaître, Strauss lance un avertissement contre la perte de repères et l'oubli, souvent volontaire, de mémoire face à nos racines, nos peuples, nos sociétés et notre culture. On a beau s'inventer tous les moyens de sauvegarde des souvenirs, des images et des mots, l'amnésie n'a jamais été aussi forte. A force d'agir de la sorte, un beau jour (plutôt un laid jour...), nous ne saurons plus qui nous sommes ni d'où nous venons.

Botho Strauss est sombre et pessimiste, il lance un cri d'alarme contre la dérive de notre perception de l'autre et de nous-mêmes. Pas tout le temps aisée d'accès, son écriture se veut violente, à l'image de cette révolte qui gronde en lui. Il tente également de toucher le coeur du lecteur là où ça fait mal, car ces acteurs en mal d'existence, c'est un peu de nous dans chacun d'eux et ça donne à réfléchir.