Feint

avatar 08/01/2012 @ 19:14:47
A propos de certains manuels scolaires :
"Les œuvres majeures, c'est-à-dire durables, y voisinent avec des textes dont rien ne justifie la présence, à leurs côtés, sinon la neutralité affective, la posture scolaire du commentateur. Et alors, c'est la vertu inséparablement révélatrice et libératrice de la littérature qui s'en trouve diminuée, ternie. Son rapport à la réalité s'est trouvé doublement infléchi, déformé, dès sa genèse puis lors de l'exégèse."

Pierre Bergounioux, Bréviaire de littérature à l'usage des vivants, p.11
Ben voilà, quoi.

Pieronnelle

avatar 08/01/2012 @ 21:02:17
Je ne fonctionne pas trop à la "mieux que" parce que quand on a dit ça on n'a pas dit grand-chose. Encore que. Encore que toute chose n'étant pas égale, on a le droit de le dire. Certaines réputations littéraires doivent beaucoup à l'école, il faut bien le dire. L'école, c'est mon autre métier, et je suis souvent en désaccord avec elle concernant le rapport qu'elle entretient à la littérature. La facilité d'accès de certains textes ou encore leur exploitation utilitaire à des fins pédagogiques finissent par façonner dans l'esprit de ceux qui en sortent bons élèves (et à qui on ne peut pas jeter la pierre) un paysage littéraire à la fois déformé et simplifié. La grandeur de certains auteurs y est érigée en évidence, d'autres y sont largement passés sous silence ; tout cela reste dans les mémoires. Et comme les professeurs sont souvent les bons élèves d'hier... Alors de temps en temps, clamer haut et fort que tel ou tel vedette des programmes ne vaut pas tant que ça, et que tel ou tel méconnu mérite bien mieux, je trouve ça sain.


Toi et Palo, vous avez ce regard critique envers les méthodes pédagogiques. Mais les autres prof? Si c'est aussi évident pourquoi aucun changements? De plus cela laisse supposer qu'on a tous été façonnés de cette façon, avec le Dieu Victor Hugo, mais où est le vrai? Je dirais où est le mal? Le Victor Hugo de l'école est bien loin de celui que je re-découvre maintenant avec un plaisir immense; et à la limite je trouve même que ces auteurs ont pâti de l'importance qu'on leur a donnée; on les a même un peu galvaudés.
Tout à fait d'accord pour faire connaitre tous ceux qui sont restés dans l'ombre mais l'époque a tellement d'importance et explique l'écartement de ces oeuvres. Pour ma part, dans le domaine de la musique classique je ne cesse de découvrir des musiciens ayant vécu aux mêmes époques que ceux les plus connus et j'en retire un plaisir immense, celui de la recherche et surtout de la découverte. Il y a des raisons historiques, personnelles etc...et découvrir ce pourquoi n'est pas une raison, il me semble, pour descendre les autres de leurs estrades.
Quand Bergounioux dit:
"Les œuvres majeures, c'est-à-dire durables, y voisinent avec des textes dont rien ne justifie la présence, à leurs côtés, sinon la neutralité affective, la posture scolaire du commentateur"; sur quoi s'appuit-il réellement? Faire ressortir les textes non majeurs n'est-ce pas finalement permettre aux élèves de repérer ceux qui sont majeurs? Puisque vous êtes pour la comparaison cela peut être une bonne méthode.
Vous pouvez comprendre qu'on puisse être démuni devant cette position?

Feint

avatar 08/01/2012 @ 22:34:20
Au contraire, ce qu'il dénonce c'est plutôt (j'imagine, je n'ai pas lu celui-là) la mise au service de la littérature à un enseignement dont elle n'est pas l'objet mais plutôt le prétexte, d'où le possible remplacement par des textes qui n'ont finalement pas grand-chose de littéraire. On est plutôt dans l'effacement de la littérature. C'est ce que je reproche à Virgile dans son credo du tout-égal : il y a des textes qui sont vraiment de la littérature de création, d'autres qui le sont moins, d'autres qui ne le sont pas ; il n'y a rien de mal à l'affirmer. Le problème évident, c'est la crédibilité de celui qui l'affirme. Personnellement, j'ai tendance à accorder ma confiance à des gens qui ont consacré leur vie à la littérature.

Feint

avatar 08/01/2012 @ 22:45:55
Il y a des raisons historiques, personnelles etc...et découvrir ce pourquoi n'est pas une raison, il me semble, pour descendre les autres de leurs estrades.
Et quand leur estrade est trop haute ? Personnellement j'aime bien Camus, par exemple, mais l'entendre présenter comme quasiment le meilleur auteur du XXe siècle, comme ça a souvent été le cas l'année de son anniversaire, ça m'a un peu gonflé.

Palorel

avatar 08/01/2012 @ 22:46:25
Dans le cadre de l'enseignement du français au collège, je ne m'en offusque pas outre mesure. Ce que je trouve gênant, c'est que le consensus s'étende à la salle des profs où les auteurs du manuel sont vénérés (je grossis un peu le trait). Je ne trouve pas ça très sain.

