On Mexican Time (A New Life in San Miguel)
de Tony Cohan

critiqué par Fee carabine, le 12 janvier 2006
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Quand les sons de la pluie et des carillons des églises remplacent les montres à quartz
Janvier 1985. Un couple d’artistes américains – elle est peintre, il est écrivain et parolier, collaborant notamment avec Chick Corea – s’envole sur un coup de tête pour passer trois semaines de vacances au Mexique et échapper pour un temps à la grisaille hivernale et au rythme trépidant de la vie à Los Angeles. Un magazine feuilleté avant le départ et la recommandation d’amis qui y passent une partie de l’année les poussent vers San Miguel de Allende, une petite ville perchée dans les montagnes du centre du Mexique, loin des plages et des villes de la frontière infestées de touristes américains.

En 1985, San Miguel est encore au bout du monde, à une demi-journée de car de Mexico City où se trouve l’aéroport le plus proche. La radio locale y fait aussi office de petite gazette et de bureau des objets perdus. Pas de télévision. Il faut faire la file pendant des heures au bureau des “larga distancia” pour pouvoir joindre les Etats-Unis par téléphone… Mais la ville regorge de couleurs, de saveurs, de parfums, entre les corbeilles débordantes de fruits étranges, les innombrables variétés de piments et d’herbes aromatiques, les fleurs vives et les arômes du ‘mole’ qui mijote. La vie y est encore rythmée par le son des cloches des églises, et les bruits de la pluie sur les pavés - l’averse quotidienne vers les quatre heures de l’après-midi. La vie à San Miguel de Allende a retrouvé une saveur et un sens qu’elle avait perdus dans la trépidante Los Angeles. Tony Cohan et son épouse Masako furent tellement séduits, au cours de ces trois semaines de vacances, que six mois plus tard, après avoir vendu leur maison de Los Angeles, ils étaient de retour à San Miguel de Allende. Et aux dernières nouvelles, ils y sont toujours.

“On Mexican Time” est le récit de leur installation à San Miguel et des quatorze premières années qu’ils y ont passées, de leur apprentissage de l’Espagnol, de leur découverte d’un art de vivre, d’une culture et d’une histoire d’une extrême richesse, cumulant les strates des héritages pré-colombiens, hispaniques, catholiques avec les développements contemporains… Les descriptions des paysages, des oeuvres des artisans locaux (étoffes et céramiques), des plats typiques de la région, sont tellement hautes en couleurs et pittoresques qu’on les croirait par moment sorties tout droit d’une carte postale, sans que ce livre débordant de vie et d’enthousiasme ne tombe pour autant dans l’imagerie d’Epinal. Pour Tony Cohan, qui pourtant avait déjà beaucoup roulé sa bosse de par le monde, c’est la révélation d’un pan entier de l’identité américaine, just south of the border, complètement ignoré aux Etats-Unis: “I begin to see the Americas, from the Arctic Circle to Tierra del Fuego, as fathomlessly rich terra incognita, and living in Mexico as the filling out of my American self.”(p. 86). Les ambiguïtés des relations entre le Mexique et les Etats-Unis ne sont d’ailleurs pas oubliées dans ce récit, tant sur le plan politique que sur celui, plus personnel, des réactions des amis de Tony Cohan devant son installation à San Miguel, des réactions où les préjugés ont la part belle… “On Mexican Time” n’est pas à proprement parler un essai sur la culture ou sur l’histoire mexicaine, et le lecteur à la recherche d’une étude approfondie sur ces sujets, ou de faits soigneusement rangés dans les tiroirs d’une chronologie rigoureuse, n’y trouvera rien de cela. Mais c’est un livre intelligent, humain et surtout très généreux: une belle découverte à plus d’un titre.