Page 1 de 1
Nikita MIKHALKOV
Soleil trompeur
En toile de fond, à peine perceptible tant le lieu ou se déroule l'action baigne dans le bonheur, un des ces bonheurs -à la russe- tel qu'on les imagine en lisant Makine par exemple ou Tchékov, c'est à dire un bonheur fait de plaisir d'être ensemble, toujours comme pour la dernière fois, ensemble des gens aux coeurs sensibles, un peu fantasques, empreints de nostalgie, la larme prompte, en toile de fond de cette exposition de l'âme slave, Staline.
Le Petit Père du Peuple, physiquement absent de cette demeure bucolique, datcha réservée à la nomenklatura et qu'occupe le Colonel Sergueï Kotov et sa famille, est néanmoins présent, omniprésent, dans les silences et au travers des manifestations du culte qui lui est voué, et qui est visible ce culte dès que l'on sort de l'espace privé.
L'époque est celle de la grande purge de l'Armée Rouge au cours de laquelle soixante quinze mille officiers furent fusillés, avec pour seule raison connue, soupçonnée de nos jours, leur appartenance aux débuts de la Révolution. Le Colonel Kotov est un de ceux là, dont la photo en compagnie du Camarade Staline, preuve de leur proximité, figure discrètement dans son bureau. Discrètement car contrairement à son maître, le colonel n'est visible que parce que le peuple le connaît. Et si le peuple le connaît c'est qu'il a été admis au panthéon des héros de l'Union Soviètique et qu'à ce titre son visage et sa vie sont publics. Il est un héros, un héros de la guerre contre les Blancs, une brigade de jeunes pionniers porte son nom, mais lui n'affiche pas sa gloire. Il est un homme bon, cela se voit, cela se sent, cela s'éprouve à travers ses actes, ses actions, tel qu'il nous est donné à voir le long de cette journée qui sera la dernière journée de paix qu'il connaîtra avant sa suppression, journée de paix que malgré la menace qui pèse sur lui il voudra, pour les siens, vivre comme une journée de bonheur. Il est un homme bon, sans détours, avec de l'honneur et énormément d'amour. Et ses amours sont sa jeune femme Maroussia et sa fille Nadia. Et son bonheur est complet, il aime sa Patrie, sa femme sa fille, ses amis, le peuple et presqu'au dessus de tout le Petit Père du Peuple, soleil qui illumine Patrie, Peuple, Colonel, femme, fille et la terre entière.
Mais il faut que le cours de l'Histoire, accéléré à marche forcée par Staline accèlère encore. Le bonheur réalisé dans la patrie du Socialisme Réel ne souffre pas les attermoiements et la nostalgie. Le bonheur futur est menacé par les agissements ou les nostalgies supposées des cadres de l'armée. Tout ceci n'a de réalité que dans le cerveau du chef, mais n'est-il pas conscient pour l'ensemble du Peuple de ce qui menace celui-ci, chef infaillible d'un parti infaillible?
Mitia sera l'Ange annonciateur. De l'ange il possède tous les attributs, du bon ange, gentillesse, charme, il envoute littéralement Nadia qui fait sa connaissance ce jour-là. Mitia raconte des histoires à la petite fille, Mitia joue au piano le cancan pour les grand-mères et pour Maroussia, Mitia charme tout le monde même Sergueï, même si ce dernier est charmé malgré un soupçon, une inquiètude. Mitia n'a-t-il pas été l'amant de Maroussia, exilé voilà dix ans, laissant cette dernière désemparée et que Serguéï son aîné a récupéré? Reviendrait-il pour reconquérir celle-ci?
Non il n'est que porteur de l'ordre d'arrestation de Serguéï, car Mitia est membre du NKVD. Et si il arrive seul à la datcha, ne précédant que de quelques heures son équipe de gros bras c'est sans doute qu'il a voulu épargner à Maroussia la brutalité d'une arrestation ordinaire.
