Colt
avatar 27/12/2010 @ 18:51:04
J'ai profité de ces belles journées de froid et de vacances pour relire quelques ouvrages sur Judas, suite à celui de Moreau (L'affaire Judas).
La thèse du Judas innocent m'apparaît aujourd'hui comme étant plus plausible que son contraire.
Ce qui m'a le plus touché, c'est l'argument littéraire que développe l'auteur. Selon lui, l'histoire de la trahison débute avec le livre de Marc, puis se répand dans ceux de Mt et Lc, et enfin chez Jn. Hormis ces livres, l'auteur affirme qu'il n'y a pas d'autres textes (chrétiens ou païens) faisant référence à la trahison de Judas et donnant sur elle des informations plausibles et utilisables.
- Avant les ev canoniques : (Curieusement) Paul ne parle jamais d'une trahison dans ces lettres dont Jésus aurait été la cible.
- Pendant que les ev canoniques sont écrits ou aux alentours : D'autres textes sont écrits, mais aucun ne parle de la trahison. Au final, il y a plus de textes ignorant la trahison que de textes qui en parlent.
- Après les ev canoniques : Il faut attendre la seconde moitié du IIème siècle pour qu'une nouvelle référence apparaisse enfin en rapport avec la trahison.

L'auteur conclut (à juste titre !?) que la trahison de Judas débute avec Marc et s'arrête avec Marc (puisque les autres communautés qui écrivent les 3 autres canoniques ne font que la reprendre sans ajouter d'informations permettant de l'authentifier. C'est même l'inverse puisqu'elles ajoutent des infos qui se contredisent).

A ce jour, je donne raison à cet argument de poids que je n'avais encore jamais trouvé chez un autre auteur, et qui n'a pas encore été discuté !!!

Saint Jean-Baptiste 27/12/2010 @ 23:25:59
Je pense que tu assures au mieux la promotion de ce livre avec ton amie Polette.
C'est très méritoire, Colt, mais je ne crois pas que je vais mordre à l’hameçon... Désolé !

Colt
avatar 28/12/2010 @ 10:34:11
Bonjour JB
En partie oui, je me rends bien compte que j'assure la promotion des livres qui m'ont plu.
J'ai bien aimé les Mordillat et Prieur (et bien d'autres... il faut lire toutes mes critiques) et dernièrement celui de Moreau. Comment parler d'un livre que l'on a bien aimé sans être taxé d'en faire la promo ?
Sans être désobligeant, je me fiche un peu de ce qu'on peut penser de mes goûts. Ce livre est bien (un des meilleurs sur le sujet) et j'assume mes propos. Après que tu y trouves de la promo, c'est ton problème !
La mise au point étant faite, il n'en reste pas moins que des arguments pertinents sont apportés par cet auteur, dont celui que j'ai cité plus haut. Paraît-il tellement insurmontable que personne ne puisse ou n'ose en débattre ? Alors, c'est qu'il est juste et donne raison à la thèse de l'auteur...

Saint Jean-Baptiste 28/12/2010 @ 15:15:37
Salut Colt. J'ai peut-être tort de voir de la promotion partout.
Mais ta propension à citer partout ce Regis Moreau m'a inquiété – peut-être à tort.
Avant de prendre un auteur au sérieux, il faut se renseigner sur ce qu'il est.
Ce Regis Moreau est-il théologien ? Sait-il de quoi il parle ? Beaucoup d'auteurs écrivent pour choquer et pour vendre... et le sujet est bateau.

Saule

avatar 28/12/2010 @ 18:12:08
Si tu t'intéresses à la question de Judas, il y a un roman de Shûsaku Endô qui aborde la question (sans apporter de réponses). Je viens de le lire. Le titre est "Silence". Endo est un auteur japonais chrétien, ce roman raconte la persécution des chrétiens au Japon et comment on les torturait pour qu'ils apostasient leur foi. C'est un grand roman, par le thème et les questions théologiques, et par l'écriture.

Dans le roman, un père jésuite pourchassé est livré aux autorités, qui payaient une somme d'argent aux délateurs. Via le narrateur, l'auteur s'interroge sur le rôle de Judas dans l'évangile, et apparemment c'est un mystère qui ne trouve pas de réponses !

Bref, je conseille ce livre, Endo est assurément un grand auteur et la théologie passe souvent mieux via les auteurs romanesques (comme Graham Greene aussi d'ailleurs) que via les purs théologiens.

Stavroguine 28/12/2010 @ 18:47:55
Il y a une nouvelle sur Judas dans Fictions de Borges. Je suis peut-être un poil hors sujet, mais c'est une des meilleures du recueil (mais elles le sont toutes) et elle soulève des points de questionnement intéressants.

