Stavroguine 02/07/2010 @ 01:56:18
Le Détroit de la Faim, c'est LE chef-d'oeuvre de Tomu Uchida.

Tomu Uchida, comme son nom l'indique, est un réalisateur japonais. Moins connu que Kurosawa ou Ozu, il appartient quand même à cette génération prodigieuse de cinéaste nippon de l'âge d'or, grosso modo de 1940 à 1970. Si pour les Occidentaux, le cinéma japonais de cette époque est surtout représenté par les chronique sociales d'Ozu et les films de samouraïs de Kurosawa, il est un autre domaine dans lequel les Japonais ont excellé - en étant même dans une certaine mesure les précurseurs -, c'est le film noir (en français dans le texte). Dans cette catégorie, on pense notamment aux chefs-d'oeuvre de Kurosawa, type L'Ange Ivre ou Les Salauds dorment en paix. Il faut y ajouter Le Détroit de la Faim.

Le film s'ouvre sur une scène d'anthologie (pour rappel, on est en 1965 lorsque le film est réalisé) : Hokkaido, un typhon annoncé, un ferry qui quitte son port, le typhon change de direction, un naufrage. Pendant ce temps, sur terre, deux hommes assassinent un prêteur sur gage et mette le feu à sa maison, rejoignent un complice, sautent dans un train et rejoignent Hokodate pour profiter de la confusion créée par le naufrage pour traverser le détroit et disparaître. Un peu plus tard, le typhon a propagé le feu dans le village et les deux meurtriers ont disparu. On retrouve le seul complice qui va trouver refuge dans les bras d'une prostituée avec laquelle il se trouve particulièrement généreux. Un inspecteur mène l'enquête, mais elle piétine et l'affaire tombe dans l'oubli. Seule la prostituée entretient le souvenir de son bienfaiteur de façon quasi-fétichiste quand soudain, elle croit le reconnaître à Tokyo sous les trait d'un riche et généreux industriel.

Il est dit que la valeur d'un film se mesure à celle de son méchant. Dans Le Détroit de la Faim, il n'y en a pas. A l'image d'un Dostoïevski dans Crime et Châtiment, Tomu Uchida fait d'une intrigue policière une chronique sociale de la misère sur fond de Japon d'après-guerre. Tout dans ce film est histoire de tempête, du genre de celles qui déchaînent une mer calme et les hommes, causant à chaque fois sont lot de morts, innocents et inutiles.

Dans cette fresque de trois heures portée par de magnifiques acteurs, on erre des bas-fonds de Hokkaido à ceux de Tokyo, on assiste à la lente descente aux enfers d'un bon flic, à la transformation d'un pauvre type en meurtrier, puis en magnat, à la vie d'une gamine vendue par ses parents endettés dans une maison close, à une double enquête policière, à un pays détruit qui tente de se relever dans lequel les kimonos croisent les tailleurs. Dans tout ceci, pas de gentils et pas de méchants, donc, juste des hommes et des femmes qui sont incapables de se faire confiance, qui sont propulsés dans des situations trop larges pour eux, qui, à un moment, perdent le contrôle.

Le Détroit de la Faim, de Tomu Uchida, est un film grandiose. Le rythme est lent, on y parle japonais, c'est en noir et blanc (ou plutôt en gris), ça dure trois heures, et pourtant, on ne s'ennuie pas un seul instant. Entre des personnages charismatiques et attachants, une intrigue et une mise en scène maîtrisées, des séquences d'anthologie et une fin splendide, c'est un film à voir !

En écrivant ça, je pense à Pendragon, bien sûr, dont je serais heureux de recevoir les impressions. Je pense aussi à Novi, l'expert es film noir à la dent dure. Je pense à tous les amateurs de cinéma et même à ceux qui, fâchés avec lui, voudraient essayer de se réconcilier !

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