Le Credo de l'homme blanc : Regards coloniaux français (XIX-XX° siècles)
de Alain Ruscio

critiqué par Rotko, le 14 janvier 2006
(Avrillé - 50 ans)


La note:  étoiles
L'Européen chez les sous-développés.
Voilà un ouvrage qui explique bien l'esprit colonial du XIXe siècle jusqu'aux années 1960 de la décolonisation. L'auteur étudie les mentalités, ie les origines de "l'esprit colonial". Dans cette optique tout document est révélateur, depuis le best-seller jusqu'à l'affiche et la carte postale. "La maitresse noire" de Louis-Charles Royer, naiserie coquine, raciste et mal ficelée, fut éditée à 400.000 exemplaires.

Les scientifiques de l'époque eux-mêmes répandent l'idée d'une supériorité biologique de l'Occidental sur les populations locales : ainsi Linné dote l'Européen de solides qualités physiques et intellectuelles quand l'Africain, loin d'être physiquement flatté, est intellectuellement et moralement très mal loti. Quant à Broca, la comparaison du poids des boites crâniennes témoigne d'une intelligence nettement plus développée chez les Européens que chez les Asiatiques, eux-mêmes bien supérieurs aux Noirs.

Ces données étant établies, ou il y a une supériorité naturelle et définitive des Blancs, ou par l'éducation un rapprochement pourra s'opérer. D'où le double visage de la mission coloniale : croisade guerrière contre la barbarie ou mission civilisatrice censée éveiller aux lumières de la Raison. C'est le "même carnaval des Vampires" selon Myriam Mokkedem.

A l'époque pourtant l'idéal colonial faisait pratiquement l'unanimité à droite comme à gauche, de
Victor Schoelcher à Jean Jaurès, et même au-delà.

Ruscio fait l'inventaire des images du colonisé, et ce serait risible si on oubliait l'aspect humain. On serait tenté de croire à une arrogance française contente de se trouver des inférieurs : on caricature le Noir avec les affiches Banania, les coutumes locales sont tournées en dérision, les langues locales sont proscrites...


Comme le dit Albert Memmi, la France, fille ainée de l'Eglise et/ou berceau des Lumières, ne doute pas de sa mission : l'une christianise à tout va, l'autre affiche les droits de l'homme... qu'elle oublie sur le terrain.

Sans doute y eut-il des humanistes sincères parmi les prêtres et les enseignants, au Maghreb, en Afrique et en Extrême-Orient. Alain Ruscio parle d'eux. Ils restent de belles figures individuelles.

Citons deux témoins au-dessus de tout soupçon : Albert Camus.et Emmanuel Roblès. Le premier semble ne pas accorder un regard aux autochtones dans la Peste et dans l'Etranger. A croire que les les victimes locales de la peste n'existent pas. Dans l'Etranger tous les protagonistes ont un nom ou un prénom, sauf l'Arabe assassiné.

Quant à Roblès, il raconte dans "Saison violente" comment sa mère, faute de ressources financières suffisantes, était obligée de travailler comme femme de ménage chez des compatriotes européens, où l'humiliation était monnaie courante.

Rappelons les paroles d' AIMÉ CÉSAIRE, dans son DISCOURS sur le COLONIALISME, de 1950.
"Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.
"Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourne, en chicote et l'homme indigène en instrument de production".

Alain Ruscio, historien, docteur-es-lettres a publié une douzaine d'ouvrages sur le colonialisme français et a participé aux "dossiers noirs du colonialisme", l'ouvrage collectif dirigé par Marc Ferro.