Saule

avatar 28/12/2010 @ 19:59:36
Je n'ai pas encore lu les nouvelles de Borges, malgré tout le bien dont j'en ai entendu. Il faudra quand même que je m'y mette.

Colt
avatar 02/01/2011 @ 12:57:14
J'apporterai une nuance : ce sont les façons de l'aborder qui sont bateau. La thèse de la trahison n'est jamais remise en cause. Ce qui fait l'objet de discussion, ce sont les raisons de la trahison. Ces derniers temps, on a assisté à une nette amélioration de l'image de Judas parce qu'on est passé du diable incarné au disciple obéissante à une injonction de son maître.

Très rares sont les chercheurs à avoir osé interroger la trahison elle-même. Et là, il ne faut pas attendre grand chose des universitaires : bien trop frileux, aucun ne voudra risquer le discrédit en ouvrant la voie. La carrière prof passe avant tout.
Par exemple, dans le livre de Klauck sur Judas (une référence), on sent que l'auteur se retient d'aller au bout de ces observations. Après avoir démonté tous les arguments soutenant la trahison, il préfère conclure sagement en disant qu'on devrait réviser notre jugement sur le personnage. Mais de remise en question profonde, il n'y a pas !

C'est pourquoi il est intéressant que des journalistes, des écrivains, ou des personnes étrangères au petit monde l'exégèse s'empare du sujet et ose le traiter différement. C'est à la fois un problème et à la fois une solution.
Ce sont des auteurs ou des inventeurs non conformes qui ont donné à l'histoire leur plus belles découvertes. Les personnes moulées et formatées ne font pas grand chose de nouveau (je ne dis pas qu'elles ne font rien !).
Le livre que j'ai eu entre les mains est bien écrit et sérieux. Les sources sont clairement indiquées (l'auteur est un universitaire) et ses arguments sont nouveaux (pour moi) et convaincants. Qu'il soit ou non du cercle des éxégètes n'est pas un souci. Que ces arguments soient discutés et on verra après. C'est justement par les débats que l'on avance, non ? Le Da Vinci code a moins eu cette heureuse conséquence d'avoir soulevé l'intérêt et des débats : de quoi réinterroger les textes, soulever de nouvelles questions, etc. N'est-ce pas une partie essentielle ?

Colt
avatar 03/01/2011 @ 23:02:11
Je pense que tu assures au mieux la promotion de ce livre avec ton amie Polette.
C'est très méritoire, Colt, mais je ne crois pas que je vais mordre à l’hameçon... Désolé !

Je suis en train de lire Ehrman "la construction de Jésus", critiqué par Spiderman. Sa "critique" est vraiment louangeuse : Pourquoi n'a-t-il pas eu droit à la même remarque que moi ?
En tous les cas, je prendrais plaisir, une fois ce livre fini, à mettre ma petite note en ligne : beaucoup de choses à dire !!!

Guigomas
avatar 04/01/2011 @ 13:13:03
Il y a une nouvelle sur Judas dans Fictions de Borges. Je suis peut-être un poil hors sujet, mais c'est une des meilleures du recueil (mais elles le sont toutes) et elle soulève des points de questionnement intéressants.


Oui, ceux qui s'intéressent à Judas ne doivent pas rater "Trois versions de Judas" dans Fictions, où Borgès présente trois hypothèses dont l'une est proprement... renversante !

Loic3544

avatar 04/01/2011 @ 13:17:16
En fait, je ne suis pas sûr que la question soit primordiale.
La Bible est avant tout un livre de symboles qui n'est pris au pied de la lettre que par les extrémistes. A partir de là, savoir si Judas a réellement trahi ne revêt qu'une importance secondaire à mon sens.
Le bouquin peut être intéressant, mais je pense que tout ce qui vise à "rationaliser" la Bible a un coté artificiel.

Pieronnelle

avatar 04/01/2011 @ 16:25:40
Mais la trahison de Judas (en supposant qu'elle ait bien existé) est elle aussi symbolique, non, dans les évangiles? S'interesser au rôle et à la personnalité de Judas est à mon avis interessant pour connaitre aussi la personnalité de Jésus. J'ai lu "l'évangile de Judas" établi d'après certains textes retrouvés en très mauvais état. J'avoue que je ne sais pas vraiment ce qu'il faut en penser, beaucoup de passages manquent et sont interprêtés, mais il en ressort que les rapports entre Jésus et Judas n'auraient pas été tels qu'ils sont retraçés dans les évangiles. Ce sont des rapports troublants et qui ouvrent à certaines interrogations.

Colt
avatar 04/01/2011 @ 20:21:46
En fait, je ne suis pas sûr que la question soit primordiale.
A partir de là, savoir si Judas a réellement trahi ne revêt qu'une importance secondaire à mon sens.
Le bouquin peut être intéressant, mais je pense que tout ce qui vise à "rationaliser" la Bible a un coté artificiel.


