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Farfalone
26/11/2009 @ 18:07:01
Maurice PIALAT
La gueule ouverte

Ca débute sur une mère et son fils entre lesquels un silence qui semble instauré depuis l'éternité est souligné par Mozart. Le disque a été posé sur le plateau de l'électrophone comme pour rompre ce silence. Pialat a choisi -est-ce innocent?- l'air des adieux de Cosi fan Tutte, "Adio...Adio", pour souligner cette scène, ce long, cet interminable plan-séquence où l'on sent que tout ce qui n'a jamais pu être dit ne le sera jamais. Philippe, le fils se réapproprie par cette musique l'espace que le silence bouffait littéralement.

La mère dès lors se meurt, d'une longue et douloureuse maladie et ce sont ses derniers instants qui nous sont livrés, pendant lesquels une présence-absence se transforme peu à peu en corps sans vie, pétrification du support d'une existence dont on devine qu'elle a été sans relief.

Le fils prend la voie du père, le père qui est "la figure principale de l'absence, au coeur des non-dits...". Il prend le même chemin qu'un père qui toute sa vie aura été un coureur de jupon auprès duquel a survécu la mère qui meurt là, maintenant. " Ton père, le lendemain de son mariage, il retournait voir sa maîtresse" dit à Philippe sa femme. Et lui-même cherche un réconfort auprès d'une conquète fugitive avec laquelle il ne parvient pas à instaurer un rapport, même pas charnel, tout pris qu'il est par son désir et par la néantisation de l'autre que crée son incapacité à entrer en contact avec l'autre.
Il manque à tous ces personnages, le père, la mère, le fils, la parole; et la mère transformée sous nos yeux en "corps mort" dont la présence pèse encore aux autres est, dans ses impossibles tentatives de parler de mourante, en quelque sorte le symbole de ces chairs tourmentées incapables de s'exprimer.

Personnages donnés à voir, sans explications, sans indices autres que ce que l'on voit: le spectateur doit chercher ces indices pour comprendre ce qui se passe. Ces indices sont ténus, car ici comme dans la vraie vie rien n'est expliqué. L'autre s'appréhende par le regard, par la vision de ses actes, de son comportement, comme un personnage que l'on verrait s'agiter derrière une vitre et dont l'on n'entendrait pas les paroles. Comme dans la vraie vie, rien de ce qui nous est donné à voir ne présente ce caractère linéaire que confère la narration conventionelle. Il n'y a pas de continuité ni de clôture de la narration; celle-ci laisse des béances, des ellipses qui rappellent que notre perception consciente est fragmentaire: la caméra, à l'instar de notre système perceptif n'enregistre que l'essentiel sans en livrer les causes.

Ces personnages n'ont pas d'occupation de leur esprit, mises à part les préoccupations engendrées par une vie machinale entièrement dévolue au quotidien. On sent qu'ils ne pensent pas, qu'ils ressentent vaguement, que la parole qui leur manque n'a pas seulement rendu impossible leur communication, mais que ce défaut de langage a obéré de façon définitive leur capacité à réfléchir.

Cinéaste du vide, Pialat? Du vide qui subsiste lorsque les explications psychologiques, les déterminismes, les causes invoquées ou apparentes ont montré leurs limites nous laissant en face de l'homme dans tout son insondable mystère. C'est sans doute cela, ce décrassage de nos certitudes sur l'âme humaine qui crée chez le spectateur cette gêne, ce malaise de celui qui derrière l'apparence d'humanité soupçonne le néant.

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