Aaro-Benjamin G.
avatar 17/10/2006 @ 19:26:20
Non, mais je rêve? Encore quelqu’un qui vient vomir sur les lecteurs du Da Vinci code sans même l’avoir lu!!

Vous pouvez dire autant de mal que vous voulez de la culture de masse, de Dan Brown et de ses romans, mais de grâce, ne méprisez pas directement ceux qui ne partagent pas votre opinion, surtout lorsque vous n’avez même pas fait l’effort de lire le bouquin en question!

Si quelque chose est indigne d’être lue, c’est bien votre critique éclair déplacée, arrogante et réductrice.

Julius 17/10/2006 @ 20:07:16
imaginez une bande de potes dans un troquet ... ils parlent de la télé, l'un d'eux dit : t'as vu le dernier arrêt sur image ? ... ouais putain, Chirac qui donne la légion d'honneur à Poutine, peu médiatisé en France ...
...
quand est ce qu'on descend dans la rue bordel !
d'un coup la porte s'ouvre à la volée, une charmante dame entre dans le bar et crie : "j'en ai marre de la star ac ! c'est de la merde, la télé y a rien, c'est rien que du n'importe quoi !"
... sûr qu'il lui faut à boire à la dame !

Guigomas
avatar 17/10/2006 @ 20:16:27
Putain Julius laisse un peu ta moquette tranquille !

Le rat des champs
avatar 17/10/2006 @ 20:32:18
Faut-il avoir testé pour dire que Dan Brown c'est de la merde? Oui, je crois.... Quand même, moi qui me suis farci deux des bouquins de l'abominable Dan, je confirme les propos de Cookie. Mais j'aurais aimé quand même qu'elle donne un avis basé sur sa lecture personnelle. Une critique du type "j'l'ai pas lu mais j'en ai entendu parler" ça fait un peu désordre.

Don_Quichotte
avatar 17/10/2006 @ 21:00:57
Ce qui est d'autant plus fort ; elle frappe juste sans même l'avoir lu !

Saint Jean-Baptiste 17/10/2006 @ 21:05:34
Aie, Cookie, si tu as dit que les Américains étaient des crétins, tu vas avoir à faire à un certain Rat des champs !
;-)
C'est pas très sérieux ta critique sans lire, mais c'est bien tapé quand même !

Sibylline 17/10/2006 @ 22:07:39
Putain Julius laisse un peu ta moquette tranquille !

Hélas, Julius a pourtant parfaitement raison. En gage d'amitié et d'estime, Chirac a donné sa propre légion d'honneur à Poutine. La télévision russe en diffuse volontiers la retransmission, alors qu'en France, motus. Ni image, ni communiqué de presse.
Devant l'insistance de l'équipe d'Arrêt sur image, la version officielle est finalement que "c'était en petit comité. Il n'y a pas eu de film... ni de photo". Comment ça on voit les flash sur le film? :-)))
En France, la presse est libre, mais sa liberté, elle préfère ne pas s'en servir. De peur qu'elle s'use, sans doute.

Le rat des champs
avatar 17/10/2006 @ 22:27:19
Aie, Cookie, si tu as dit que les Américains étaient des crétins, tu vas avoir à faire à un certain Rat des champs !
;-)

Mais non, SJB, pas tous, voyons!
C'est pas très sérieux ta critique sans lire, mais c'est bien tapé quand même !

Oui très bien tapé et très juste, les livres de Dan le vilain brun ne valent pas l'abattage des arbres qu'ils ont nécessité. Mais le jeu est de critiquer ce qu'on a lu. Sinon il y a les forums pour ça.

Charles 18/10/2006 @ 16:13:02
Je ne suis pas chauvine ni anti-américaine, croyez bien que je sais faire la part des choses et que je balaye devant ma porte. Mais sachant que le niveau culturel moyen des Nord-Américains est digne de celui d'un bulot (beaucoup d'états-uniens ne savent pas où se trouvent les principaux pays d'Europe et croient que les Français sont en retard d'un siècle sur leur propre peuple)


pffiouuu, ce qu'il ne faut pas lire, franchement ...
tiens d'ailleurs, comment expliquer le succès de Da Vinci Code en Europe et en France notamment ? faut croire qu'on a aussi pas mal de bulots ?

et d'ailleurs, un truc qui me fait toujours rire, c'est le coup des américains qui ne savent pas placer les pays européens ... Je serais curieux de savoir quelle est la proportion de français qui sauraient replacer l'ontario, le nevada, ou même new york et Seattle sur une carte des USA ! bien sur, ce ne sont pas des pays mais en terme de population, ça reste des zones importantes, non ? aussi importante que la Suisse, La France ou le Portugal ... Bref, toujours facile de voir la paille dans l'oeil du voisin ...

Ceci dit, je précise : pas pro ni anti us, pas lu Da Vinci, pas envie, ça a vraiment l'air bof mais je ne jugerai pas sans l'avoir lu.

Mieke Maaike
avatar 18/10/2006 @ 16:16:37
et d'ailleurs, un truc qui me fait toujours rire, c'est le coup des américains qui ne savent pas placer les pays européens ... Je serais curieux de savoir quelle est la proportion de français qui sauraient replacer l'ontario, le nevada, ou même new york et Seattle sur une carte des USA ! bien sur, ce ne sont pas des pays mais en terme de population, ça reste des zones importantes, non ? aussi importante que la Suisse, La France ou le Portugal ... Bref, toujours facile de voir la paille dans l'oeil du voisin ...

Je me fais chaque fois exactement la même réflexion !

Saule

avatar 18/10/2006 @ 16:19:27
Moi aussi et chaque fois qu'on critique les américains sur ce point je suis bien embêté car moi-meme je suis incapable de placer la plupart des états US sur une carte.

Le rat des champs
avatar 18/10/2006 @ 16:58:21
Moi non plus je ne pourrais pas situer les états américains sur une carte. Cependant, je vis dans un pays qui ne prétend pas imposer son sens de la liberté aux autres. Quand on est étatsunien, et qu'on a un président qui fait la guerre partout dans le monde, le moindre des civismes est de se documenter pour voir si ce qu'il raconte est bien exact. Bon allez, on va encore dire que je n'aime pas Bush. J'accepte volontiers le titre de ministre anti-Bush que Mieke me proposait il y a quelques jorus.

Guigomas
avatar 18/10/2006 @ 17:12:16
Quand on est étatsunien, et qu'on a un président qui fait la guerre partout dans le monde, le moindre des civismes est de se documenter.

(bon j'ai un peu coupé ta phrase là ou ça m'arrangeait)

Le Rat tu me fais bien rire, tu devrais proposer ça aux Guignols... Je vois bien une salle de classe Américaine avec salut aux couleurs puis entrée du commandant Sylvestre pour le cours de "A qui on fait la guerre" (anciennement appellé géographie)

Manu_C

avatar 18/10/2006 @ 17:17:09
et d'ailleurs, un truc qui me fait toujours rire, c'est le coup des américains qui ne savent pas placer les pays européens ... Je serais curieux de savoir quelle est la proportion de français qui sauraient replacer l'ontario, le nevada, ou même new york et Seattle sur une carte des USA ! bien sur, ce ne sont pas des pays mais en terme de population, ça reste des zones importantes, non ? aussi importante que la Suisse, La France ou le Portugal ... Bref, toujours facile de voir la paille dans l'oeil du voisin ...