Pieronnelle

avatar 09/01/2012 @ 00:22:26
On est plutôt dans l'effacement de la littérature. C'est ce que je reproche à Virgile dans son credo du tout-égal : il y a des textes qui sont vraiment de la littérature de création, d'autres qui le sont moins, d'autres qui ne le sont pas ; il n'y a rien de mal à l'affirmer. Le problème évident, c'est la crédibilité de celui qui l'affirme. Personnellement, j'ai tendance à accorder ma confiance à des gens qui ont consacré leur vie à la littérature.


Là je suis bien d'accord. Moi non plus je ne suis pas pour le tout égal et c'est bien pour le plaisir de la différence. La littérature de création que tu évoques est bien certainement à mon avis la plus intéressante mais on peut discuter longtemps aussi sur le sens du mot création; et est-ce que ça donne plus d'importance à un texte?
Non seulement il n'y a rien de mal à affirmer qu'il existe des différences entre des oeuvres , mais l'intérêt c'est justement de les faire ressortir; et s'appuyer sur des gens qui consacrent "leur vie à la littérature" est bien ce qu'il y a de plus enrichissant.
Quant à Camus je l'aime tellement que...:-)))

Débézed

avatar 09/01/2012 @ 01:34:02
. Il est remarquable de constater qu'il a fallu attendre une longue période avant qu'un note inférieure à 4 étoiles lui soit attribuée sur CL même si cette notation n'a pas beaucoup de sens, il est tout de même surprenant que le livre soit devenu brusquement moins apprécié. La pensée commune gêne, l'abondance nuit, le besoin d'aller contre le consensus est manifeste et c'est tant mieux.


Ecoute je t'assure que ma déception était sincère et pas pour aller à contre courant, d'ailleurs je n'ai même pas fait de critique.


Je suis convaincu que tu étais sincère et je pense que le tapage fait autour de ce livre aurait pu me gonfler moi aussi mais j'ai eu la chance de le lire assez tôt.

Virgile

avatar 10/01/2012 @ 01:01:30
Un pharaon serait une erreur? Etrange... ;op

Par contre ce qui est une erreur c'est de m'attribuer un quelconque "credo du tout égal". Je reconnais simplement qu'il y a autant de différenciations que de personnes, et qu'il n'y en a pas une plus "objective" que les autres. :op

Feint

avatar 10/01/2012 @ 21:14:43
Mais je suis d'accord avec toi, noble pharaon, qu'il n'y a rien d'objectif dans tout cela. Je ne crois pas non plus à la vérité objective - ce qui ne veut pas dire que je ne crois pas à la vérité.

DE GOUGE
avatar 11/01/2012 @ 21:11:20
Certaines réputations littéraires doivent beaucoup à l'école, il faut bien le dire. L'école, c'est mon autre métier, et je suis souvent en désaccord avec elle concernant le rapport qu'elle entretient à la littérature. La facilité d'accès de certains textes ou encore leur exploitation utilitaire à des fins pédagogiques finissent par façonner dans l'esprit de ceux qui en sortent bons élèves (et à qui on ne peut pas jeter la pierre) un paysage littéraire à la fois déformé et simplifié. La grandeur de certains auteurs y est érigée en évidence, d'autres y sont largement passés sous silence ; tout cela reste dans les mémoires. Et comme les professeurs sont souvent les bons élèves d'hier... Alors de temps en temps, clamer haut et fort que tel ou tel vedette des programmes ne vaut pas tant que ça, et que tel ou tel méconnu mérite bien mieux, je trouve ça sain.



L'école a l'intérêt de nous offrir une ossature, libre à nous ensuite d'aller fouiller vers des auteurs moins connus. Détestant mon prof de français, quoiqu'adorant la littérature, je n'ai pas suivi les cours de Terminale, non obligatoires pour ceux qui avaient obtenu de bons résultats au épreuves du Bac : depuis, je le regrette amèrement ! Il me manque, encore aujourd'hui, cette approche globale du XXème siècle et je sens ce manque d'ossature et ai l'impression d'errer au fil de découvertes, sans vraie cohésion.... Dommage !

DE GOUGE
avatar 11/01/2012 @ 21:19:08
Quant à savoir ce qui est ou non de la "bonne littérature", qui peut avoit l'outrecuidance d'en juger ?
A chacun "sa " vérité.
Quand même ! Des fois, j'ai du mal à voir porter au pinacle certains ouvrages, voire auteurs .....
La tolérance, parfois, c'est dur à appliquer ! Ou même à avoir envie d'appliquer ......

Feint

avatar 11/01/2012 @ 22:40:39
libre à nous ensuite d'aller fouiller vers des auteurs moins connus.
"Libre", dans une certaine mesure seulement : il est difficile d'aller vers ce dont on ne connaît pas l'existence. Mais bon, l'école c'est très bien aussi, ce n'est pas moi qui vais dire le contraire.

DE GOUGE
avatar 12/01/2012 @ 22:29:51
l"Libre", dans une certaine mesure seulement : il est difficile d'aller vers ce dont on ne connaît pas l'existence. Mais bon, l'école c'est très bien aussi, ce n'est pas moi qui vais dire le contraire.


