Curriculum vitae
de Michel Butor, André Clavel

critiqué par Kinbote, le 1 novembre 2005
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Y a-t-il une vie après La Modification?
Pour de nombreuses personnes, comme pour moi, je pense que Michel Butor est surtout l’auteur de La Modification, un membre du Nouveau Roman qui s’est vite éloigné du roman (après Degrés) pour ne plus jamais y revenir. Je sais aussi qu’il est un poète de qualité (voir l’anthologie parue chez Poésie/Gallimard). Mais si j’ai lu ce livre, c’est afin d’en savoir plus et de baliser une œuvre polymorphe et dense.
Ici l’interviewer (André Clavel) ne se met pas en avant mais au service de son interlocuteur, le ramenant régulièrement dans le droit fil de l’entretien.

On y apprend que Michel Butor dut ramer pendant des années avant d’obtenir son agrégation de philosophie, qu’il fut un voyageur infatigable, que Robbe-Grillet le considéra toujours comme un concurrent.
Butor confirme que les jurés des prix littéraires sont aux ordres de leur éditeur. Quand, en 1978, il se battit pour faire obtenir le Médicis à Georges Perec (publié chez Hachette), il se fit taper sur les doigts par Lambrichs de chez Gallimard qui cessa de lui verser la modeste rétribution mensuelle qu’il percevait.
Il rapporte qu’à partir des années 70, il fut obligé aux USA de donner ses conférences en anglais car la langue française n’était plus comprise que par une minorité d’étudiants.

Butor s’explique sur son abandon du roman. Il est dû à ce qu’il appelle « la fermeture romanesque » : les personnages sont totalement prisonniers de leur petit espace, ils étouffent. Il trouve que la société a beaucoup trop évolué sur tous les plans pour que le roman puisse désormais l’appréhender.
C’est un genre ancien, dit-il, qui a été codifié au XIXème siècle, a fini de parler de la société du XIXème siècle : « cette société ayant radicalement changé, nous devons trouver de nouvelles formes narratives pour la décrire. »
Il s’est ensuite intéressé aux structures mobiles avant d’aborder la poésie qui, pour lui, est la discipline qui offre le plus de liberté à la fiction : « on peut jouer à l’infini, multiplier les variations et les procédés de construction. »
Les pistes qu’il explore en écrivant des livres lui en ouvrent d’autres qu’il désire à leur tour explorer et ainsi de suite.

On ne peut jamais affirmer qu’on est poète : « Le simple fait de le dire signifie que vous ne l’êtes pas. », déclare-t-il. Et de citer cette pensée de Chesterton : « Il y a trois personnages qui ne peuvent jamais se désigner eux-mêmes : le saint, le sage et le poète. »

Il signera dès lors des cycles de livres tel que Matière de rêves dans lesquels son but n’était « pas de raconter ses rêves mais de produire du rêve à partir de ses rêves. »

Pour lui, chaque lecteur et forcément critique transforme le livre. Dans le même ordre d’idées, il déclare que le professeur doit savoir être l’élève de ses élèves.
Il est un adepte du capricio, qui, il le rappelle, est un développement libre sur un thème imposé.

Depuis Mobile, la disposition des mots sur la page prend une grande importance pour lui et il prend un soin particulier à l’objet-livre de façon à mobiliser le lecteur autrement dans son rapport au livre, à la typographie; de manière à bousculer son confort de lecture. A partir de là, son travail le rapproche de la peinture et il multipliera les collaborations avec des artistes.

A propos du zapping, il dit : « Le zapping est une donnée fondamentale de notre rapport aux images, surtout pour les jeunes. Certains s’en offusquent. Personnellement, je trouve cela très bien. Certes, il y a un zapping paresseux que je déteste, mais le zapping actif, lui, est un moyen de suivre plusieurs programmes à la fois. C’est aussi une façon de lutter contre la pauvreté de l’information qui menace de plus en plus la télévision. » (on est en 1996)
Il cite Henry James : « Un écrivain, c’est quelqu’un pour qui rien n’est perdu » en précisant aussitôt qu’il trouve cela très juste : « dans un roman, tout peut entrer. »
Dans le Portrait de l’artiste en jeune escargot, on peut lire cet autoportrait :
« Je suis né fatigué... J’ai décidé d’aérer ma fatigue en la traînant de par le monde entier, m’étant bien enduit de la bave de tous les écrivains qui m’avaient enchanté, portant ma coquille de phrases qui s’agrandissait en spirales au long de mes pèlerinages, incapable de la déposer pour me reposer. »
Il se définit aussi comme un encyclopédiste de l’ignorance car, pour lui, on ne peut plus tout connaître, il faut se contenter de « mesurer ses ignorances, de rêver sur l’érudition ».
Tous propos qui, à n’en pas douter, sont ceux d’un sage de notre époque