Je me fais chaque fois exactement la même réflexion !


C'est d'autant plus vrai que, si mes souvenirs sont bons, l'Ontario est un état... canadien !!
;-)))

Un peu d'humour dans le débat...

et pour Cookie, je dis chapeau, avoir cerné aussi bien le bouquin sans l'avoir lu, c'est incroyable; c'est dire si on en a parlé, certainement trop

Aaro-Benjamin G.
avatar 18/10/2006 @ 17:48:20
C'est d'autant plus vrai que, si mes souvenirs sont bons, l'Ontario est un état... canadien !!
;-)))


Le Canada n'a pas d'états, mais des provinces.

Aaro-Benjamin G.
avatar 18/10/2006 @ 17:50:10
...et en effet, l'Ontario est une province canadienne.

Le rat des champs
avatar 18/10/2006 @ 18:00:54
Je vois bien une salle de classe Américaine avec salut aux couleurs puis entrée du commandant Sylvestre pour le cours de "A qui on fait la guerre" (anciennement appellé géographie)

Très drôle, j'imagine... :-))

Manu_C

avatar 18/10/2006 @ 18:14:02
C'est d'autant plus vrai que, si mes souvenirs sont bons, l'Ontario est un état... canadien !!
;-)))


Le Canada n'a pas d'états, mais des provinces.


Arghhh,

autant pour moi !!!!

J'ai fait l'amalgame....

Bon, je retourne à mes livres de géographie

;-)

Provis

avatar 18/10/2006 @ 19:01:33
Alors là, j’hésite pas, vous l’avez bien cherché !!!! .. :o)

Avec une pensée toute spéciale pour Leura, Julius, et consorts..
puisque l’auteur de cette excellente critique est le frère Jean-Michel MALDAMÉ*, dominicain de son état… :o)

http://biblio.domuni.org/articleshum/davincicode/

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

DECODER DA VINCI CODE

ÉTUDE SCIENTIFIQUE ET THEOLOGIQUE
DU ROMAN DE DAN BROWN ET DU FILM DE RON HOWARD

Le succès du roman de Dan Brown et la pression médiatique faite autour du film invite à une réflexion critique, non seulement sur ces œuvres, mais sur ce succès qui dénote la situation culturelle du religieux et du message chrétien dans le monde. Ce succès mène à des interrogations. Tel est mon projet dans cette étude critique, tout à la fois scientifique et théologique. Pourquoi ce succès ?
Une première raison est que l'ouvrage de Dan Brown est facile à lire. Ce n'est pas de la grande littérature, celle qui demeure des années durant dans les librairies universitaires, c'est le genre de littérature écrite pour être lue sur la plage ou dans le train. On lit vite, car l'intrigue est bien nouée. Dès le début, le lecteur est pris par le développement du thriller, même si son attention faiblit à cause de la longueur du roman. Le succès ne vient pas du style, mais du fait que le développement de l'intrigue permet aux héros de donner des informations sur les traditions ésotériques et de proposer de déjouer un complot multiséculaire. La valeur du livre grève d'ailleurs l'intérêt du film car l'action souffre des longues conversations qui donnent une information sur des doctrines ésotériques, dans le cadre d'un conflit entre les forces du mal et les forces du bien.
Je commencerai par situer l'intrigue, puis les sources de ce qui se présente comme un roman historique en me demandant s'il s'agit bien d'un roman historique. Ensuite il faudra voir les éléments proprement théologiques avant d'expliquer la religion dont le livre fait l'apologie. Ce qui me mènera enfin à une interprétation de la crise de civilisation dont témoigne le livre. Comme le film qui en été tiré reproduit pour l'essentiel l'intrigue avec des modifications mineures qui ne changent pas la démarche, la référence au livre sera première. On peut cependant relever que les images ont une force en elles-mêmes et que ce point demande attention.


I - UN THRILLER

Les premières pages du roman racontent un meurtre dans le musée du Louvre ; il est décrit en précisant bien que la victime est la quatrième d'une série. La victime est le conservateur du Musée du Louvre, Monsieur Saunière, dont on découvre peu à peu la personnalité. À partir de l'élucidation de ce meurtre, les péripéties de l'action mettent en scène des forces diverses, forces du mal contre forces du bien.
Une première force à agir est la force du bien, est représentée par deux personnages. La petite fille du conservateur assassiné, Sophie Neveu, et un jeune collègue de la victime, un américain, Robert Langdon. Ils sont jeunes, purs, beaux et intelligents. Poursuivis par la police et les forces du mal, ils doivent fuir et vont de péripétie en péripétie au fur et à mesure qu'ils décryptent les messages codés laissés par la victime. Saunière aurait voulu transmettre un secret ; il se savait menacé de mort, raison pour laquelle il avait demandé rendez-vous à sa petite fille et à son collègue nord-américain, spécialiste de l'étude des symboles ésotériques. Il voulait leur communiquer le secret et leur en confier la garde. Dans les minutes qui ont séparé la blessure mortelle et la mort, il a eu le temps de leur livrer un message. Mais comme il ne voulait pas le faire en clair, il le fit dans un langage codé, sachant que seuls Sophie et Langton sauraient décoder.
La force du mal est bicéphale. La première part est une institution ecclésiastique, présentée comme une société secrète, l'Opus Dei, agissant par l'intermédiaire d'un tueur, obéissant aveuglément à un prélat. La seconde part est un mystérieux maître dont l'identité ne sera connue qu'à la fin du roman. Leurs intérêts convergent : l'Opus Dei veut empêcher la divulgation du secret, tandis que le Maître veut voler le secret qui remonte aux origines du christianisme.
À ces deux forces participent une autre à l'action ambiguë, la police dont l'action est maladroite ; mais les policiers sont utiles et leur action est nécessaire à l'intrigue et ils aideront au triomphe du bien.
Au terme du récit, les forces du bien l'emportent. Les compétences conjointes de Sophie Neveu et de Robert Langdon leur auront permis de surmonter tous les obstacles et d'arriver à la découverte du secret dont la garde a été confiée à une société secrète, le prieuré de Sion, dont Monsieur Saunière était le dernier maître. Nous découvrons le secret en même temps que nos héros - et ce secret a une valeur sentimentale, car l'héroïne comprend peu à peu les énigmes de son histoire familiale et ce qui l'avait choquée chez son grand-père.
Les péripéties sont nombreuses, car en allant se réfugier chez un collègue américain de Robert Langdon vivant en France, Sir Leigh Teabing, nos héros ne savent pas qu'ils vont chez le Maître, instigateur des crimes car désireux de voler le secret dont ils viennent de retrouver le chemin par des messages non encore parfaitement décodés. Tout se termine bien : les forces du mal sont réduites à l'impuissance ; le manipulateur est démasqué et l'héroïne rétablie dans ses droits - à savoir son lignage et son honneur familial.
Ce livre se présente comme un roman à lire pour se détendre. Il est facile à lire ; écrit de l'écriture nerveuse qui convient aux romans policiers. Mais le succès est dû aussi à ce qui a été mentionné plus haut : le décryptage est l'occasion de faire dialoguer les deux héros ; leurs discussions donnent connaissance de quelques points clefs de la tradition ésotérique. De ce point de vue, le livre est une introduction fort pédagogique à des domaines qui fascinent un large public dans ce que l'on appelle ésotérisme. C'est sans doute la raison du succès du livre : on se laisse prendre par l'intrigue, mais surtout on a l'impression de découvrir un monde, celui du secret. Le succès est dû à l'habileté de l'auteur à mêler dans le récit ce qui est historique à la fiction. Il faut donc s'interroger sur la valeur historique du roman.