Mitia est le Judas car il est celui qui, petit bourgeois a sauvé sa vie en acceptant d'effectuer la basse besogne de la Sécurité du Peuple. Lui n'a aucun lien avec Staline sinon qu'il est un des rouages de la machine, qu'il est pris dans l'engrenage et qu'il est là, en tant que personnage pour nous faire voir comment un être sensible raffiné (il est pianiste) peut, à l'instar du "Conformiste" de Bernardo Bertolucci ou du protagoniste des "Bienveillantes", quoi que pas tout à fait pour les mêmes raisons, mais avec le même résultat, devenir un Judas et se vendre pour moins de trente deniers. Mais ce qu'il aura appris, Mitia c'est que même si sa compromission sert le pouvoir aveugle, elle le laissera éternellement face à lui-même, et cela il ne l'admettra pas. Le film se termine dans sa salle de bain, où seul avec lui-même et vêtu, dans sa baignoire rougeoyante il éxécute le verdict qu'il s'est à lui-même appliqué, reliant cette âme slave dont il est le noir côté à la grandeur des Grecs.
Soleil trompeur
En toile de fond, à peine perceptible tant le lieu ou se déroule l'action baigne dans le bonheur, un des ces bonheurs -à la russe- tel qu'on les imagine en lisant Makine par exemple ou Tchékov, c'est à dire un bonheur fait de plaisir d'être ensemble, toujours comme pour la dernière fois, ensemble des gens aux coeurs sensibles, un peu fantasques, empreints de nostalgie, la larme prompte, en toile de fond de cette exposition de l'âme slave, Staline.
Le Petit Père du Peuple, physiquement absent de cette demeure bucolique, datcha réservée à la nomenklatura et qu'occupe le Colonel Sergueï Kotov et sa famille, est néanmoins présent, omniprésent, dans les silences et au travers des manifestations du culte qui lui est voué, et qui est visible ce culte dès que l'on sort de l'espace privé.
L'époque est celle de la grande purge de l'Armée Rouge au cours de laquelle soixante quinze mille officiers furent fusillés, avec pour seule raison connue, soupçonnée de nos jours, leur appartenance aux débuts de la Révolution. Le Colonel Kotov est un de ceux là, dont la photo en compagnie du Camarade Staline, preuve de leur proximité, figure discrètement dans son bureau. Discrètement car contrairement à son maître, le colonel n'est visible que parce que le peuple le connaît. Et si le peuple le connaît c'est qu'il a été admis au panthéon des héros de l'Union Soviètique et qu'à ce titre son visage et sa vie sont publics. Il est un héros, un héros de la guerre contre les Blancs, une brigade de jeunes pionniers porte son nom, mais lui n'affiche pas sa gloire. Il est un homme bon, cela se voit, cela se sent, cela s'éprouve à travers ses actes, ses actions, tel qu'il nous est donné à voir le long de cette journée qui sera la dernière journée de paix qu'il connaîtra avant sa suppression, journée de paix que malgré la menace qui pèse sur lui il voudra, pour les siens, vivre comme une journée de bonheur. Il est un homme bon, sans détours, avec de l'honneur et énormément d'amour. Et ses amours sont sa jeune femme Maroussia et sa fille Nadia. Et son bonheur est complet, il aime sa Patrie, sa femme sa fille, ses amis, le peuple et presqu'au dessus de tout le Petit Père du Peuple, soleil qui illumine Patrie, Peuple, Colonel, femme, fille et la terre entière.
Mais il faut que le cours de l'Histoire, accéléré à marche forcée par Staline accèlère encore. Le bonheur réalisé dans la patrie du Socialisme Réel ne souffre pas les attermoiements et la nostalgie. Le bonheur futur est menacé par les agissements ou les nostalgies supposées des cadres de l'armée. Tout ceci n'a de réalité que dans le cerveau du chef, mais n'est-il pas conscient pour l'ensemble du Peuple de ce qui menace celui-ci, chef infaillible d'un parti infaillible?
Mitia sera l'Ange annonciateur. De l'ange il possède tous les attributs, du bon ange, gentillesse, charme, il envoute littéralement Nadia qui fait sa connaissance ce jour-là. Mitia raconte des histoires à la petite fille, Mitia joue au piano le cancan pour les grand-mères et pour Maroussia, Mitia charme tout le monde même Sergueï, même si ce dernier est charmé malgré un soupçon, une inquiètude. Mitia n'a-t-il pas été l'amant de Maroussia, exilé voilà dix ans, laissant cette dernière désemparée et que Serguéï son aîné a récupéré? Reviendrait-il pour reconquérir celle-ci?
