Blind Date : Sexe et philosophie de Anne Dufourmantelle

Blind Date : Sexe et philosophie de Anne Dufourmantelle

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Mae West, le 28 janvier 2006 (Grenoble, Inscrite le 26 décembre 2004, 73 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (39 864ème position).
Visites : 5 530  (depuis Novembre 2007)

Nostalgie optimiste

« Blind Date : se dit d'un rendez-vous à l'aveugle entre deux êtres susceptibles de s'aimer, organisé par un autre qui les connaît tous les deux et ne sera pas là »

Le titre insolite est un rideau fermé, il dévoilera au fur et à mesure de son ouverture la mise en scène d' une pensée lumineuse : car sous l'austère habit de l'essayiste se tient un authentique écrivain, maniant le style comme un outil de précision, faisant sortir à petits coups incisifs et répétés le sujet de sa gangue . Laissez vous emporter dans le courant impétueux d'une lecture-plaisir, voire lecture-jouissance, qui, comme un nocturne de Chopin vous laissera au coeur une exquise souffrance teintée de nostalgie optimiste .

« la philosophie ...commence avec l'étonnement (Aristote) (...)s'écrit dans toutes les langues mais ne se penserait qu'en une seule, s'éteint tout doucement/ Le sexe ...finit quans il faut s'expliquer (...) est là partout, tout le temps, manque partout, tout le temps »
De rendez-vous manqué en rendez-vous manqué, sur fond d'absence, se détache comme d'un tableau pointilliste, en gestalt, ce qui pourrait réunir le sexe et la philosophie : un langage du désir,.basé sur l’absence.

Mais n'allons pas trop vite, même si l'écriture singulière d'A.Dufourmantelle, impérieuse, cursive, traçante et mouvante comme le pinceau d'un artiste japonais, nous emmène, haletants, dans une chasse impitoyable, à la recherche du plus profond de nous-mêmes, là où nous trouvons « cette solitude essentielle et incompréhensible, qui vous laisse là béant devant la nuit sans fond de l'humain ». Là où réside la « fracture », d'où nous vient la faim, le désir, le besoin d'amour, et qui remonte à « plus loin que la mère »", qui remonterait au souvenir de la conception même, à la fusion dans l'oeuf pendant l'acte sexuel, en quelque sorte : « Le fait invraisemblable d'être né et d'être seul, d'avoir été deux et de n'être plus qu'un, tout le mouvement du désir, quel qu'il soit, ne trahit que cela, cette coupure mal faite, oubliée, refoulée(..) qui nous fait inventer d'autres figures pour masquer ce vide béant de l'Autre disparu » . Aussi A Dufourmantelle insiste sur l'affirmation (non manichéenne mais cependant contestable d’un point de vue pragmatique) que même dans les pires conditions,« le sexe est amour »: partant, la Pensée, qui se construit elle aussi sur « la coupure mal faite », est amour : « Amour porté à la vérité, Amour de la connaissance juste, amour du vrai en tant qu'il vient révéler, justifier, réaliser » .

Si la philosophie est « un combat [...] une veille contre l'oubli « , le sexe, lui, est " l' oubli même, une puissance d'oubli magnifique, essentielle " . Où l'on réapprend que sexe et philosophie participent d'une même dynamique, eros contre thanatos : "Voilà où s'accordent la philosophie et le sexe, aux rives du naître et du mourir, de l'attente et de l'oubli, de la patience et de la rage . Dans cette faim que la philosophie distrait vers l'idéal, cette faim nourrie du désir d'un corps étranger à soi et pourtant ressemblant, dans cette faim il y a le temps . C'est une veillée d'armes » : Car quand on a fait la double soustraction, ou si l'on veut, l'addition négative des deux absents du rendez vous à l'aveugle, sexe et philosophie, que reste-t-il ? « le rendez vous fut pris dit-on, il y a trois mille ans. Officiellement du moins. Fut toujours reporté depuis »

Il reste le temps :le temps nécessaire à l'arrivée de « l'évènement inespéré » Le temps de (ré)inventer La Langue Philosophique Une :« Désirer, penser, aimer ça ne fera pas un monde commun, mais une langue, oui, peut-être, pour être dans cette faim, cet étonnement, cet amour » .


