Le Chevalier, la Dame, le Diable et la mort de Raoul Vaneigem

Le Chevalier, la Dame, le Diable et la mort de Raoul Vaneigem

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Gobu, le 28 mars 2006 (Messancy (Arlon), Inscrit le 30 mars 2005, 69 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 101ème position).
Visites : 4 982  (depuis Novembre 2007)

Désire tout, n'attends rien

Dans cet essai publié en 2003, l’ auteur du célèbre « Manuel de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations » dont on connaît l’influence – souterraine mais omniprésente, qu’il a eu sur les idées de Mai 68 – présente en quelque sorte le bilan d’une vie entière consacrée à la lutte contre l’idéologie marchande et ses surgeons délétères : aliénation économique, sociale et culturelle de l’individu, injustice érigée en système, folie guerrière et répressive, destruction systématique des ressources de la planète et surtout éradication des pulsions vitales au nom d’une logique du profit mortifère.

« Désire tout, n’attends rien ». Dès les premières lignes de son texte, Vaneigem donne le ton : ce qui libérera l’Homme, ce ne sera ni un Sauveur Suprême – qu’il siège dans les cieux ou sur un trône terrestre – ni une quelconque idéologie révolutionnaire prônant la terreur pour le présent au nom de lendemains qui chantent (il fait d’ailleurs justice au passage de l’Internationale Situationniste dont il fut l’un des leaders), mais cette force que chacun de nous possède au plus profond de soi et qui s’appelle tout simplement la vie, la vie mutilée, la vie réprimée, la vie piétinée par le talon de fer des contingence économiques et du terrifiant carcan social dans lequel elles l’enserrent, mais qui n’en finit pas de renaître, se révolter et faire craqueler de ses pousses impétueuses les murailles branlantes d’un vieux monde qui n’en finit pas de mourir.

Résolument placé sous le signe d’une réalité fantastique – et poétique – illustrée tour à tour par Dürer, Grünewald et Altdorfer condensant l’humaine condition dans le quatuor mythique formé par la Chevalier, la Dame, le Diable et la Mort, ce vibrant plaidoyer pour la vie et le bonheur débusque les ténèbres jusqu’aux tréfonds de nos âmes, dans lesquelles l’ordre dominant entend les maintenir pour mieux les asservir à ses fins mercantiles. Dans un monde où, au rebours de l’adage créé à l’usage des imbéciles, seul le crime paye, nous devenons tous notre propre épouvante, et au finale ne sommes jamais vaincus que par nous-mêmes. C’est de cette peur, savamment entretenue dès l’enfance par l’ensemble des institutions qui contribuent à la survie d’un monde pourrissant, famille, école, entreprise, Pouvoir et même la science médicale dévoyée de son objet premier par la marchandisation globalisée, que Vaneigem appelle à se libérer pour s’ouvrir aux flux impétueux et au fond invincible de la vie réelle.

Pour mettre en échec les manœuvres destructrices du Diable et de la Mort « compagnons ordinaires d’une route que l’on ne choisit pas », le Chevalier ne dispose que d’un seul allié, sa Dame, et que d’une seule arme, mais invincible : l’Amour. Mais celui-ci est protéiforme, et englobe aussi bien notre animalité intrinsèque – à la fois niée et encouragée par la Société – que notre humaine capacité à la dépasser par la Raison pour mieux en retrouver les sources vivifiantes. Ce qu’il faut vaincre avant tout, en nous-même d’abord, c’est l’Ophykos, le serpent malicieux, le diabolis negationis, qui se love au fond de nos âmes pour corrompre de sa négativité rampante les forces vitales qui bouillonnent en chacun de nous et transmutent en vil plomb – au moyen d’une atroce alchimie inversée - l’or pur de nos désirs : la peur est un désir inversé.

Qu’on ne s’y trompe pas : ce livre foisonnant, d’une lecture parfois ardue, irrigué d’une passion inextinguible pour la vie et ses merveilles – la Beauté, la Joie, l’Amitié, la Poésie, les plaisirs partagés de la table et de l’ivresse, la communion avec la vie animale et les éléments fondamentaux – constitue, plus de quarante ans après son traité de Savoir-vivre, un nouveau manifeste en faveur d’une révolution qui ne soit plus le cache-sexe d’une nouvelle oppression d’autant plus pernicieuse qu’elle prétendrait s’exercer au nom même de ceux qui la subissent, mais un vibrant appel au réveil de ces forces bénéfiques que chacun de nous possède au plus profond de soi. « Ouvre-moi à la grande puissance de vie et que la grande puissance de vie s’ouvre en moi » telle est la seule prière que Raoul Vaneigem, dans le secret de son âme, consente à psalmodier, étant entendu qu’il ne l’adresse à nul Dieu, ni César ni Tribun, mais aux puissances invincibles qui dorment en nous et ne demandent qu’à sortir du sommeil. Au fond, plus encore qu’à une révolution, c’est à une véritable et cette fois-ci définitive Renaissance qu’il nous appelle à œuvrer. Puissions-nous l'entendre...

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Les éditions

  • Le chevalier, la dame, le diable et la mort [Texte imprimé] Raoul Vaneigem
    de Vaneigem, Raoul
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070315475 ; 8,60 € ; 29/09/2005 ; 277 p. ; Poche
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"Y a plus qu'à"

8 étoiles

Critique de Donatien (vilvorde, Inscrit le 14 août 2004, 81 ans) - 24 septembre 2009

C'est un livre important! C'est le livre d'un libertaire qui depuis 1967, exhorte au refus de la société marchande.

C'est aussi le livre d'un guerrier vieillissant qui n'a rien perdu de sa combativité même s'il admet faire partie des derniers survivants de la cause.

Raoul Vaneigem fait retour sur ses années situationnistes, son compagnonnage avec Guy Debord, sa lutte pour le respect de ses convictions. "Je n'ai jamais écrit que pour me recentrer".

Ses modèles sont Rabelais, Villon, Rimbaud, Lucrèce, Dante, Nietzsche, Kafka, etc.. "La racine de l'homme est dans l'animalité qui s'affine et s'humanise au feu de sa conscience"

"Façonner les circonstances afin que le désir y habite ou du moins s'y applique, réclame une patience et une opiniâtreté d'alchimiste..... en tirer un usage immédiat dans la conduite de sa vie quotidienne"..
Quel beau mais difficile projet!

J'admire son opiniâtreté. Il a tenté de vivre ses idées. Il ne nie pas les concessions, les défaites, les insuccès.
Je suis touché par ce témoignage comme par ceux des "résistants" d'Antoine Volodine, des partisans de Michel Onfray, des lutteurs de Marcel Moreau, des équipiers de Patrick Declercq, des copains d'Henry Miller, des amis de Georges Picard et de tous ceux qui restent à découvrir!

Ils ne sont pas seuls!

A lire et à méditer!

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