Non il n'est que porteur de l'ordre d'arrestation de Serguéï, car Mitia est membre du NKVD. Et si il arrive seul à la datcha, ne précédant que de quelques heures son équipe de gros bras c'est sans doute qu'il a voulu épargner à Maroussia la brutalité d'une arrestation ordinaire.
Mitia est le Judas car il est celui qui, petit bourgeois a sauvé sa vie en acceptant d'effectuer la basse besogne de la Sécurité du Peuple. Lui n'a aucun lien avec Staline sinon qu'il est un des rouages de la machine, qu'il est pris dans l'engrenage et qu'il est là, en tant que personnage pour nous faire voir comment un être sensible raffiné (il est pianiste) peut, à l'instar du "Conformiste" de Bernardo Bertolucci ou du protagoniste des "Bienveillantes", quoi que pas tout à fait pour les mêmes raisons, mais avec le même résultat, devenir un Judas et se vendre pour moins de trente deniers. Mais ce qu'il aura appris, Mitia c'est que même si sa compromission sert le pouvoir aveugle, elle le laissera éternellement face à lui-même, et cela il ne l'admettra pas. Le film se termine dans sa salle de bain, où seul avec lui-même et vêtu, dans sa baignoire rougeoyante il éxécute le verdict qu'il s'est à lui-même appliqué, reliant cette âme slave dont il est le noir côté à la grandeur des Grecs.
Le soleil était sans doute trompeur, mais quel rayonnement!
J'en garde un souvenir ému et admiratif aussi bien pour la mise en scène, le jeu des acteurs, les couleurs, bref rien que du bonheur.
Ce film est inscrit dans la liste de "tout ce qu'il faudrait absolument revoir ou relire" avant de plier bagage.
Le malheur est que cette liste ne cesse de s'allonger . J'ai toujours l'impression de me trouver au cirque de Pékin à courir d'un bâton à l'autre afin d'éviter la chute des assiettes.
Ce qui me console un peu (mais c'est idiot) c'est que nous sommes très nombreux sur scène à courir dans tous les sens.
Bref, magnifique et à offrir à tous les fous de cinéma.
J'en garde un souvenir ému et admiratif aussi bien pour la mise en scène, le jeu des acteurs, les couleurs, bref rien que du bonheur.
Ce film est inscrit dans la liste de "tout ce qu'il faudrait absolument revoir ou relire" avant de plier bagage.
Le malheur est que cette liste ne cesse de s'allonger . J'ai toujours l'impression de me trouver au cirque de Pékin à courir d'un bâton à l'autre afin d'éviter la chute des assiettes.
Ce qui me console un peu (mais c'est idiot) c'est que nous sommes très nombreux sur scène à courir dans tous les sens.
Bref, magnifique et à offrir à tous les fous de cinéma.
Oui, c'est un très bon film.
Oui, c'est un très bon film.
Ah mince, voilà que je re-bégaie ; il y avait longtemps.
Je reviens pour ajouter que Mikhalkov a commis un autre film, très beau, dénommé Urga.
Je reviens pour ajouter que Mikhalkov a commis un autre film, très beau, dénommé Urga.
Mikhalkov, c'est beau.
Magnifique, c'est vrai !
Mais de grâce, Donatien, ne parle pas des choses qu'il faut faire "avant de plier bagages" !
Nul ne sait quand il les pliera...et personnellement je ferai tout pour les plier en ayant toute ma tête pour éviter de partir à 98 ans après 15/20 ans d'Alzheimer ! (Désolée de mettre cette réflexion dans ce fuseau.)
Mais de grâce, Donatien, ne parle pas des choses qu'il faut faire "avant de plier bagages" !
Nul ne sait quand il les pliera...et personnellement je ferai tout pour les plier en ayant toute ma tête pour éviter de partir à 98 ans après 15/20 ans d'Alzheimer ! (Désolée de mettre cette réflexion dans ce fuseau.)
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre