La réclusion solitaire
de Tahar Ben Jelloun

critiqué par FROISSART, le 20 février 2006
(St Paul - 76 ans)


La note:  étoiles
La lecture de Patryck Froissart
Titre : La réclusion solitaire
Auteur : Tahar Ben Jelloun
Editeur : Denoël (1976 – Paris)


Ce petit roman est un long cri de souffrance, un délire poétique d’une douloureuse intensité, d’une trouble profondeur, où se diluent les événements, où se dissolvent les repères narratifs.

Le narrateur, qui s’exprime à la première personne, est un immigré marocain dans la France des années soixante-dix. Ces premières charretées de travailleurs venus tout droit de zones rurales misérables du Maroc où ils étaient recrutés par camions entiers vécurent solitaires, dans la chambre triste d’un hôtel minable ou d’un foyer d’immigrés, envoyant un maximum de mandats à la famille restée au pays.

Le lecteur peut entrevoir des bribes d’histoire, deviner des amours, imaginer un crime, se faire, en quelque sorte, son cinéma.
Le récit est cassé, comme est brisé l’homme qui parle.
La chambre est la malle où se recroqueville, étant lui-même son seul bagage, pour ses voyages intérieurs.
Dans la malle est l’image, l’image du poète, l’amour du poète, sa compagne la plus exigeante et la plus soumise. L’homme est dans la malle avec l’image, il voyage dans la malle immobile, mais il la porte en lui, dans la violence de sa vie quotidienne, dans ses rêves nostalgiques, dans ses rencontres furtives, ses histoires brèves, à peine ébauchées, ses liaisons vagues, comme celle qu’il vit sur quelques pages avec Gazelle, la Libanaise déchirée par la guerre.

Le texte coule à gros bouillons, comme l’eau de l’orage dans l’oued, heurté, dense, précipité, charriant des pierres coupantes, grondantes, violentes.

Tahar Ben Jelloun raconte de l’intérieur une réalité qu’ont vécue, sans se plaindre, ces déracinés, qui ont construit la France, qui ne les en a jamais remerciés, et qui n’auront eu comme salutations distinguées que les éructations lepénistes…
C’est cela, l’Histoire. Merci, Monsieur Ben Jelloun, pour ce témoignage qui vient des tripes, et qui prend aux tripes.

Patryck Froissart, le 12 février 2006
Immigrant, hymne grand 10 étoiles

Elle court, elle court, la parole, écorchée, pleine d'images convoquées pour tenir face à la situation douloureuse, à la condition inconsidérée, à un quotidien en toc. Le migrant endolori, qui a plus que le mal du pays, le mal des pays, qui ne tient à un fil que par la référence à une terre frénétiquement appelée, imaginée. Qui est en mal de sève, en mal de rêves. A vif, intolérablement beau. Lu comme un poème en prose qui ose tout.

Lobe - Vaud - 29 ans - 10 août 2015