Tokyo électrique
de Fujino Chiya, Shiina Makoto, Hayashi Mariko, Morita Ryuji, Muramatsu Tomomi

critiqué par Catinus, le 19 mars 2006
(Liège - 72 ans)


La note:  étoiles
Le courant nippon passe très bien
Avec ces cinq merveilleuses nouvelles, nous voici plongés dans le coeur de Tokyo. Une ville étrange, presque mythique, en perpétuelle évolution mais également bien ancrée dans son passé et ses coutumes ( locales )
Cette jeune femme discrète et tellement séduisante serait-elle disparue ? On prétend qu'elle se cache de la justice ...
Et cette autre, quasi pré-adolescente, qui sort en ville avec des étudiants limitos. Savez-vous qu'il s'agit d'une prostituée philippine ...
Eriko et Yôichirô, eux, ont signé un contrat d'un an pour être les meilleurs amants ... Le temps que la fiancée de Yôchirô revienne des Usa. Pourquoi pas ? ...
Et ce salary-man qui retrouve son habitation détruite par le feu, que va-t-il devenir ? Si la nouvelle s'intitule " La Tente jaune sur le Toit ", peut-être que cela éclairera votre lanterne japonaise ...
Natsumi et sa fille Mika, elles, cherchent par tous les moyens à s'introduire dans les commissariats de police. Faut vraiment être tokyoïte pour choper des idées pareilles ...

S'il existe, dans une certaine bande dessinée belge, ce que l'on nomme " la ligne claire ", il en va de même pour de nombreux écrivains japonais : pas de fioritures inutiles, ni de discours alambiqués, des descriptions aussi lourdes qu'inutiles. Vite à l'essentiel, juste le temps de vivre, c'est tout.
Et c'est terriblement efficace !!!
Soyons sérieux et parlons du Japon... 9 étoiles

Quand il voulait éviter de parler des emballements fugaces du jour, des engagements vers un grand soir qui n’est pas encore venu (viendra-t-il un jour ?), quand il voulait signifier la prétention à trouver des solutions à tout et moraliser le comportement de ses congénères, tous aussi pitoyables primates les uns que les autres, Roger Nimier disait « et maintenant, soyons sérieux et parlons du Japon ».

L’esprit de sérieux, tout comme la gravité, la fausse gravité, est le bonheur des imbéciles sentencieux. Ils aiment les grandes phrases pontifiantes et sont comme les marins pour Michel Audiard.

Parlons donc du Japon, et de la littérature japonaise en particulier, très loin de se réduire aux stéréotypes en usage : aux mangas, aux histoires de yakusas, ou de karatéka ou de samouraïs ou aux « non-lieux » de « Lost in Translation » qui avait déjà l’avantage de montrer une chose, on ne connaît rien du Japon, ou encore aux monstres en latex qui écrasent des maquettes filmées en grand angle. On a sur ce pays que des idées préconçues et arrêtées qui ne reflète pas la réalité.

Les films de Takeshi Kitano, qui est dans son pays un mélange improbable entre un clown médiatique plutôt lourd et grossier et un auteur d’une grande élégance de livres, comme « la vie en gris et rose » ou « Asakusa Kid » et de films extrêmement intelligents qu’il parle de gangsters gagnés par le désespoir et de l’été fantaisiste de petits garçons ingrats.

Cinq moment quotidiens et remarquables...

Il est pourtant tentant de se perdre dans cette réalité différente, pas si différente de la nôtre cependant, la nature humaine y étant tout autant méprisable et remarquable qu’ailleurs.

Les cinq nouvelles du recueil « Tokyo électrique », de Muramatsu Tomomi, Morita Ryûji, Hayashi Mariko, Shiina Makoto et Fujino Chiya permettent d’en découvrir de nombreuses facettes et de rentrer dans des histoires écrites avec beaucoup de finesse qui partent toujours de faits sans importance, apparemment, des tranches de vie du quotidien de la mégalopole. Cependant l’écriture et le talent des cinq auteurs les subliment et en font des instants de grande poésie ou triviaux, des instants symboliques qui montrent les ravages de la modernité, de la solitude des « salary men », du désert des sentiments dans une société dont l’idéal se résume à la satisfaction des désirs et quatre volontés des marchés économiques.

Il n’y est nulle part question du bouddhisme du grand ou du petit véhicule, on n'y aborde aucun sujet politique.

Dans la première histoire, des hommes mûrs se remémorent au son du jazz de Thad Jones d’une femme fatale dont ils étaient tous amoureux, et qui un jour disparut sans laisser rien d’autres que des souvenirs nostalgiques, qu’ils comparent à la flamme d’une allumette, fragile et flamboyante, dont la clarté dure très peu de temps.

On y découvre Tokyo la nuit, une ville qui ne cesse jamais de vivre. Les néons l’illuminent, et les écrans géants y déversent dans ses rues un flot incessant de spots de publicité et d’informations tonitruants. A regarder de loin, on n’y voit aucun être humain. A y regarder de plus près c’est tout une humanité hétéroclite qui y grouille, y vit, y travaille, qui aime et rêve malgré tout.

