Roquenval
de Nina Nikolaevna Berberova

critiqué par Sahkti, le 2 décembre 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Partir à la dérive
Roquenval est le nom d'une demeure jadis superbe et aujourd'hui abandonnée petit à petit par ses propriétaires, une famille disloquée dont les membres partent chacun à la recherche de leurs fantômes.
Boris y est invité par son ami de classe Jean-Paul, petit-fils de la propriétaire, la vieille comtesse Praskovia Dmitrievna, une charmante femme errant entre folie et souvenirs. Il y passe un été, à la conquête des silences et du mystère entourant cette famille étrange.
C'est le récit d'une décomposition, d'une mort lente et programmée, de la désillusion d'êtres qui ont tout perdu et semblent ne rien vouloir rattraper.
Une fois de plus, Nina Berberova parle d'exil, de départ, de malheur, de déchirures familiales. Une fois encore, ses héros désabusés semblent résignés face à un destin implacable, avec cette fois, le regard lucide et intrigué d'un jeune homme russe qui retrouve progressivement ses racines en fouillant le passé de cette famille. Aucun lien de parenté, mais les liens des origines, d'une nation errante, d'un peuple à la recherche de lui-même partout dans le monde.
Un beau récit, très intime, à lire entre les lignes, empli de souffrance et de désespoir avec, comme souvent dans ces récits de la littérature russe amère, la pointe d'espoir qui illumine les vies à un moment donné et s'efface, ne pouvant être attrapée par les protagonistes malgré les bras grands ouverts.
Sans doute un des récits les plus autobiographiques de Nina Berberova. Au moment où elle a rédigé ces lignes, l'auteur russe écrivait à des proches "Mon seul et unique espoir à moi est que nous puissions revenir en Russie... après notre mort, grâce à nos oeuvres".
Roquenval, c'est la Russie de Berberova, un monde qu'elle voit se faner et disparaître, qu'elle abandonne contrainte et forcée, choisissant de se tourner vers un ailleurs, vers d'autres êtres et d'autres vies. Non sans regrets et une profonde nostalgie du passé.
Plus d'une fois, le héros du roman, Boris, aura l'impression de revivre le passé et pourra répéter: "Je m'attends à voir surgir la Russie toute entière".
Roquenval, c'est la "mère Russie" ! 9 étoiles

Cette propriété de la région parisienne qui tombe en ruines petit à petit, parfois pillée par ses occupants (tapisseries anciennes découpées pour être revendues !) représente pour l'auteur ce qui se passe en Russie à l''époque : ce texte date de 1936. La description de la vieille comtesse, seule occupante permanente du château nous invite à réfléchir à l'état d'esprit des émigrés russes en France à cette époque.

Très belles descriptions de la propriété, évocations subtiles de son histoire récente, comportements des jeunes hôtes temporaires ( Boris le narrateur et son ami Jean-Paul), le talent de Nina Berberova est envoûtant et ne nous laisse pas indifférent.

Tanneguy - Paris - 84 ans - 5 novembre 2011