C'est vrai que c'est très dur de faire la part des choses dans les Evangiles : les faits, les interprétations des faits, les inventions de faits, les paroles authentiques, les paroles inventées, les interprétations des paroles inventées, etc... on en finit pas ! Pourtant, c'est intéressant de se frayer son chemin dans cette jungle, et donc de lire des auteurs sur le sujet et de développer ses propres réflexions.

Faisons l'hypothèse que Judas n'a pas trahi. Je me pose aussitôt cette question :
- Pourquoi l'avoir présenté comme un traître ? Pourquoi oser dire qu'un proche de Jésus l'a trahi ? La réponse apportée par l'auteur n'est pas anodine et me fait penser que le message religieux qui a été mis dnas la bouche de Jésus n'est peut-être pas le bon. Du coup, pour un croyant, c'est embêtant de savoir qu'on a posé sa foi sur un Evangile tronqué qui relève de certains disciples de disicples de Jésus et non de Jésus lui-même.
Du coup, je trouve que la trahison de Judas n'est pas un sujet secondaire.

Colt
avatar 04/01/2011 @ 20:27:51
Mais la trahison de Judas (en supposant qu'elle ait bien existé) est elle aussi symbolique, non, dans les évangiles?

Pourquoi pas ! C'est une interprétation à soutenir. Judas dans la figure de l'opposé de Jésus. Cela aurait effectivement un sens. Mais après, je ne vois pas pourquoi on aurait choisi de le présenter comme un des Douze et non comme un juif éloigné de Jésus.

S'interesser au rôle et à la personnalité de Judas est à mon avis interessant pour connaitre aussi la personnalité de Jésus.

C'est aussi mon avis parce que sa présence, qu'il ait trahi ou non, en dit long sur le ministère de Jésus.

J'ai lu "l'évangile de Judas" ... Ce sont des rapports troublants et qui ouvrent à certaines interrogations.

Après, je pense que c'est un texte du IIème siècle, qui raconte une histoire de foi et non une histoire authentique. Outre le fait qu'elle nous renseigne sur la pensée théologique d'un groupe chrétien particulier, il nous indique aussi que la figure de Judas n'était pas encore tout à fait enfermé dans celle du traître le plus détesté de l'histoire de l'humanité.

Colt
avatar 09/01/2011 @ 19:57:49
Je viens de finir la lecture de Ehrman ("La construction de Jésus"), et j'ai laissé une critique.
Quelques points m'ont laissé interrogateur : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/24781
Pour ce que que ça intéresse d'en discuter, ce sera avec plaisir !!!
A bientôt

Saule

avatar 09/01/2011 @ 23:21:03
Ça a l'air intéressant, en effet. Si je comprends bien, l'auteur montre que la "construction" de Jésus a eu lieu dans les siècles 1 et 2 ? Au moment ou les évangélistes et ensuite les pères de l'Église ont établi et affiné les dogmes principaux (Incarnation, Résurrection,..) et les idées de base (Vie éternelle,..) de ce qui est devenu le christianisme ? Il me semble en effet très important d'analyser comment une doctrine donnée s'est développée, historiquement.

D'un autre côté, je ne vois pas trop ce que ce genre de livre pourrait m'apporter. Je préfère nettement lire Sainte Thérèse de Lisieux par exemple (je lis sa correspondance pour l'instant, c'est un émerveillement permanent), j'y trouve bien plus la figure de Jésus que chez ces exégètes historico-scientifiques (sans minimiser l'intérêt qu'un autre puisse y trouver bien sur).

Colt
avatar 10/01/2011 @ 15:14:59
Ça a l'air intéressant, en effet. Si je comprends bien, l'auteur montre comment une doctrine donnée s'est développée, historiquement.

Tout à fait
Dans un livre précédent, l'auteur décortiquait les christianismes primitifs, voulant prouver que la religion chrétienne n'a pas toujours été une et une seule, mais un ensemble de communauté ayant des idées différentes sur le message de Jésus. Par la suite, un groupe s'est imposé aux autres et a dicté sa conception, celle qui a traversé les âges et que nous connaissons tous à présent.

Je préfère nettement lire Sainte Thérèse de Lisieux par exemple, j'y trouve bien plus la figure de Jésus que chez ces exégètes historico-scientifiques.

Oui, je comprends. Mais là tu sembles parler du Jésus de ta foi, alors que les exégètes recherchent la figure historique de Jésus. Les deux ne sont pas superposables (même s'ils peuvent avoir des points de jonction, bien-sûr).
Bonne recherche !

