Un juif pour l'islam
de Florence Heymann

critiqué par FROISSART, le 23 février 2006
(St Paul - 76 ans)


La note:  étoiles
La lecture de Patryck Froissart
Titre : Un Juif pour l’Islam
Auteur : Florence Heymann
Editeur : Stock – 2005
ISBN : 223405740X

Certains destins sont si singuliers qu’ils dépassent tout ce que peut imaginer le romancier. Celui de Léopold Weiss est de ceux-là.
Léopold Weiss est né autrichien, dans une famille juive en voie d’assimilation mais aux traditions encore bien vivaces.
Très jeune, il part, tel un héros balzacien, à la conquête des capitales européennes et du monde des lettres et du journalisme.
A Berlin, il découvre l’orientalisme en vogue après la première guerre mondiale, fréquente des milieux favorables à l’orient musulman, et se sent par ailleurs peu concerné par la culture de consommation qui s’installe dans les pays occidentaux.
Un voyage à Jérusalem accroît son attirance pour les Arabes, en général, pour les Bédouins, en particulier, dont il admire le système de vie et de pensée, qu’il voit comme étant en adéquation harmonieuse avec le système religieux du Coran.

Sa réputation de journaliste croît peu à peu, grâce à la publication régulière, dans la Frankfurter Zeitung, de ses points de vue originaux sur le sionisme, l’Islam, l’appropriation progressive de la Palestine par des immigrants juifs, la culture arabo-musulmane.

Puis c’est l’illumination :
« Un jour, alors qu’il observait un Bédouin de haute taille qui se tenait immobile et semblait sortir tout droit d’un récit légendaire, il eut une vision : il m’apparut soudain, avec une de ces clartés qui éclatent parfois au-dedans de nous-mêmes et semblent illuminer le monde pendant le temps d’un battement de cœur, que David et le temps de David,comme Abraham et le temps d’Abraham, étaient plus proches de leurs racines arabes –comme le sont les Bédouins d’aujourd’hui- que les Juifs d’aujourd’hui qui se prétendent leurs descendants… »

Quelques années plus tard il se convertit à l’Islam, sous le nom de Muhammad Assad, et il effectuera plusieurs hadj à La Mecque.
Sa vie est marquée par les voyages, les déménagements, les exils, les engagements, l’enthousiasme, les désillusions
Asad devient un temps l’ami et le conseiller du roi Ibn Seoud d’Arabie.
Il est plus tard interné au Pakistan pendant la 2ème guerre mondiale, comme Autrichien, donc supposé ennemi des Anglais, dans un camp pour Juifs où il est le seul musulman.
Plus tard, considéré comme ultra-religieux (certains de ses écrits sont repris par les fondamentalistes musulmans, et particulièrement par les Khiwans égyptiens) il occupe des fonctions importantes au gouvernement du jeune Pakistan, avant d’être nommé Ministre plénipotentiaire du Pakistan à l’ONU.
Parlant allemand, anglais, français, arabe, ourdou, entre autres, marié plusieurs fois, à des occidentales converties et à des musulmanes, Asad, devenu célèbre, est partout le mal aimé : dans la communauté juive, où il est considéré comme renégat et anti-sioniste, chez les musulmans, où ses thèses et ses prises de positions sont tantôt admirées tantôt honnies, et où il reste l’ex-juif, chez les occidentaux où il est suspecté d’être un agent secret du communisme…
Une vie comme un roman. Toutefois ce livre n’est pas un roman. C’est le travail très documenté, d’une historienne, anthropologue, qu’a séduite ce destin hors pair, et qui a su produire, parce qu’elle était passionnée par le sujet, un texte vraiment passionnant, qui peut nous aider à relativiser notre propre réflexion sur les prétendues oppositions, barrières, inévitables confrontations entre les grandes religions.
Léopold Weiss – Muhammad Assad est de ceux qui abattent résolument les barricades. Certes nombre de ses thèses sont critiquables, mais est admirable sa capacité à se remettre continuellement en question.

Patryck Froissart, le 23 février 2006