Dans la deuxième, des marginaux drogués, des mauvais garçons lamentables, violents, enfantins et malhonnêtes tentent de protéger une jeune fille de treize ans, prostituée venue des Philippines, violentée quotidiennement dans un des dancings de Shinjuku. Ils risquent jusqu’à leur propre survie pour elle, le plus yen de leurs économies, acceptant le moindre petit boulot dans les restaurants de bols de pâtes de leur quartier.

Un temps ils y trouveront une rédemption, mais le réel se rappellera à eux tragiquement.

La troisième raconte l’amour d’une jeune femme pour un garçon timide et emprunté qui s’invente une fiancée imaginaire pour ne pas s’engager trop avant car ils ne sont pas du même milieu, la jeune fille étant d’un quartier populaire. Elle finit par découvrir que son amant ne veut pas se fiancer avec elle car ses parents lui interdisent ce qu’ils considèrent comme une mésalliance.

J’aime beaucoup l’avant-dernière nouvelle qui raconte l’histoire d’un jeune « salary man » qui ne trouve comme seule et unique solution pour se loger, après l’incendie de son ancien appartement, que de planter une tente toute jaune au sommet du building géant de la société qui l’emploie.

Il y prend goût rapidement, se débrouillant rapidement pour avoir de l’eau et de l’électricité, ayant une vue unique sur la baie de Tokyo et les étoiles rien que pour lui.

Il tremble de plus en plus qu’on le surprenne sur son refuge haut perché, comme le baron d’Italo Calvino, appréciant tout comme lui cette existence en marge qui lui redonne sa liberté : un couple d’amoureux illégitimes, le concierge de l’immeuble qui a vu la tente mais n’a rien dit, un chef de bureau qui vient prier, une employée qui cache sur le toit un tout petit chien que le campeur urbain finit par adopter.

Dans la dernière nouvelle, qui ressemble beaucoup au manga « mes voisins les Yamada », une ménagère trompe son ennui en racontant ses petites misères au policier compatissant du commissariat de son quartier, les railleries des écoliers, des gamines insolentes en uniformes et socquettes blanches, les « otakus » qui mettent le volume de leur console de jeux vidéos trop fort, les vieux qui vident leurs poubelles un peu partout.

Ces histoires sont à déguster en prenant son temps, il faut y chercher les saveurs sans impatience et non les gober en deux ou trois bouchées comme un sushi.

AmauryWatremez - Evreux - 54 ans - 10 novembre 2011


Planète Edo 8 étoiles

Tokyo Electrique est le fruit d'une commande d'un éditeur français pour nous ouvrir à nous, chers lecteurs occidentaux, aux joies de la littérature japonaise contemporaine.
Attiré par ce pays si particulier je dois dire que j'ai été particulièrement sensible à cette approche.
Bon venons en aux faits, ce recueil est donc composé de 5 nouvelles qui m'ont semblé de valeurs inégales. Je pense qu'il est important de préciser à d'éventuels intéressés qu'il ne faut surtout pas juger ce "Tokyo électrique" sur sa première nouvelle qui est de loin la plus "plate" et inintéressante dans laquelle on assiste à une conversation entre 5 habitants du quartier de Fukagawa, je n'en dirai pas plus.
"Les fruits de Shinjuku", seconde étape de notre traversée tokyoïte, est d'un tout autre calibre. Morita Ryuji, l'auteur en question, y fait preuve d'un réel talent, son écriture est brute, dans un style sans fioritures, on est littéralement happé par ce récit, histoire d'une drôle de journée vécue par deux jeunes étudiants un peu paumés au côté d'une jeune prostituée philippine aux charmes indiscutables. La fin nous laisse clairement regretter l'inexistence d'une suite et cela est bien dommage.
"Amant pour un an" vaut pour son évocation d'une relation amoureuse assez particulière vécue par une non tokyoïte et sa vision sur la société japonaise. Cette nouvelle sera suivie d'un très bon "la tente jaune sur le toit", récit atypique d'un salaryman ayant perdu son logement suite à un incendie et qui va s'installer en attendant sur le toit de son entreprise. Ce court récit est vraiment, comment dire, original, il s'y dégage un certain charme qui fait toute la différence.
La dernière nouvelle, "une ménagère au poste de Police", relate l'intérêt tout particulier d'une jeune mère pour les postes de Police, original là encore même si le récit ne décolle jamais, dommage.
Bref "Tokyo électrique" est un recueil de nouvelles plus ou moins inégales, mais a le mérite de nous ouvrir à de nouveaux auteurs venus d'horizons lointains et vaut la peine d'être découvert. De plus la présence d'une carte simpliste de Tokyo nous aiguille parfois durant notre lecture, renforçant l'immersion dans le récit: bonne idée.
Sans "les fruits de Shinjuku, ma notation aurait été surement de 3 étoiles, mais ce récit m'a tellement plu que j'accorderai un bon 4 étoiles.

Sundernono - Nice - 40 ans - 14 juin 2011