II - UN ROMAN HISTORIQUE ?

Le roman ressemble pour une part à un genre littéraire fort connu : le roman historique. Correspond-il à ce qu'exige une telle œuvre ?

1. Le roman historique est un genre littéraire très prisé, car il fait le lien entre l'imagination et le travail de l'histoire. Le lecteur se détend et il apprend sur le passé et l'histoire. Les romans d'Alexandre Dumas sont un modèle du genre ; ils ont ouvert à la production d'innombrables récits. Ceux-ci ont en commun de raconter une histoire-fiction en l'enracinant dans l'histoire au sens strict de science humaine, ou historiographie.
Un roman historique doit répondre à des exigences précises. La première est de ne pas introduire des personnages ou des événements qui contredisent ce qu'une étude scientifique a montré. Le roman doit se situer dans les ombres de l'historiographie. Pour cette raison, il met en œuvre des personnages qui ne sont pas de premier plan ou qui occupent une place que bien d'autres auraient pu occuper. Les péripéties du roman ne doivent pas contrarier l'étude scientifique des faits.
Ce qui est historique relève de l'étude et de la vérification. L'histoire repose en effet sur des documents et des témoignages que l'on passe au crible de la vérification. La fiction repose sur des inventions. L'art consiste à mêler les deux éléments sans qu'ils se contredisent.

2. Da Vinci Code participe de ce genre. Il se présente comme un roman, œuvre de fiction, mais la préface précise : « Toutes les descriptions de monuments, d'œuvres d'art, de documents et de rituels sacrés sont avérés » (p. 9). Ce n'est pas exact !
Si les lieux sont réels, la présentation qui en est faite n'est pas rigoureuse ; elle projette une vision qui dénature la réalité - comme on le montrera plus loin. Prétendre que tout est avéré n'est pas vrai.
La falsification est encore plus importante pour les acteurs de l'action. En effet, l'Opus Dei est une institution qui existe réellement. Elle fait partie des institutions de l'Église catholique ; elle est fort respectable ; elle n'a rien d'une secte - le film accentue la calomnie par des personnages caricaturaux. Les membres de cette association gardent une grande réserve sur leur appartenance à l'œuvre, puisqu'ils vivent dans une société sécularisée. Mais c'est ne rien comprendre à un vœu de religion fait par des laïcs que de les présenter comme membres d'une société secrète.
La préface prétend que la société qui lui est opposée a été fondée après la première croisade. Ce n'est pas vrai. La société secrète dite du Prieuré de Sion n'a pas laissé de trace dans l'histoire [voir plus bas]. Aucun historien ne mentionne l'existence d'un Prieuré de Sion. Il a existé près de Jérusalem à l'époque des croisés, une abbaye Notre-Dame-de-Sion, qui est bien connue et qui n'a rien d'une société secrète. Dire qu'elle a été fondée en 1099 après la première croisade est entièrement faux. La liste de ses maîtres relève de la fiction - la liste donnée page 408 rassemble des personnalités bien connues par ailleurs et que rien ne permet de mettre dans une même tradition (Sandro Botticelli, Léonard de Vinci, Connétable de Bourbon, Isaac Newton, Victor Hugo, Claude Debussy, Cocteau...) ; une telle liste ratisse large dans la culture européenne.
La fiction romanesque devient mensonge, puisque la mise en opposition des deux organisations n'est pas honnête. L'une est réelle ; elle est présentée de manière caricaturale, mais elle existe. L'autre est imaginaire. Ainsi l'intrigue met en opposition deux réalités qui ne sont pas du même ordre ; faire croire que l'une et l'autre sont du même ordre est un amalgame qui relève de la falsification.
Comme roman historique, Da Vinci Code ne respecte pas les normes habituelles et il entraîne de ce fait la confusion. Il y a là une mystification.

3. Le travail de l'historien consiste à utiliser des sources et son écriture se doit de les respecter. Un auteur est libre d'inventer des personnages. Il doit respecter les événements et les institutions, mais aussi le contexte culturel - ce qui suppose un grand savoir.
Ces exigences sont respectées dans des ouvrages qui ont eu un grand succès en traitant d'histoire et de philosophie par le biais d'intrigues criminelles, comme par exemple, Le Nom de la rose de Humberto Ecco. Cet auteur est un grand savant ; il met en forme de roman des thèses philosophiques qui enchantent les spécialistes par leur justesse. L'habit romanesque est pure fiction, car le cœur de l'intrigue est le débat philosophique développé par la mise en intrigue ; si les non philosophes n'en perçoivent pas les nuances et les subtilités, les propos des personnages sont fort pertinents aux yeux des spécialistes. Il en va de même, mutatis mutandis, dans les romans policiers écrits par Ellis Peter qui raconte les aventures du moine Cadfaël ; l'auteur est une médiéviste très érudite et on peut être sûr de la valeur du cadre de l'action, dont on sait qu'elle est en tout point imaginaire.
Par contre, dans Da Vinci Code, il est clair que l'auteur américain n'est pas spécialiste du Nouveau Testament, ni de l'histoire de l'Église ni des traditions ésotériques. Aussi, il est nécessaire, en bonne méthode intellectuelle, de se demander quelles sont les informations dont s'est servi dan Brown, puisque comme tout auteur, il a eu besoin d'une documentation. Il est donc important de discerner ses sources, avant d'en faire la critique de fond.


III - LES SOURCES DE L'HISTOIRE

Une remarquable enquête sur les sources a été faite par Marie-France Etchegoin et Frédéric Lenoir1. Il apparaît que Dan Brown a lu un certain nombre de best-sellers sur l'ésotérisme. Un indice de cette utilisation est qu'il a repris les noms mis en avant dans ces ouvrages pour ses personnages. La base principale est le livre de Henry Lincoln, Michael Baigent et Richard Leigh qui reprennent à leur compte des publications qui demandent examen2.


