Sueurs de sang
de Abhimanyu Unnuth

critiqué par FROISSART, le 20 février 2006
(St Paul - 76 ans)


La note:  étoiles
La lecture de Patryck Froissart
Titre : Sueurs de sang
Auteur : Abhimanyu Unnuth
Traduit du hindi en français par Kessen Budhoo et Isabelle Jarry
Titre original : Lal Passina
Préface de J.M.G. Le Clézio
Editeur : Stock (2001)
Collection : La Cosmopolite

Abhimanyu Unnuth est un écrivain indien né à Maurice, auteur de plus de trente romans. Sueurs de sang est le seul qui ait été traduit en français.
L’histoire se situe à Maurice au 19e siècle, au moment de l’abolition de l’esclavage. Les esclaves d’origine africaine et malgache désertent en masse les propriétés agricoles. Les colons français de Maurice ont besoin de main d’œuvre. C’est alors que se met en place l’engagisme, et que des dizaines de milliers d’Indiens, trompés par les fausses promesses des rabatteurs, troquent la vie misérable qu’ils mènent en Inde contre le sort, encore plus épouvantable, qui les attend une fois débarqués sur la terre promise.
Le roman décrit la violence quotidienne des engagés sur les plantations, les coups incessants, les viols des jeunes femmes par les patrons, la faim, les humiliations, la torture, la prison, les injustices, la privation totale du moindre droit. Les colons et leurs contremaîtres ont pouvoir de vie, de mort, de cuissage. Les cérémonies religieuses du pays d’origine sont interdites, tout comme l’enseignement de la lecture et de l’écriture des langues maternelles, les chants, la circulation hors du domaine… Les mariages ne peuvent se faire que sur décision du maître. La vie des chiens des blancs est infiniment plus douce que celle de ces ouvriers corvéables à merci. Et, bien sûr, le contrat de départ, qui prévoyait un retour possible au pays, devient caduc dès que le bateau quitte les côtes de l’Inde.
Et pourtant, les damnés de la terre vont peu à peu redresser leur front, leur échine, couverts de sueurs de sang. Kundan, Kissan, puis le fils de ce dernier, Madan, osent se rebeller, regarder le blanc dans les yeux, et organiser la résistance.
Leur héroïsme finit par venir à bout de la résignation des uns, de la lâcheté des autres. La lutte est longue, difficile, ponctuée de morts violentes. Les éléments eux-mêmes semblent être du côté des oppresseurs, les cyclones dévastant les petits champs de légumes dont les laboureurs, au prix de nombreuses vies, ont réussi à devenir propriétaires. Les épidémies déciment les villages. La souffrance et la mort sont omniprésentes.
Mais l’amour est là, lui aussi. La misère absolue n’empêche pas les passions de naître, bien que tout le système soit organisé pour qu’on n’ait pas le temps, le loisir, ni la force d’aimer, de penser à autre chose qu’à se protéger des coups de fouet, ou à ce qu’on va manger le lendemain.
Les organisateurs des camps de concentration nazis, hélas, n’ont pas eu grand-chose à inventer en l’art de dégrader l’homme, ne serait-ce que le fait de considérer l’individu comme un numéro : les engagés portent au cou leur plaque minéralogique…
L’île Maurice, paradis des touristes ? Qu’ils lisent ce roman, au moins, avant de se prélasser sur nos belles plages. Fasse ce livre qu’ils sentent, dans le sable, sous leur dos bronzé, la trace, encore vivace, des sueurs de sang !

Patryck Froissart, le 5 janvier 2006