Le porc épique
de Manuel Rui

critiqué par Sahkti, le 11 avril 2006
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Domestiquer la liberté
Une couverture signée Enki Bilal et une jolie typographie, la lecture débute sous les meilleurs auspices.
L'histoire d'une famille angolaise, confrontée aux longues queues devant les magasins, aux pénuries alimentaires, au poids oppressant d'un régime qui surveille tout, à la dérive des passe-droits et à la perversité d'un système qui asservit l'homme au nom d'une soi-disant liberté.
Diogo, le père, ramène un cochon à la maison, dans l'espoir de l'engraisser et puis de le manger. Il en a marre du poisson-frit. Oui mais voilà, comme on pouvait s'y attendre, les deux mômes s'attachent à la bête, le lavent, le chérissent et le moment du sacrifice, qu'ils tentent comme ils peuvent de reporter, ressemble à une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.

A travers les péripéties d'un cochon et de ses petits protecteurs, c'est un portrait assez cynique de la société angolaise qui est dressé là. Quelques excellents pasages soulignent la détresse d'un peuple victime d'une idéologie qui l'étouffe complètement.

"Tribalisme! Oublie un peu les ismes ma petite, ça ne remplit pas le ventre. Enfait d'ismes, il y a le poisosn-fritisme, le manioquisme et les autres ismes du ventre. Et le tribaliste, c'est celui qui combat les ismes du ventre du peuple, comme ce crétin de Faustino. C'est pour ça qu'on n'avance pas (...) (page 11)

"Papa dit que le bourgeois doit finir par être liquidé. Est-ce que ça veut dire que si on laisse quelqu'un s'embourgeoiser, c'est pour finalement le tuer?" (page 50)

Carnaval de la Victoire (c'est le nom du cochon) représente une importante source de nourriture mais aussi, plus symboliquement, la liberté, le plaisir d'évoluer librement sur un territoire, puisqu'il était cochon sauvage avant d'être domestiqué dans le seul but d'être mangé. Comparaison osée et pertinente entre l'homme asservi au nom de son développement.

L'écriture de Manuel Rui est teintée d'humour et d'ironie; il écrit dans un langage fluide et simple qui rend les situations encore plus proches du lecteur et terriblement réalistes. Une belle découverte que cet auteur!
Cochon de sort ! 7 étoiles

Temps de cochon en Angola où les grandes puissances mondiales manipulent à qui mieux mieux les populations et les tribus pour jouer à un jeu que les pauvres Angolais ne comprennent pas et qui ne les concerne pas vraiment. Comment s’y retrouver entre les factions aux idéologies sibyllines et les rites ancestraux surtout quand il faut penser d’abord à nourrir la famille. Le cochon est une solution séduisante puisqu’il peut engraisser en mangeant des restes et des détritus. Mais quand il faut tuer le cochon, les tracasseries et les aléas se multiplient en un vaste imbroglio digne de l’administration et de la gestion du pays qui partent à-vau l'eau.

Malgré l'état de délabrement politique et économique avancé du pays, Manuel Rui nous maintient juste au dessus de la limite du sordide et du désespérant avec un humour décapant et une franche dérision.

Débézed - Besançon - 76 ans - 4 avril 2008