III - 1. LA LEGENDE DE RENNES LE CHATEAU

La première source utilisée par les trois auteurs est un livre publié par Gérard de Sède3, qui prétend avoir retrouvé la généalogie des Mérovingiens et la fait remonter à Jésus4, à partir de la figure d'un prêtre de l'Aude, l'abbé Béranger Saunière (qui porte le même nom que le conservateur du musée du Louvre victime du tueur et grand-père de l'héroïne Sophie Neveu).
L'histoire de ce prêtre est simple à comprendre pour qui connaît un peu l'histoire de France à la fin du XIXe siècle. Nommé curé de Rennes-le-Château, ce jeune prêtre découvre la misère de ce village et la désolation de son église. Il prend publiquement parti contre la République qu'il accuse de vouloir détruire la religion et d'avoir part à l'action du diable. Il est sanctionné par le ministre des cultes (nous sommes en 1885 avant la séparation de l'Église et de l'État) qui lui retire son salaire pendant 3 ans. L'incident le rend célèbre. On le présente comme d'une victime de l'intolérance des ennemis de la religion ; la comtesse de Chambord, veuve du prétendant au trône de France, vient à son aide et lui donne de l'argent dont il se sert pour restaurer son église. Le curé reçoit ensuite régulièrement des dons - par manière d'honoraires de messe - de la part des familles nobles et ce avec largesse. Pour respecter une certaine discrétion, l'abbé Saunière ne perçoit pas les mandats à la poste de son village, mais au chef-lieu où il se rend. Le voilà donc riche : après avoir restauré l'église, il se construit une solide demeure qui tranche dans ce pauvre village, d'autant qu'il y bâtit une tour qui surplombe la falaise. On jase. L'évêque veut le déplacer ; l'abbé use de son droit d'inamovibilité pour rester curé à Rennes le Château ; mais ce conflit avec l'évêque fait jaser d'autant qu'à sa mort, il ne lègue pas la maison au diocèse, mais à sa gouvernante... C'est l'ami de cette dernière, Noël Corbu, qui, à la mort de sa compagne, imagine que la fortune du curé était due au fait qu'il aurait trouvé un trésor caché dans son église. Quel trésor ? C'est alors que se construit un roman à partir du fait que Rennes le Château a été une citadelle wisigothique. L'auteur imagine que Titus, après avoir pillé Jérusalem, aurait emporté le trésor du Temple à Rome ; puis Alaric ayant pillé Rome aurait repris le trésor, qui aurait été ensuite caché à Rennes le Château, sous la menace des Francs...
Plus encore, il fallait expliquer pourquoi l'abbé Saunière avait tant d'amis dans l'aristocratie. L'abbé Saunière était un bon latiniste et il occupait les loisirs que lui laissait sa charge de curé de village pour mener des travaux d'érudition. Cette activité était très classique dans le monde ecclésiastique. L'idée est venue qu'il avait découvert non seulement de l'or, mais des manuscrits qui lui auraient donné la connaissance d'un secret : à savoir que Jésus aurait épousé Marie-Madeleine ; de ce mariage serait née une fille, laquelle serait l'ancêtre de Clovis et des rois mérovingiens. La découverte de ce secret aurait assuré la fortune de l'abbé Saunière et serait la source de ses amitiés dans l'aristocratie.
Il n'y a là rien qui puisse être reçu comme attesté et vérifié ; ce sont des interprétations fantaisistes, totalement infondées, puisque tout s'explique simplement et naturellement quand on connaît la situation d'un curé de campagne fier et érudit à cette époque.


III - 2. LE PRIEURE DE SION

Nous avons déjà relevé que contrairement à ce que prétend l'auteur, le Prieuré de Sion n'a pas existé. F. Lenoir et M.-F. Etchegoin ont mené l'enquête. Dan Brown dit que des manuscrits, attestant son existence, ont été retrouvés en 1975 à La Bibliothèque Nationale. Que sont ces documents ? Ce sont des textes récents dactylographiés vers les années 60, attestant que Plantard de Saint Clair descendrait des Mérovingiens. Ces textes dactylographiés citent des auteurs qui remontent au 17e siècle par des références qui n'aboutissent à rien. Les manuscrits ont été déposés par trois personnes, Pierre Plantard, Gérard de Sède et Philippe de Cherisey. Ils sont par ailleurs fondateurs d'une association dont les statuts ont été déposés en Suisse en 1956, le Prieuré de Sion, association dont le sous-titre est « Chevalerie d'Institution et Règle Catholique Indépendante et Traditionaliste ». Leur successeur à la tête du dit prieuré (Gino Sandri) a reconnu que tout avait été inventé par les trois compères5.
Le Prieuré de Sion serait-il une suite cachée de l'ordre des Templiers ? Cette question oblige à préciser quelques points sur l'histoire des Templiers qui est bien connue, mais elle a été l'enjeu d'une mythification qui voudrait que les Templiers aient survécu de manière clandestine. La fin de l'Ordre du Temple n'a rien de mystérieux. À la fin des croisades, après la destruction du Royaume latin, les templiers n'avaient plus de fonction. Ils représentaient un pouvoir qui inquiétait au premier chef le roi de France jaloux de son autorité ; ils n'étaient plus soutenus par le pape qui voyait en eux une entrave à sa politique. Ils n'avaient pas non plus de soutien populaire, parce que les fidèles ne comprenaient pas l'existence de ces moines soldats. Les biens des Templiers n'ont pas disparu mystérieusement ; ils ont été donnés par le pape aux Hospitaliers et à d'autres ordres religieux caritatifs qui avaient un réseau de soutien aux malades, aux pèlerins ou aux captifs ; ces ordres étaient aimés et respectés et ils ont utilisé les ressources dans ce sens.
Le thème du Temple est développé par Dan Brown sur un autre mode qui s'inspire lui aussi d'un ouvrage classique de l'ésotérisme, La révélation des templiers6. Ce livre prolonge la légende en faisant croire que les Templiers étaient des bâtisseurs d'église, selon un style propre. Les édifices religieux seraient bâtis selon des proportions et des formes qui évoqueraient le corps de la femme et même ses parties sexuelles. Or l'étude de l'architecture montre que ceci est une pure imagination ; d'une part, il n'y a pas d'art templier (comme il y a un art cistercien), car les templiers faisaient construire les églises par d'autres et, d'autre part, la structure d'une église obéit à des règles techniques et formelles qui ne relèvent en rien du souci de transposer le corps de la femme.
Il n'y a donc pas lieu d'imaginer un trésor caché, ni une survie secrète du Temple gardien du « féminin sacré » - ce sont des imaginations non conformes à l'histoire. Mais bien sûr il arrive que dans certains milieux, on en rêve dans le cadre d'un imaginaire de la chrétienté. Ce fut le cas de Pierre Plantard qui fut directeur d'un journal anti-juif diffusé en France pendant l'Occupation - et bien connu par les enquêtes policières et judiciaires qui se sont intéressées à ce groupuscule.