Saint Jean-Baptiste 14/04/2015 @ 12:34:11
Colt
J'ai eu ma « période religieuse » mais maintenant je suis passé à autre chose, ce qui explique que je n'ai pas donné suite à ton message. Pourtant je suis bien conscient de ne pas en avoir fait le tour ; même en y consacrant sa vie entière, on y arriverait pas.
Mais le sujet m'intéresse toujours autan.

Le personnage de Judas est terrifiant ; qui n'a pas frissonné en lisant : « il aurait mieux valu qu'il ne soit jamais né » !
Cette sentence embarrasse tous les prof de religion parce qu'il accrédite la thèse de la prédestination qui, pourtant, est rejetée par l’Église.
Je me souviens que nos bons prof de religion, des abbés bons vivants, faisaient plutôt dans le quiétisme : ils nous disaient que rien n'est écrit d'avance et qu'un pendu avait le temps de regretter sa faute, entre le moment où il se jetait dans le vide et l'instant où il mourrait. Ils nous rappelaient aussi que sainte Thérèse de Lisieux disait : « l'enfer existe mais Dieu est trop bon, il n'y enverra pas ses pires ennemis ».

Mais revenons à notre malheureux Judas !
Tu as raison, c'est Marc qui en parle le mieux. Marc n'était pas un apôtre, c'était un disciple très jeune ; tous les exégètes s'accordent à dire qu'il était le fils de Marie, une « sainte femme » qui a accompagné Jésus dès le début et qui le recevait à manger quand il était à Jérusalem ; c'est chez elle que Pierre s'est réfugié après sa fuite de prison et qu'il a retrouvé les disciples en prière. Marc était certainement présent, puisque c'était chez sa mère. Il était certainement un ami et admirateur de Pierre qui était « un grand ».

Tous les exégètes sont aussi d'accord (et pour qu'ils soient tous d'accord il en faut beaucoup) ils sont donc tous d'accord pour dire que Marc était au jardin de Guethsémani ; son évangile raconte ( Mc 14,51) qu'un jeune garçon s'est échappé en laissant son vêtement aux soldats. Il ne cite pas le nom de ce jeune garçon parce que c'est lui.

L'évangile de Marc a été écrit à Rome sous la dictée de Pierre qui ne savait pas écrire et qui lui a raconté ses souvenirs. C'est ce qui lui donne ce côté anecdotique et d'une précision extraordinaire dans les détails de la vie de Jésus.
Pierre a été le seul témoin direct du départ de Judas vers les Grands Prêtres au moment où il avait décidé de livrer Jésus, parce que Jésus le lui a dit au moment même.
Après coup, les autres Évangélistes se sont souvenus quand Judas les avait quitté.

Jean l’Évangéliste était le fils d'un Grand Prêtre, ce qui explique qu'il a pu entré au temple et assister à tout le procès de Jésus, alors que Pierre n'a pas pu entrer.
Jean était assis à côté de Jésus à la Dernière cène et c'est le seul à qui Jésus a confié que Judas allait le livrer quand il lui a dit : « ce que tu as à faire, fais le vite ». (J 21,28). Les autres ont cru que Judas allait acheter des denrées pour la fête.

A ce moment là, Jean avait tout au plus 15 ans et on sait que c'est le même auteur qui a écrit son Évangile et l'Apocalypse. Et on sait quand a été écrit l'Apocalypse. Des programmes d'ordinateur permettent d'identifier les auteurs avec une quasi certitude.
Matthieu et Luc ont raconté les événements après coup, quand ils ont su que c'était Judas qui avait trahi Jésus. Ce qui explique qu'ils ont été moins précis.

Évidemment, il est permis de mettre en doute l'authenticité des Évangiles. Je sais qu'une école soutient qu'ils ont été écrits au IIIème siècle par les Pères d'Alexandrie, pour se mettre en conformité avec l'ancien Testament et accréditer le personnage de Jésus, comme le Dieu annoncé par les Prophètes.

Mais je trouve que cette thèse est « tirée par les cheveux ». Je trouve plus plausible de penser que nous avons quatre témoignages de témoins directs qui ont écrits leurs souvenirs au moment où les disciples de Jésus souhaitaient des témoignages écrits.
Et ils ne pouvaient pas raconter n'importe quoi : leurs premiers lecteurs se souvenaient de Judas qui était un un personnage très connu comme activiste résistant au Pouvoir romain. Et ils savaient qu'il avait disparu ; mais il n'est pas sûr qu'il se soit pendu.
Certains auteurs prétendent que saint Paul l'a retrouvé, repenti, à Damas, parce qu'il y a une similitude de nom... Encore une fois, ça arrangerait bien les choses mais ça me paraît plus invraisemblable que la version canonique.

Comme disait ma sainte mère, toute cela nous sera révélé si nous allons au paradis et nous aurons toute l'éternité pour enfin savoir la vérité...

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