Si, Feint, quand on a une base solide, on peut se permettre de "batifoler" à l'envie, quitte à se tromper, quelle importance ?

Palorel

avatar 12/01/2012 @ 22:37:57
Faut quand même que l'envie soit suscitée par quelque chose, non ? :-)

Feint

avatar 13/01/2012 @ 15:53:22
l"Libre", dans une certaine mesure seulement : il est difficile d'aller vers ce dont on ne connaît pas l'existence. Mais bon, l'école c'est très bien aussi, ce n'est pas moi qui vais dire le contraire.


Si, Feint, quand on a une base solide, on peut se permettre de "batifoler" à l'envie, quitte à se tromper, quelle importance ?
Ce que je veux dire, c'est que si tu ne sais pas que l'Australie existe, jamais tu n'auras envie d'aller en Australie. Moi, par exemple, il y a une quinzaine d'années, j'étais persuadé qu'il ne s'écrivait plus rien d'important en France. J'ai fait, entre autres, des études de lettres assez longues, mais je n'avais jamais eu l'idée pour autant de chercher vraiment s'il existait quelque chose que je puisse aimer dans la littérature d'aujourd'hui. Sans un heureux concours de circonstances, je serais encore dans cette illusion-là. Il faut dire que l'école elle-même n'est pas si bien informée que ça - ou plutôt que l'information littéraire, tout simplement, ne passe pas.

Feint

avatar 21/01/2012 @ 19:23:56
Quant à savoir ce qui est ou non de la "bonne littérature", qui peut avoir l'outrecuidance d'en juger ?
A chacun "sa " vérité.
Quand même ! Des fois, j'ai du mal à voir porter au pinacle certains ouvrages, voire auteurs .....
La tolérance, parfois, c'est dur à appliquer ! Ou même à avoir envie d'appliquer ......
Oui. Au fond, il faut une certaine outrecuidance pour poster des critiques. Je me disais ça en lisant quelques critiques au hasard, sur des livres que j'ai lus, avec parfois l'outrecuidance (une autre) de penser que l'auteur (sans faire attention à qui c'était, je ne suivais pas un critiqueur ; j'utilisais la fonction "un livre au hasard") de la critique était passé complètement à côté du livre, parfois accumulait les contresens, ne saisissait pas les enjeux essentiels ; bref : n'avait rien compris (quand il ne faisait pas preuve de mauvaise foi, ce qui arrive aussi). Enfin, c'est pour dire que les avis, c'est comme les livres : tous ne se valent pas.

Pieronnelle

avatar 21/01/2012 @ 21:46:07
Oui. Au fond, il faut une certaine outrecuidance pour poster des critiques.


Oui, si on porte justement un jugement de valeur!
Tant qu'on reste dans l'analyse, l'appréciation, ce qu'on en a retiré, ce qui nous a semblé que...je ne pense pas qu'on soit dans l'outrecuidance. Mais qui vraiment nous autorise à dire "c'est mal écrit","c'est nul"? C'est quand même bien différent que de dire "je n'ai pas aimé ou été sensible à l'écriture parce que...", "je trouve que ce livre ne m'a rien apporté parce que...". Dans ce cas je trouve que les lecteurs de critiques sont vraiment à même de pouvoir faire leur choix en fonction des avis différents. Il me semble aussi qu'un livre ayant "subi" une critique négative sur sa valeur, est déjà entaché et je comprends la douleur de l'écrivain à lire ça. Il existe des livres qui sont manifestement des impostures mais en général il font l'unanimité contre eux dès lors que l'imposture est démontrée.

Feint

avatar 21/01/2012 @ 22:17:47
Ce que je disais surtout (et qui certes n'est pas très politiquement correct, ou plutôt socialement correct), c'est que tous les avis ne se valent pas. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas donner le sien : à force de le donner, il a des chances de s'affiner.

Laventuriere 22/01/2012 @ 03:25:01
Certains propos laisseraient, donc, à penser, qu'il n'y aurait, au final, qu'UN "jugement" qui serait LE bon...(celui de qui et lequel, d'ailleurs!)?
Que certaines critiques en seraient, en conséquence, sujettes à critiques elles-mêmes, l'avis critique et, donc, subjectif du "critiqueur" s'en trouverait invalidé parce que non agrée par un "phénomène" -assez étrange!- d'une "communauté arbitrale" en possession d'un "sens absolu" de l'oeuvre...?

Feint

avatar 22/01/2012 @ 07:36:38
Un seul jugement valide, justement non, sûrement pas. C'est précisément parce qu'il y en a plusieurs, et parfois très différents, qu'on est abusivement tenté d'accorder crédit à tous, d'en appeler à la subjectivité et d'affirmer que tout se vaut. Et pourtant, quand je m'interroge moi-même, je sens bien que mon avis sur tel livre est sans doute plus fiable ou moins fiable que mon avis sur tel autre livre. Si tous mes avis ne sont pas d'égale fiabilité, comment les avis de tout le monde pourraient-ils être également fiables ?

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