III - 3. LEGENDES SUR MARIE-MADELEINE

Une troisième source du roman consiste en des productions du courant religieux qui habite le féminisme en Amérique du nord. On peut la saisir dans les travaux d'une érudite Elaine Pagels, qui a fait de longues études et édité des textes gnostiques ; parmi eux trois évangiles attribués à Philippe, Thomas et Marie-Madeleine. Ces textes ont été retrouvés dans une bibliothèque gnostique en Égypte à Nag Hammadi, en 1945. Elaine Pagels a fait une étude scientifique de ces textes ; puis elle en a vulgarisé une interprétation. Celle-ci reconstruit une histoire des origines du christianisme de manière à justifier ses options de militante féministe dans un ouvrage qui a eu un très grand succès, Adam, Ève et le Serpent7.
L'étude scientifique des textes gnostiques a été faite. Les textes ont été écrits aux deuxième et troisième siècles, dans le cadre de ce que l'on appelle la Gnose8. Ils expriment une conception qui ne saurait être présentée comme un courant qui remonterait aux apôtres9. Le phénomène de pseudépigraphie - classique dans l'Antiquité - est ici manifeste. On n'accède ni à des actes avérés, ni à des paroles authentiques de Jésus par de tels textes. On a un témoignage sur un courant religieux, chrétien pour l'essentiel, combattu par la majorité des chrétiens d'alors.
La thèse gnostique reprise par Elaine Pagels est que Marie-Madeleine était l'héritière spirituelle de Jésus et que Pierre et les autres l'ont écartée, parce que femme. Depuis lors, l'église de Pierre persécuterait cette tradition qui de ce fait a été contrainte à se cacher. La persécution est à la source de l'ésotérisme. La mouvance féministe nord-américaine prend appui sur cette tradition pour dire que l'Église romaine n'est pas fidèle à Jésus qui avait choisi Marie-Madeleine pour prendre la tête de la communauté chrétienne. Ceci repose sur un texte tiré de l'évangile de Philippe10.
Telles sont les sources utilisées par Dan Brown pour écrire son roman. La reprise de ces éléments, sans aucun souci critique, fait que le roman de Dan Brown est un mauvais roman historique. Plus grave encore, il est empli d'erreurs théologiques.


IV - ERREURS THÉOLOGIQUES

Le roman de Dan Brown nous fait accéder à la généalogie de son héroïne qui remonte à Jésus-Christ. Il y aurait donc un secret, celui de la descendance de Jésus. Le Graal n'est pas une coupe - celle qui aurait servi à la dernière Cène ou aurait recueilli le sang versé à la croix ; le Graal est le sein de Marie-Madeleine portant en elle la descendance charnelle de Jésus11. L'Église de Pierre aurait tout fait pour ne pas divulguer ce secret. Dan Brown essaie de justifier cette thèse par une réinterprétation des origines de l'Église. Quelle est la valeur scientifique de cette reconstitution ?

1. Une première citation suffit à montrer l'ignorance de Dan Brown. Il écrit : « La Bible, telle que nous la connaissons aujourd'hui, a été collationnée par un païen, l'empereur Constantin » (p. 289). Quoi de plus faux !
Faut-il rappeler que la Bible chrétienne se compose de deux grandes parties : l'Ancien Testament et le Nouveau Testament. L'Ancien Testament est la Bible des Juifs ; les livres ont été écrits pendant des siècles et la liste des livres qui font partie de la Bible a été fixée dès le troisième siècle avant notre ère et confirmée de manière définitive au premier siècle par les pharisiens lors de la réorganisation du judaïsme après la destruction du Temple par Titus. Cette décision a fait que l'on a écarté un certain nombre de livres ; considérés comme non canoniques, ils font partie de la littérature que les érudits qualifient d'intertestamentaire. L'empereur Constantin est venu quatre siècles plus tard.
Le Nouveau Testament est moins ancien puisqu'il parle de Jésus et de ses apôtres. Les évangiles ont été écrits dans leur version définitive avant la fin du premier siècle ; les épîtres de Paul sont antérieures. La liste des textes n'a pas été établie de manière autoritaire, mais par consentement mutuel dans les échanges entre les communautés. Il est scientifiquement avéré que dès le deuxième siècle l'accord était fait pour considérer que le Nouveau Testament comporte quatre évangiles12, les Actes des apôtres, les épîtres et enfin l'Apocalypse. Cette décision s'est faite sans difficulté, tout naturellement, sauf pour l'Apocalypse qui a été l'objet de discussions. La décision n'avait pas besoin d'être prise de manière autoritaire ni disciplinaire ; le mouvement même de la vie et la santé de la foi s'exprimaient dans cet accord. Cette décision a écarté des textes qui se présentaient en parallèle avec ces écrits ; pour cette raison ils sont appelés apocryphes- le suffixe grec apo désigne ce qui est écarté.
Les apocryphes13 sont apparus au fur et à mesure du développement de l'Église dans certains milieux. Certains ont eu une grande influence - comme par exemple l'évangile de Jacques qui rapporte les phénomènes merveilleux de la naissance de Jésus, source des contes de Noël. D'autres sont restés marginaux, car écrits dans le cadre de petits groupes. Les évangiles apocryphes relèvent du genre littéraire dit pseudépigraphie, où l'auteur se place sous le patronage d'un illustre ancien. Ce phénomène est courant à l'époque. Les trois évangiles étudiés par Elaine Pagels, celui de Philippe, Thomas et Marie-Madeleine sont de cette mouvance. Ils ont été écrits au tournant du troisième siècle. Étant donné l'époque où ils ont été écrits, ces textes apocryphes n'apportent rien à la connaissance historique de Jésus. Ils sont étudiés pour comprendre la doctrine de ces groupes marginaux. Ils ne sont pas cachés à l'étude, ni à la lecture du public.

2. Au plan théologique, l'erreur de Dan Brown est plus grave encore ; il écrit : « C'est là que se place le virage décisif de l'histoire chrétienne. Constantin a commandé et financé la rédaction d'un Nouveau Testament qui excluait tous les évangiles évoquant les aspects humains de Jésus, et qui privilégiait - au besoin en les adaptant - ceux qui le faisaient paraître divin. Les premiers évangiles furent déclarés contraires à la foi, rassemblés et brûlés. [...] Détail intéressant, tous ceux qui préféraient les évangiles apocryphes à ceux que Constantin avait sélectionnés furent considérés comme hérétiques » (p. 293). Voilà qui est entièrement faux.
Les évangiles canoniques sont antérieurs à Constantin - comme le prouve l'existence de manuscrits qui remontent au deuxième siècle - et aucun document n'atteste que Constantin ait demandé que soit écrit un autre évangile, ni changer la liste des évangiles qui fondent la tradition chrétienne. Les évangiles canoniques sont donc la seule source fiable pour connaître Jésus-Christ. Les évangiles apocryphes sont connus et étudiés. Ils ne cautionnent en rien la thèse de Dan Brown d'une Église désireuse de détruire la religion qui valorise le féminin.