Blind Date, de Anne Dufourmantelle* serait-il Le Texte qui peut, qui
pourrait, "sauver le monde" ? et ceci simplement en nous montrant à travers le rendez-vous manqué de la philosophie et du sexe, l'urgence qu'il y aurait à réhabiliter l'une et l'autre au coeur de leur motivation profonde ?

J'ai dévoré avec appétit et plaisir cet essai savoureux et singulièrement tonique



* Philosophe et psychanalyste, A Dufourmantelle enseigne la philosophie à l'école d'architecture UP6 La Villette . auteur également de "la Vocation prophétique de la philosophie", "la sauvagerie maternelle" et "une question d'enfant"

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Le sexe est-il philosophique ?

6 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 21 août 2006

Délaissons les quatrièmes de couverture souvent pris à tort pour de bons résumés ou de parfaits reflets d'un contenu de livre et plongeons-nous plus en profondeur dans le texte de l'auteur.

La philosophie s’intéresse-t-elle beaucoup au sexe ? On ne peut pas vraiment le dire. Si désir et amour font partie des grands thèmes fréquemment abordés, la sexualité serait plutôt considérée comme objet de méfiance. Pourquoi cela ? Peut-être parce que prônant l’amour de la sagesse, la philosophie n’arrive pas à trouver la juste place de la sexualité, liée à la passion et donc, théoriquement, opposée à la sagesse. Le sexe est incendiaire et, suivant le conseil d’Héraclite, il convient d’éteindre la démesure.

En fait, c’est beaucoup plus subtil. La philosophie pratique depuis toujours le blind date, un rendez-vous aveugle avec des êtres qui pourraient se trouver, qui se croisent ou se ratent. Il existe ainsi une quête de l’autre et de la vérité qu’Anne Dufourmantelle dépeint à l’aide de textes de Nietzsche, Socrate, Saint Augustin, Spinoza, Kant, par exemple.
Pas de sexe physique et mécanique dans tout ça, mais une pensée porteuse d’amour ou de subversion, bien plus finaude que les images crues que l’on voit tous les jours à la télé.
Le sexe se veut bouleversement des sens et de la pensée, il constitue un cheminement cérébral aux répercussions physiques, c’est la tête, avant le corps, qui domine le sujet. Mais les rôles peuvent s’inverser. C’est vraiment très compliqué.

L'auteur effectue un bon tour du sujet sans jamais cependant aller réellement au fond des choses. Mais est-il possible de le faire? Sans doute non, parce que disséquer la pensée d'autrui, c'est penser à leur place, donc philosopher à son tour et risquer de tomber dans des travers identiques à ceux qu'on dénonce. Au moins peut-on féliciter l'auteur pour le florilège de textes qu'elle propose et les recherches qu'elle a réalisées, pas mal de boulot derrière tout cela.

Quelques lignes:
"La philosophie est un art du toucher comme le sexe est un art de l'intelligence. Le toucher est l'expérience vivante du monde de ce qui en nous "pense la pensée". La philosophie est un art du toucher parce qu'elle éprouve ce qu'elle pense, parce qu'elle n'apparaît précisément que dans et par cet acte, tandis que le sexe, lui, nous fait faire l'expérience précisément de ce qu'il y a d'intouchable dans l'autre. Cet autre que l'on peut explorer, retenir, envelopper, consoler, meurtrir, faire jouir dévoile dans l'intimité la plus crue, la plus exposée qu'une part échappera toujours non seulement au désir mais au sexe même (mot qui dit aussi bien les organes que l'acte sexuel), et qu'il y a de l'intouchable dans le corps lui-même. Là était le génie de Spinoza : la transcendance au plus près de soi, et tu ne le sais pas. Personne ne sait ce que peut un corps. Le corps est au creux du désir, de la parole, de la pensée, son exacte résonance, sa matière, son histoire." (page 29)

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