Farfalone
04/11/2009 @ 17:22:37
Le déclin de l'Empire Américain.
Denis Arcand

Problèmes de suralimentés.

Nous sommes au Canada (Montréal) en 1986 (date du film). Un repas réunit quatre hommes et quatre femmes.
Ils sont pour six d'entre eux des universitaires, professeurs (hommes et femmes) situés à différents niveaux hiérarchiques, une femme "au foyer" et une étudiante. La quarantaine, âge des interrogations à mi parcours d'une vie qui pour la plupart d'entre eux a été miséricordieuse, socialement parlant.

Ils, elles, cherchent, ont cherché le bonheur, et cette quête est ce qu'ils racontent.

Ils sont truculents: la préparation du repas (par les hommes) est l'occasion d'échanger un certain nombre de considérations sur le sexe et la conquête amoureuse, les fantasmes et les réalisations des uns et des autres. Personnages extravertis à la parole facile (des universitaires) ils sont, l' homosexuel en particulier, décomplexés. On pourrait dire a-complexés, tant il semble que leurs certitudes affichées par la parole n'aient jamais été confrontées au doute. Bref ce sont des bobos, intellectuels, mais bourgeois. Nul engagement chez eux, un sentiment d'irresponsabilité à peine teinté de bienveillance pour les autres. Bref ils sont dans une bulle.

Elles sont marrantes: nous faisons leur connaissance lors d'une séance en salle de sport, sauna et tout ce qui, procurant au corps le bien-être devrait procurer à l'esprit le bien-être. Leur conversation tourne également sur le sexe et leurs aventures. Par des flash backs meurtriers, Arcand nous apprend que les femmes des uns ont couché avec les maris des autres ou avec le célibataire de la bande. Elles sont femmes, plus conscientes peut-être de masquer le vide de leur vie par une pratique débridée.

Que faire d'autre? Un léger mais tout de même prégnant soupçon de gratuité effleure tout ce petit monde, la réalité du vrai monde ne leur est pas étrangère (ils l'enseignent, profs d'histoire qu'ils sont). Mais "le bon droit, la compassion, la justice sont des notions étrangères à l'histoire" est la sentence qui ouvre le film, sentence prononcée devant ses étudiants par l'un d'eux.

Dont acte. Puisque nous ne pouvons rien, jouissons. Un autre le dit carrément. Ecrire : pour quoi faire? Un livre? Des articles scientifiques? Il s'en publie dans le monde 5000 par jour.Alors il ne reste plus qu'à faire l'amour, et comme tout est relatif y compris l'amitié, avec les conjoints de ses amis. Sauf que contrairement au Clamence de "la Chute" on ne cesse pas d'avoir de l'amitié pour ces amis que l'on ne veut pas trahir. Non, on dissimule, et nous voilà dans le marivaudage. Mais quand on se découvre le marivaudage laisse place à la souffrance, dévoile la solitude."Moi non plus je ne vois personne en dehors de l'Université. Je suis comme toi".

Le repas sera troublé par l'intrusion de Mario pur pithécantrope roulant 4X4 mais dont le potentiel sexuel a fait chavirer l'une d'elle. "Je pensais pas qu'elle était rendue là" commente Louise. Mais lui, Mario, il a expliqué ses raisons: "Elle quand elle me fait bander j'la fourre", parce qu'on lui a dit "Les intellectuels ça parle". "Vous parlez tout le temps et vous faites rien". Tout est dit du fossé qui sépare ces intellectuels de la vraie vie des vrais gens, et en retour le regard que ceux-ci peuvent porter sur eux.

Dominique, directrice du département d'histoire, la plus disponible, la plus seule peut-être a publié un livre: le film illustre sa thèse, et le titre est emprunté à ce qui est sa conclusion: cette volonté exacerbée du bonheur n'est-elle pas liée au déclin de l'Empire Américain que nous avons commencé à vivre? Ce n'est pourtant pas un film à thèse. Mais ce n'est pas parce que ce n'est pas un film à thèse que ce n'est pas un film qui fait réfléchir. C'est peut-être là la définition de l'oeuvre d'art: nous instruire sur nous en nous réjouissant.

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