3. Autre erreur en matière dogmatique. Dan Brown écrit : « Pour consolider la toute récente tradition chrétienne, l'empereur Constantin avait besoin de structurer la communauté des fidèles. C'est dans ce but qu'il a convoqué le Concile de Nicée [...] Jésus n'était alors considéré que comme un prophète mortel » (p. 291). Voilà qui est encore faux. La confession de la divinité de Jésus n'est pas une invention du Concile de Nicée ; elle est inscrite dans les évangiles - avec force dans l'évangile de Jean, dans les épîtres de Paul, et dans les écrits des Pères de l'Église dès le deuxième siècle. Ces mêmes textes montrent bien la réalité de l'humanité de Jésus. Les reproches de Dan Brown sont sans fondement. Da Vinci Code témoigne d'une ignorance grave en matière théologique : Dan Brown donne des références fausses et il ne peut leur opposer des sources sérieuses.
Dan Brown le sait et pour cela il utilise le thème du complot. Celui-ci permet de dire n'importe quoi. En effet, quand, en saine rigueur intellectuelle, il faudrait citer des documents et des sources, les ésotéristes disent que l'autorité les a supprimés pour garder son secret. Ainsi l'absence de documents est prise comme preuve de la vérité que l'on oppose à ceux qui citent des documents authentiques. Qui ne voit qu'à écarter les documents pour les remplacer par des propos invérifiables, on ne construit rien de solide ?
La falsification des sources du christianisme par Dan Brown est corrélative de la thèse qui sous-tend le livre : l'Église a persécuté la religion qui valorise la sexualité et reconnaît et reconnaît la valeur de la femme. Celle-ci n'a pu survivre que de manière cachée, dans des documents que l'on qualifie d'ésotériques - au sens étymologique du terme qui signifie en grec ce qui est caché pour rester à l'intérieur du groupe des adeptes. Il nous faut donc analyser ce phénomène pour lui-même et pour cela entrer dans des considérations sur le contenu de la tradition évoquée par les échanges entre Sophie Neveu et Robert Langdon. Il y a trois aspects : le premier concerne les sciences, le deuxième la sacralité des lieux et enfin la place de la femme dans l'Église.


V - SCIENCES, PSEUDOSCIENCES ET ÉSOTÉRISME

Le progrès de l'intrigue policière (du roman comme du film) vient de la mise en scène de scénarios décryptage. L'avancée du roman est liée à la découverte de messages cryptés de plus en plus subtils.... Ils paraissent évidents une fois qu'ils ont été découverts, mais il faut une certaine finesse pour le faire - les habitués des jeux de piste et de rallyes intellectuels s'y retrouveront sans peine. Il y a là une apologie de l'art de la découverte qui permet d'aller d'énigme en énigme et cela soutient l'attention et relance l'action. À la base du jeu, il y a une dimension qui demande attention car elle porte sur un des piliers de notre culture : le caractère mathématique de la science.


V - 1. LA NATURE ECRITE EN LANGAGE MATHEMATIQUE

Le premier code décrypté est la série des nombres de Fibbonacci. Ces célèbres mathématiciens italiens ont construit la série des nombres entiers où chacun est la somme des deux précédents. Cette série est bien connue. Elle a été utilisée par les architectes médiévaux qui ont remarqué que ces chiffres étaient inscrits dans la croissance des végétaux et dans la structure des fleurs. Les grandes rosaces des cathédrales utilisent ces proportions pour disposer l'espace. Cet usage architectural explicite une conviction très ancienne, celle qui fonde la science depuis Platon : la nature est bien ordonnée et elle s'exprime par des figures mathématiques, tant géométriques qu'arithmétiques. Cette idée classique a pris un essor considérable à la Renaissance - à l'époque de Léonard de Vinci.
La référence à l'ordre mathématique de la réalité se trouve aussi dans la figure de l'étoile à cinq branches ou Pentacle - du grec penta qui signifie cinq - un des symboles qui est au cœur du roman. C'est un problème de géométrie que l'on apprenait jadis à l'école : construire une étoile à la règle et au compas. C'est très facile pour six, fort subtil pour cinq. La construction de l'étoile à cinq branches occupait une place de choix dans l'apprentissage des mathématiques depuis Euclide et donc dans les anciens livres de géométrie, d'architecture et de composition artistique14. Pour cette raison, elle a fasciné les esprits qui ont vu dans cette figure une clef pour comprendre l'énigme du monde. Cette construction arithmétique donne naissance au célèbre nombre d'or15.


V - 2. SCIENCE MODERNE ET SCIENCE ANCIENNE

La référence à Léonard de Vinci comme la référence à l'architecture invitent à faire un peu d'histoire des sciences, pour évaluer l'évolution des savoirs.
La construction à la règle et au compas des figures géométriques, la recherche de la juste proportion et la considération sur les chiffres font partie de la science. Ces travaux étaient au sommet de la science à un certain moment ; depuis lors le savoir s'est étendu et ces éléments sont apparus comme secondaires ou sans intérêt.
Il n'est pas exact de dire que ce savoir est de nature ésotérique. Il était public et enseigné ouvertement dans les écoles. Pour cette raison, c'est une erreur de les présenter comme des secrets jalousement gardés - même si en des temps où peu de gens savaient lire et écrire la transmission de ce savoir était très limitée. La manière dont le roman Da Vinci Code le présente est un contresens qui témoigne de l'ignorance de l'auteur à l'égard de la manière dont le savoir scientifique évolue.
La même erreur se voit dans la manière dont le roman se réfère à l'alchimie et à la médecine. Ces savoirs sont privilégiés parce qu'ils utilisaient une argumentation de mode symbolique.
La géométrie, la numérologie, l'alchimie et la médecine, présentes dans l'œuvre de Léonard de Vinci, étaient à l'époque des parties de la science la plus officielle du temps ; elles n'avaient rien de caché - sinon qu'elles étaient accessible à la minorité de ceux qui avaient fait des études et étaient arrivés au sommet du savoir. Aujourd'hui, elles n'ont plus la même place dans les sciences. On explique les faits autrement et plus simplement. Ce qui semblait merveilleux est devenu banal. Il est erroné de les présenter comme un savoir persécuté et caché. C'est un savoir caduc qui fascine encore ceux qui ne le maîtrisent pas.
Cette explication ne suffit pas, car dans la fascination de ce savoir ancien se manifeste un fait important pour comprendre la culture occidentale : une quête de sacré qui subsiste. Le roman en témoigne par son attention aux lieux sacrés.


