Suive qui peut
de Dave Eggers

critiqué par Sahkti, le 4 avril 2006
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
Mode d'emploi du don d'argent
Après un récit largement autobiographique ("Une oeuvre déchirante d'un génie renversant"), Dave Eggers se lance dans le roman et propose ce "Suive qui peut" bien prometteur. Seulement, échaudé par le succès de son autobiographie qui a modifié considérablement le regard des autres sur lui, Eggers a souhaité une diffusion plus restreinte pour son roman, ce qui explique sans doute que celui-ci n'ait pas envahi les colonnes des revues littéraires. Ce qui ne l'a pas empêché de recevoir une bonne critique. et il y a de quoi!

C'est l'histoire de Will, Jack et Hand. Trois potes qui deviennent riches suite à un héritage de Will qui a le sens du partage. Ils pourraient être heureux. Mais la mort vient brutalement faucher Jack à l'âge de 27 ans. L'argent n'a rien pu faire pour éviter ça, alors les deux survivants qui en ont gros sur la patate décident de faire un tour du monde de la générosité, de claquer tout leur argent en aidant les autres et en distribuant les billets. Voeu pieu. Dans la tête seulement, parce que dans les faits, c'est plus compliqué qu'ils ne le pensaient.
Outre les questions pratiques de billets d'avion, réservations d'hôtel, horaires et tutti quanti, se posent d'épineuses questions sur le choix des démunis, la manière de procéder, combien, à qui et comment. Et puis, très vite, arrive le constat que posséder autant d'argent et pouvoir faire la pluie et le beau temps dans la vie d'un démuni, ça donne une parcelle de pouvoir non-négligeable. et la puissance, c'est dérangeant quand on ne désire que faire dans la générosité.

C'est drôle. Drôle, cruel et tragique. Eggers traque l'absurdité au sein du mécanisme de la charité. Pas comme dans ces enquêtes sur la charity business, mais ici via un portrait touchant de deux hommes complètement paumés depuis la mort de leur ami et dont l'argent leur brûle les doigts. C'est assez caustique cette manière de montrer qu'il ne suffit pas de vouloir faire le bien pour y arriver. Et en même temps, le message est là, l'auteur ne dissuade pas de se lancer dans le mécénat quelconque. Son texte va au-delà, il nous parle de ces souffrances qu'aucune fortune ne parviendra jamais à apaiser. Un roman que j'ai apprécié pour son côté humain et désabusé, teinté d'humour et de beaucoup de tendresse.