Si la gauche savait : Entretiens avec Georges-Marc Benamou de Georges-Marc Benamou, Michel Rocard

Si la gauche savait : Entretiens avec Georges-Marc Benamou de Georges-Marc Benamou, Michel Rocard

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Manu_C, le 18 décembre 2005 (Inscrit le 19 août 2004, 54 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 282ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
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Rafraîchissant

Un livre de Michel Rocard sur Critiques Libres, mais pourquoi faire ?

D’ailleurs, naturellement, en refermant ce livre, il ne me semblait pas très opportun de déposer une critique à son sujet compte tenu du public intéressé forcément très réduit. Mais, compte tenu des évènements vécus par le site et ses membres ces derniers temps, je me suis dit qu’un peu de social-démocratie ne ferait pas de mal et serait même assez rafraîchissante.

Il s’agit donc de conversations entre Georges-Marc Benamou et Michel Rocard ; elles suivent de façon chronologique l’ensemble de sa vie politique jusqu’à nos jours. La forme, dans ce type de livre, importe peu et le fond est largement privilégié ; c’est notamment sur ce point qu’il est très intéressant de disposer de l’éclairage d’une personne qui personnifie l’intégrité, les valeurs humaines et sociales et qui dispose, de plus, d’une vraie vision économique

Mais, encore une fois, où en est l’intérêt ?

Et bien il est dans l’éclairage de notre histoire proche qu’une personne comme moi n’a vécu qu’à travers le prisme réducteur des médias à un âge où ce n’était d’ailleurs pas ma préoccupation première (de la préadolescence à l’age adulte au sens large) ; cette histoire prend alors une tout autre dimension et rend particulièrement captivants les deux septennats de M. Mitterrand (pour info ou rappel, Michel Rocard a toujours été pour François Mitterrand un adversaire à combattre et à contrôler au sein du PS) où l’on peut voir s’affronter deux conceptions radicalement opposées de la politique : l’une, celle de M . Mitterrand, tournée vers la rentabilité électorale immédiate, le pouvoir, et le contrôle des extrêmes (inclure le PC dans son programme et son gouvernement permettait de le contrôler et de démontrer son incapacité à gouverner de façon globale), l’autre, sociale et économique, tournée vers la réforme dans la durée et conscient des leviers et obstacles économiques inhérents à sa réalisation.

Bien sûr, l’ouvrage est unilatéral, mais M. Rocard est constamment « challengé » par son interlocuteur, confident de M. Mitterrand (cf « Le dernier Mitterrand ») et il est finalement assez rare d’avoir entre les mains un ouvrage où son auteur, très lucide, liste et analyse aussi bien ses réussites que ses échecs.

Autres mérites de l’ouvrage : préciser l’histoire du PS, né de la fusion de la « première gauche », celle de la SFIO, et de la deuxième, celle du PSU de M. Rocard qui ralliait la gauche catholique ; illustrer le combat perpétuel de la garde mitterrandienne contre cette « deuxième gauche » absorbée mais en permanence contrôlée et bridée.

Que l’auteur soit toujours de bonne foi, ce n’est pas sûr à 100%, il parle de lui ; mais son intégrité milite indéniablement en sa faveur. De plus, en ces temps troubles, il est rassurant de lire des propos de personnes lucides dont les préoccupations étaient la réforme, l’instauration de minima sociaux sans distinction aucune sur les bénéficiaires au niveau du pays et plus largement au niveau européen.

Rafraîchissant.

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Bribes d’Histoire

8 étoiles

Critique de Colen8 (, Inscrite le 9 décembre 2014, 82 ans) - 21 avril 2020

Dès le début de ses engagements militant d’abord, politique ensuite Michel Rocard souligne la faiblesse des idées, l’archaïsme des mentalités de la gauche guesdiste et jacobine en France longtemps incarnée par la SFIO(1) en comparaison de la sienne dite la « deuxième gauche ». Qu’elle n’ait à aucun moment voulu ni pu se renouveler, qu’elle ait été incapable d’attirer le mouvement ouvrier dans ses rangs à l’inverse des sociaux-démocrates des voisins européens, donne une clé de son effondrement à la présidentielle de 2017. En fait ce sont surtout les élus locaux solidement implantés dans leurs territoires qui ont pu donner l’illusion d’une force politique pendant aussi longtemps.
Quelques périodes sélectionnées en 2005 pour une dizaine d’entretiens avec ce journaliste(2) producteur de cinéma éclairent la vie politique du pays sur un demi-siècle : les espoirs déçus d’un retour de Mendès-France, la première candidature Mitterrand à l’élection de 1965, les surprises de Mai-68, les campagnes électorales successives de 1969, 1974, 1981 etc. Michel Rocard s’y explique sur la stratégie qui l’a conduit au PSU avant de s’en extraire pour rejoindre le PS, sur sa popularité qui n’a fait qu’entretenir la méfiance des amis du Président Mitterrand en toutes circonstances et attiser leur rivalité politique.
Premier Ministre de Mitterrand pendant trois ans à partir de 1988, il défend âprement la richesse de ses réformes destinées à moderniser le pays dans une perspective humaniste, sociale et avec le souci de l’efficacité économique. Démis prématurément il en verra une partie effacée par Edith Cresson qui lui succède à Matignon. Face à lui Georges-Marc Benamou reste prompt à relever les occasions manquées d’une carrière politique qu’il juge ternie par l’échec à n’avoir pas su ou pu accéder à la magistrature suprême, ce dont Michel Rocard dit n’avoir cure.
Il s’affirme fier de la richesse intellectuelle et du brassage d’idées qu’il a entretenu tout au long de son parcours, qu’il destinait à fertiliser un parti socialiste racorni, d’où son immense regret d’avoir buté contre le mur d’inertie intellectuelle des caciques réfractaires à toute tentative d’entrer dans la modernité. Républicain, démocrate, européen, partisan du débat et de la concertation Michel Rocard reconnait le paradoxe de nos institutions dans leur absence de représentativité en même temps que du besoin de stabilité indispensable pour gouverner.
(1) SFIO : Section Française de l’Internationale Ouvrière, représentant la gauche non communiste
(2) Auteur en 1997 de « Le Dernier Mitterrand »

