Retour à la jungle
de Nhật Tuâń

critiqué par Tistou, le 6 janvier 2006
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Quintet à la machette.
Etonnant roman viet-namien qui m’a fait penser, de par son sujet étonnant et le huis-clos étouffant des cinq personnages, à l’également étonnant « La femme des sables » du japonais Abe Kobo.
« Nous étions cinq hommes, un quinquagénaire et quatre dans la force de l’âge. Nous aurions pu être chefs de famille heureuses, réunies autour d’un bon repas les soirs d’hiver gris et froids, entourés de jeunes et saines épouses, de gamins trébuchants.
Hélas, depuis une éternité, nous errions dans des montagnes perpétuellement couvertes de brumes et de nuages, où rien n’existait. Pas même un aboiement de chien ou une bouse de buffle, chose si courante à l’entrée des villages. »
C’est cela. Ils sont cinq. Quasiment livrés à aux mêmes, hormi un contact quotidien par radio du chef, le quiquagénaire, avec d’hypothétiques instances supérieures qui fixeraient la direction à suivre, les mesures à prendre. Ils sont censés ouvrir dans la jungle des montagnes, à grands coups de machettes, une route qui relierait nord et Sud Vietnam.
La quatrième de couverture évoque un roman kafkaïen. L’ambiance est effectivement kafkaïenne avec une soumission absolue au chef, et, à travers lui, à l’état-major auquel il serait relié par liaison radio quotidienne. Séance de gymnastique collective au lever dans la plus belle tradition asiatique, puis travail abrutissant toute la journée durant sans rencontrer âme qui vive.
En dehors du Chef, il y a le Cantinier, le neveu du Chef qui, manifestement, a été pistonné. Il y a l’Erudit, intellectel puni et qui va évoluer du rebelle caustique à l’ambitieux cynique prenant la place du Chef. Il y a un colosse, le Gendarme, la force brute. Et le narrateur, citoyen de base, naïf, obéissant, qui va peu à peu découvrir les aléas de la vie.
« L’Erudit brisa le silence pesant.
-Putain ! Dans cette vie, il y a deux vraies calamités qui nous emmerdent …
Le Cantinier et le Gendarme, sentant venir des considérations philosophiques, se défilèrent en se levant pour aller se coucher. Je restai seul avec lui.
-Quelles calamités ?
-La bouche en est une. Si tu ne lui fournis pas dix bols de riz par jour, tu es malheureux comme un chien.
-Et la deuxième ?
Il se leva en silence, gagna son hamac. Devant mon air bête, il découvrit ses dents dans un grand sourire :
-C’est la queue, imbécile, tu ne l’as pas deviné ? »
Toutes les variations sont possibles avec un tel quintet, vous l’imaginez, et vous cheminerez avec eux, dans la jungle, le brouillard, sous les nuages …
Etonnant.