La marquise d'O... et autres nouvelles
de Heinrich von Kleist

critiqué par Joachim, le 3 avril 2006
( - 44 ans)


La note:  étoiles
Génie du drame
Plus connu pour son œuvre théâtrale, notamment le Prince de Hombourg, on connaît le destin de Kleist, qui écrivit ce recueil de nouvelles en 1805.

Courts récits pris dans les conflits de l'époque, dont les personnages subissent les outrages d'envahisseurs, la haine de révoltés, la folie de la foule. Les situations inattendues sont parfois décousues et à la limite de la crédibilité, elles tiennent debout grâce au génie dramatique et aux atmosphères cruelles dont Kleist est un des plus grands maîtres, atmosphères lourdes traversées par une onde malsaine - l'invasion ennemie, le sillonnement de Saint-Domingue par des rebelles sanguinaires, les secousses telluriques chiliennes, la peste qui infeste Rome.

De la citadelle italienne à la cathédrale andine, des plantations antillaises à la Piazza del Popolo, c'est le pittoresque des Fantaisies d'Hoffmann saigné à blanc par des cascades de victimes et un récit énergique, que sert parfaitement la traduction d'Armel Guerne (éditions Phébus).

Tiraillé entre l'exaltation de la pureté spirituelle de l'amour et la peinture d'une perversité qui sape l'innocence des femmes, le ton de Kleist ne cesse de progresser jusqu'à la dernière nouvelle, "l'Enfant trouvé", au dénouement tragique exemplaire. Vengeance juste, condamnation injuste font naître chez la victime des appels au démon et une soif de damnation poignante. Drame où les coupable tend les mains pour supplier au nom de tous les saints un père adoptif affable spolié et humilié par celui qu'il avait sauvé :

"Et le troisième jour, quand de nouveau il lui fallut redescendre l'échelle sans avoir été pendu au gibet, il leva les mains au-dessus de sa tête avec une expression de fureur féroce, maudissant la loi monstrueuse qui ne voulait pas le laisser descendre en enfer. Il invoqua toutes les milices diaboliques pour qu'elles viennent le prendre, protestant et jurant que son seul désir était d'être exécuté et damné, et il affirma vouloir bien encore étrangler un quelconque bon prêtre, afin de mettre à nouveau la main sur Nicolo dans l'enfer !"