La controverse dans le jardin aux fleurs
de Langdün Päljor

critiqué par Fee carabine, le 20 janvier 2006
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Des fleurs par trop humaines
Maîtresse Lampe de Turquoise soigne chacune des fleurs de son magnifique jardin avec une égale tendresse. Aussi, quelle n'est pas sa surprise lorsqu'un jour, elle surprend une conversation, l'ébauche d'une dispute entre une petite rose jaune et la grande rose trémière blanche. Vexée par une remarque de la petite rose jaune, voilà que la rose trémière se met tout à coup en tête de devenir l'ornement suprême du jardin, encouragée par les flatteries de la clématite, enroulée autour de sa tige (et loin d'être désintéressée!). C'est le début d’un échange de propos peu amènes auquel seul l'arbitrage des abeilles et de Mère Lampe de Turquoise pourra mettre un terme.

Langdün Päljor est tibétain. Né en 1941 dans une famille de l’aristocratie, il poursuit ses études en Inde – comme le voulait la tradition -, puis, après l’invasion du Tibet par la Chine, à l’Institut des Nationalités de Beijing. De la fin des années cinquante jusqu’en 1981 (date de publication de cette “controverse”, le premier texte tibétain littéraire paru après la Révolution Culturelle), il passe par une longue période de galères suite à l’exil du XIVème Dalaï Lama, puis à la Révolution Culturelle... Il est dès lors tentant de voir dans “La controverse dans le jardin aux fleurs” une réaction à l’oppression chinoise au Tibet, ou encore aux luttes d’influence qui ont pris place dans les hautes sphères du parti communiste chinois pendant les années de la Révolution Culturelle. La forme littéraire que Langdün Päljor a choisie se prête à merveille à une critique du pouvoir politique sans trop de risque pour l’auteur qui conserve la possibilité de se retrancher derrière une autre lecture de son texte. “La controverse dans le jardin aux fleurs” est en effet une fable, une forme traditionnelle dans la littérature tibétaine, héritée tout droit de la littérature sanskrite savante, et qui suit des règles d’écriture assez strictes: alternance de texte en prose et de passages versifiés, usage de contraintes qui n’ont rien à envier à celles des oulipiens les plus acharnés (palindromes, acrostiches... dont j’imagine qu’ils ont mis à rude épreuve l’ingéniosité de la traductrice!). Une fable dont le langage symbolique se prête à une multitude d’interprétations.Mais ceci dit, Langdün Päljor s’est toujours insurgé contre une interprétation trop strictement politique de cette oeuvre, tout en affirmant vouloir donner à son texte une portée universelle. Et ma foi, je trouve qu’il y a réussi, épinglant avec beaucoup de justesse dans ces portraits de fleurs des comportements si terriblement humains, de la flagornerie de la clématite, au pélargonium donneur de leçon bien intentionné en passant par l’humble pensée...

Enfin, je ne pourrais terminer cette critique sans saluer le travail de la traductrice, Françoise Robin qui signe également les textes de présentation. Pas de commentaire interminable, ni de longues notes de bas de page : Françoise Robin donne au lecteur francophone juste ce qu’il faut d’information pour apprécier ce texte sans se laisser dérouter par les figures de style classiques de la littérature tibétaine, qui peuvent être assez surprenantes pour des yeux occidentaux, mais qui, en fin de compte, confèrent à ce texte énormément de charme.