V - 3. LES EGLISES ET LA SCIENCE

Les péripéties du roman invitent à visiter des églises et à être attentifs à leur architecture et à leur décoration. Là encore, il faut garder une attitude scientifique.
Les constructeurs étaient de bons architectes. Ils ont donc fait une excellente œuvre de géomètre, dans la mise en place de structures qui ont résisté au temps. On retrouve donc, dans la construction, des rapports géométriques éprouvés. Il y a là du génie et de l'intelligence. L'art des bâtisseurs est un art de spécialiste - et s'il y a des traditions et des secrets de fabrication, ce n'était en rien un savoir ésotérique.
Les autorités ecclésiastiques avaient le souci de décorer les édifices. Pour cela, les bâtisseurs ont utilisé divers motifs : des motifs géométriques et des figures simples comme l'étoile à cinq branches ; des motifs floraux ou animaliers dans des figures qui ne sont pas toujours réalistes et peuvent parfois aller jusqu'au monstrueux ; des motifs humains pour représenter l'histoire du salut et les figures de sainteté. Ainsi ce que Dan Brown dit de Rosslyn Chapel où s'achève le roman, n'a rien d'insolite ni d'exceptionnel ; les motifs faisaient partie de la décoration des églises du temps.
L'importance accordée au début du roman à l'église Saint-Sulpice de Paris est telle qu'il faut en parler plus en détail. Cette église n'est pas ancienne, mais le roman porte l'attention du lecteur sur la présence d'un obélisque ; c'est un gnomon. Un gnomon est un instrument d'astronomie très ancien16 ; il a été perfectionné à la naissance de la science moderne. Au 18e siècle, on en construisait de plus en plus grands de manière à faire des mesures plus précises. Pour cela, les scientifiques ont utilisé les édifices publics vastes et spacieux dont ils disposaient, les églises. Personne n'y a vu quelque inconvénient et surtout pas le clergé parce que les églises sont en général orientées : le chœur est tourné vers l'est ; ainsi les rayons lumineux servaient à déterminer les saisons et les fêtes religieuses et à mesurer le passage du jour. Le gnomon de l'église Saint-Sulpice à Paris n'a rien d'insolite. Le 21 juin, jour du solstice d'été, le soleil frappe une plaque de marbre dans le sol du croisillon sud ; le 21 décembre, au solstice d'hiver, quand le soleil est au plus bas, les rayons rencontrent la ligne de laiton sur l'obélisque. Lors des équinoxes (21 mars et 21 septembre) l'image du soleil passe sur deux plaques de cuivre incrustées dans le sol, derrière la balustrade du chœur. La précision de ce gnomon construit par les astronomes Henri de Sully et Pierre-Charles Lemonnier a permis aux membres de l'Académie des Sciences de mener des travaux scientifiques remarquables par leur précision, en particulier ceux des Cassini. Rien de mystérieux, rien d'ésotérique ! On voit un instrument qui servait à la science ; on en n'a plus besoin aujourd'hui. Quant à la forme en obélisque, elle correspond au goût du temps.
Le ressort de l'ésotérisme est donc une illusion17. Pourquoi ce succès ? On peut dire que c'est à cause de l'ignorance des lecteurs qui ne sont que des demi savants. Mais ce n'est pas juste. Il y a une raison qui relève de la situation de la culture actuelle.
Le succès des thèmes de l'ésotérisme est un fait de société. Sur ce point il faut constater qu'il s'inscrit dans une culture marquée par un certain désenchantement vis-à-vis du progrès technique qui désacralise la réalité.
Il y a donc un mouvement qui se développe en réaction contre la domination d'une certaine forme de rationalisation. Il faut la considérer avec attention et cela par la figure emblématique du livre, l'œuvre de Léonard de Vinci. La fascination pour les monuments religieux est une nostalgie qui demande à être comprise comme fait social et spirituel18.


VI. LE VISIBLE ET L'INVISIBLE

VI - 1. L'ŒUVRE D'ART

Le titre de l'ouvrage cite Léonard de Vinci19. C'est en effet un personnage fascinant que ce grand maître de l'art et de la pensée de la Renaissance. Là encore la présentation qui en est faite dans l'œuvre de Dan Brown est réductrice.
Léonard de Vinci est en effet un ingénieur de génie. Il a passé du temps à chercher à construire des machines, dont la construction était impossible, mais dont l'ingéniosité était tout à fait remarquable. Mais cette activité n'a d'intérêt pour nous que parce qu'elle témoigne que Léonard de Vinci est un philosophe de la nature, qui a retrouvé de l'importance à la Renaissance avec la publication de traductions de traités inconnus au Moyen Âge : l'hermétisme. La tradition ésotérique veut que ce savoir ait été transmis depuis les origines de l'humanité : ce serait la science du Paradis transmise par les Égyptiens.... En réalité, les travaux érudits montrent que c'est une doctrine de la période hellénistique essentiellement à Alexandrie...
L'hermétisme était une philosophie dominante à l'époque de Léonard de Vinci. Cette philosophie de la nature est un monisme pour qui le fond de l'être est sacré et ce sacré a rapport avec les connaissances naturelles que sont l'astrologie, l'alchimie et la médecine. Dans le savoir hermétiste, l'attirance ou la répulsion magnétique, l'affinité ou l'opposition entre les substances chimiques et autres phénomènes sont interprétées selon une symbolique sexuelle. La science moderne a rompu cette manière de faire. Si en physique on parle d'attraction et en chimie d'affinité, la rationalité scientifique ignore toute considération sexuée.
L'hermétisme n'est en rien une doctrine secrète. Elle est enseignée et pratiquée officiellement dans les palais et dans les écoles. C'est l'essor de la science classique qui a changé la valeur de ces considérations qui apparaissent aujourd'hui dénuées de fondement rigoureux.

VI- 2. L'ARRIERE MONDE

Le succès de l'ésotérisme vient de ce qu'il répond à une attente : la technique moderne a pour effet de désacraliser le monde et de le rendre manipulable. Or il semble que les choses relèvent d'un autre ordre que de cette mise à disposition de l'usage de l'humanité. Il y a ce que les philosophes appellent « un arrière monde ».
On appelle arrière monde ce qui ne se donne pas à voir immédiatement et qui résiste à l'analyse critique. La tradition romantique a privilégié cette idée - combattue par les rationalistes. Les phénomènes de la nature ne se réduisent pas à des mécanismes physico chimiques. La vie ne se réduit pas à des échanges entre molécules. Les relations humaines ne s'enferment pas dans l'ordre de l'utile. C'est une fonction de l'art que d'y répondre pour manifester ce que la raison pragmatique, calculatrice et réduite à la froide logique ne saurait voir.
C'est sur le jeu entre ce qui est vu et ce qui se donne à voir que se fonde la fascination exercées par les œuvres d'art. Il y a dans un tableau une profondeur qui ne se réduit pas à ce qui se donne à voir immédiatement. Pour cette raison, tout regard sur un tableau y projette des éléments qui ne sont pas objectifs.
Mais cette profondeur ne saurait laisser dire n'importe quoi à propos d'un tableau. IL faut en respecter les règles et les codes - ce que font les historiens de l'art. Lorsque le roman Da Vinci Code dit que sur la fresque de Léonard de Vinci qui représente la Cène, le personnage qui se trouve à droite de Jésus n'est pas saint Jean mais Marie-Madeleine, il manifeste une ignorance de toute la tradition picturale et l'interprétation ne repose sur rien de sérieux20.