Conversations avec un ancien premier ministre

7 étoiles

Critique de Fanou03 (*, Inscrit le 13 mars 2011, 48 ans) - 13 décembre 2018

Georges-Marc Benamou, journaliste proche de François Mitterrand, s’est livré à une série d’entretiens avec Michel Rocard, au cours de l’année 2005. Le résultat est ce livre, passionnant à bien des égards. L’ancien premier ministre y retrace sa jeunesse, ses premiers engagements, d’abord en périphérie d’une SFIO finissante, puis au PSU et au Parti Socialiste. Il revient aussi sur ses expériences gouvernementales et sur les dernières années de sa carrière.

Le livre vaut tout d’abord pour être un témoignage politique de tout premier plan. Ayant fréquenté la plupart des acteurs de la gauche entre 1950 à 1990, Michel Rocard brosse des portraits forts instructifs de tous ces personnages, ainsi que de la dynamique des partis et des courants de pensée de cette époque. C’est un véritable cours sur la gauche française de la deuxième partie du 20e siècle que nous propose l’ancien premier ministre ! Cours brillant s’il en est, car Michel Rocard y montre un sens aigu de l’analyse, ainsi qu’une verve vigoureuse non dénuée de lucidité, verve qui sait aussi se faire ironique et mordante, avec certains de ses anciens adversaires politiques... Il revient évidemment longuement sur ses relations avec François Mitterrand, faites d’ambiguïté et d’incompréhension réciproque, ce qui nous éclaire grandement sur le rapport de force entre les deux hommes.

On comprend ainsi ce qui a construit la personnalité de Michel Rocard, et ce qui l'a animé. Ses racines protestantes en tout premier lieu (il s’est longtemps investi dans les éclaireurs unionistes, avant de perdre la foi), qui lui ont donné le souci de l’éthique, l’aversion du dogmatique et un certain désintéressement personnel; son appétit pour l’économie et la sociologie, qui a fait de lui un pragmatique en la matière. Il déplore à ce propos d’ailleurs a contrario le manque, voire l’absence de culture économique de l’équipe et du programme de François Mitterrand en 1981, ce qui a conduit à ses yeux, et malgré ses avertissements, à l’effondrement du franc. Il se montre aussi passionné par le débat d’idée, par la volonté de fédérer et de gérer le collectif d’un parti. Les échanges avec Georges-Marc Benamou l’amènent aussi à définir cette fameuse « deuxième gauche », dont il est le créateur, se défendant de ceux qui la considèrent « à droite ». Assumant le fait que la « deuxième gauche » prêche la rigueur sur le plan économique, Michel Rocard affirme que pour lui elle défend les vraies valeurs de gauche, au contraire de la « première », celle de François Mitterrand, qu’il juge autoritaire et méprisant les corps intermédiaires. Il y voit une profonde opposition de culture :

« Toujours deux cultures : celle de la violence, de l’Histoire, de la ruse et du droit contre celle du contrat, de la négociation, de la démocratie ».

Heureusement ce qui aurait pu n’être qu’un plaidoyer pro domo reste un ouvrage très équilibré sur le fond aussi bien que sur la forme. Face à un Michel Rocard se donnant évidemment le beau rôle, Georges-Marc Benamou joue habilement l’avocat du diable, sans complaisance, pointant les contradictions, les erreurs, les hésitations, poussant même parfois l’homme de la « deuxième gauche » dans ses retranchements: il laisse alors entrevoir ses failles comme ses défauts. Car pour Georges-Marc Bénamou, reprenant le titre du livre de Jean-Louis Adreani, il y a un mystère Rocard, un homme passionné mais dont on a déploré parfois la raideur, et qui, bien que tenté par le pouvoir, a tout fait parfois pour ne pas trop s’en approcher.

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