Le théorème de Roitelet
de Frédéric Cathala

critiqué par Bidoulet, le 17 février 2006
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Statistiques et Grande Guerre
En 1917, chef du bureau des calculs, le colonel Roitelet anime une petite équipe d 'hurluberlus mathématiciens dont le travail consiste à analyser et à synthétiser les données statistiques récoltées sur le front par les services de renseignement pour en déduire la formule magique qui donnera définitivement l'avantage stratégique aux Français sur leur adversaire allemand. Tout est bon, tout y passe : la taille des obus, la fréquence des bombardements, les pertes humaines, les diverses commandes de matériels, … Prévert en serait resté baba.
Mais l'ingénieux matheux est manipulé par le commandant Saint-Arnaud, le chef des services de renseignement, qui s'arrange pour que les chiffres qu'il fournit ne contredisent pas les prédictions de son propre service. Son objectif consiste à combattre le plan suicidaire mis en place par le général Nivelle pour la grande bataille du Chemin des Dames.
Tout ça paraît bien difficile à restituer mais il ne faut pas s'y arrêter. Ce premier roman de Frédéric Cathala paru en 2004 n'a rien d'un ouvrage scientifique abscons et le commun des mortels n'attrapera pas mal à la tête en parcourant les tribulations logarithmiques de ces savants fous de l'équation.
L'auteur s'est entouré de personnages pittoresques pour décrire la boucherie verdunoise des deux côtés de la Ligne Siegfried : une poignée de soldats corses qui maîtrisent à peine le Français et s'évertuent à se faire oublier de la cruelle hiérarchie au fond d'une tranchée boueuse, un mystérieux artiste de cabaret qui anime les soirées troufionnes boches et s'avère être un astucieux agent double doué d'une mémoire implacable pour communiquer aux Français les positions allemandes, une Mata-Hari complice et amante du précédent qui sait utiliser tous ses charmes pour amadouer l'ennemi devenu ami, une diseuse de bonne aventure grecque, une ribambelle de prostituées pour réchauffer le corps brisé des combattants émérites, une femme fatale qui court après le salut d'un mariage avec un bon parti militaire, un secrétaire d'état en charge des approvisionnements militaires bien placé pour faire fleurir les intérêts familiaux…
Frédéric Cathala nous livre quelques secrets de la magie du codage - vrais ou faux, peu importe le lecteur n'étant certainement pas compétent pour le juger - et nous entraîne sur le front sentir le souffle des obus, l'odeur des gaz et du sang, le désespoir de la chair à canon et ses impitoyables commandants, la saleté des bordels de campagne et les maladies vénériennes qui vont avec.