VI - 3. LE SECRET CONTRE LE MYSTERE

La situation de l'œuvre d'art invite à entrer dans une considération philosophique qui est le point central de notre critique. Il convient de distinguer entre le secret et le mystère. Le terme de secret désigne un élément qui est caché. Mais il est de même nature que ce qui est manifeste. Il n'y a pas de différence entre lui et ce qui l'entoure. Lorsque le secret est levé, il s'inscrit dans l'ensemble qui l'entoure et le porte.
La notion de mystère renvoie non seulement à une chose autre, mais surtout à un autre ordre de réalité. Le mystère suppose la présence de ce qui n'est pas du même ordre que ce qui l'entoure. C'est ainsi que sur un tableau de Léonard de Vinci on peut lire des éléments qui n'ont pas été explicitement signifiés par le peintre lui-même. On peut voir dans le sourire de la Joconde bien des choses... et l'abondance des commentaires montre que les interprétations sont ouvertes. La non connaissance du secret n'est pas de même nature que la non connaissance du mystère puisque le mystère renvoie à un autre ordre de réalité, tandis que le secret renvoie au même ordre. La distinction entre secret et mystère mène à bien distinguer entre l'art de décrypter un code secret et le regard qui sait voir la profondeur et le mystère des êtres. Cette distinction permet d'entrer dans le cœur de la question posée par le succès de l'ésotérisme.
Le succès du roman et de l'ésotérisme qu'il met en intrigue montre que le besoin d'accéder à un arrière monde n'est pas mort, car il fait partie de la nature humaine qui ne se contente pas de l'observation scientifique. Ainsi l'ésotérisme naît du malaise lié à la domination de la rationalité scientifique. Celle-ci, devenant dominante dans la culture, a violenté une dimension de la connaissance humaine. Les ressources humaines d'imagination et d'intuition se sentent enfermées dans l'ordre du calcul et ne savent plus situer la valeur de l'émotion ni de l'affectivité.
Il y a là une réaction saine. Malheureusement, il faut constater que cette réaction est enfermée dans son opposition à la rationalité. La réaction est du même ordre que l'action. L'ésotérisme ne peut envisager l'autre monde que comme une extension de la rationalité inscrite dans la rationalité du calcul et de l'analogie telle qu'elle est pratiquée dans les sciences. Les héros du Da Vinci Code utilisent des règles de décryptage ; ils sont fort intelligents d'une intelligence, voire virtuosité, calculatrice ; mais celle-ci est considérée comme la seule clef pour entrer dans la vérité et elle manque le mystère des choses.
En effet, l'être humain n'est pas que raison calculatrice. Il y a une toute autre dimension. Celle de la relation : la relation avec Dieu qui est la foi. La foi a pour adversaire l'agnosticisme, mais il y a aussi le réductionnisme rationaliste qui éteint la profondeur du symbole dans les jeux des proportions et des énigmes. L'ésotérisme est une réaction contre le rationalisme ; il reste dans le même champ que ce qu'il critique. Il n'accède pas à la profondeur de l'être et pour cette raison confond la religion et la superstition. Il ignore la nature de la foi.
Cette perte du sens du mystère se voit quand il s'agit de la relation de l'homme et de la femme. La mise en scène des rituels sacrés est au cœur du drame vécu par l'héroïne. Cela invite à entrer dans le fond du roman : la relation de l'homme et de la femme sous le signe de l'amour.

VII - L'HOMME ET LA FEMME : EROS ET AGAPE

Le suspens entretenu par le thriller est porté par le décryptage de messages codés ; il doit être fait dans l'urgence. Mais l'intrigue porte sur la découverte d'un secret qui porte sur la place de la femme dans la religion. L'enjeu du combat que se livrent les sociétés en compétition est de découvrir ce que l'Église cache : le rapport affectif et sexuel de Jésus et de Marie-Madeleine. La raison de cette occultation est que l'Église méprise la femme et réprime le culte féminin. Ceci invite à une étude de la question de la place du féminin dans la religion et permettra d'expliciter le véritable enjeu de la question ici abordée.

VII - 1. MARIE MADELEINE

Les quatre évangiles reconnaissent l'existence et le rôle important que joue Marie-Madeleine dans le groupe des disciples qui accompagnaient Jésus. Mais cela ne permet en aucun cas de fonder une quelconque histoire d'amour (au sens actuel banal du terme) entre Jésus et Marie-Madeleine.
Les évangiles présentent plusieurs femmes dont le nom est Marie. Il y a d'abord la sœur de Marthe et de Lazare et aussi Marie de Magdala ou Marie-Madeleine dont on dit que Jésus avait chassé d'elle sept démons. Ils mentionnent aussi une femme venue en pleurs au pieds de Jésus au cours d'un repas - elle est qualifiée de « pécheresse ». Rien n'assure que ces trois femmes soient la même.
Marie-Madeleine occupe une place particulière, car elle est présente à la résurrection et elle est l'objet d'une apparition de Jésus. Ce récit est bien connu. Mon interprétation est que le récit de Jean a pour but de faire de Marie-Madeleine la figure de l'humanité sauvée et pour cela il est très éclairant que ce soit la femme dont Jésus ait chassé sept démons. Le chiffre sept ayant valeur de globalité et ne signifie pas qu'il s'agisse d'une prostituée - celle qui fait fantasmer les lecteurs de Da Vinci Code. La généralité du propos est au service de la dimension symbolique du personnage.
C'est dans cet esprit que la fusion des trois Marie en une seule personne a été faite dans la tradition chrétienne soucieuse de montrer la force du salut manifesté en Jésus-Christ21.
La lecture des évangiles ne permet pas du tout de dire que Jésus ait eu avec Marie de Magdala les relations d'un époux avec son épouse, et à fortiori pas de commerce sexuel extraconjugal, sévèrement réprimé par la Torah, radicalisée par Jésus qui dénonce non seulement l'adultère, mais la convoitise et le regard. Aujourd'hui, bien des romans le font ; ce sont des œuvres de fiction qui n'ont aucune valeur historique ; ils ne respectent pas ce qui est dit par les évangiles, qui demeurent la seule source fiable, puisque les écrits du 3e siècle ne donnent pas accès à des propos tenus des témoins oculaires et qu'il faut utiliser l'argument de la persécution pour expliquer l'absence de documents et imaginer une transmission ésotérique qui n'a pas laissé de traces.
Plus encore, dans les communautés gnostiques le mariage est condamné ; il est considéré comme un état de péché. Ce point infirme la thèse de Dan Brown et des ses sources, car l'éloge de Marie Madeleine dans l'évangile de Thomas repose sur une conviction qui n'a rien de féministe, au contraire. Jésus est censé avoir dit : « Je veillerai moi-même à les faire devenir mâle... car toute femme qui veut se faire mâle entrera dans le Royaume des cieux ». Marie Madeleine est donc louée d'avoir quitté sa féminité pour accéder à la condition de disciple supérieure aux autres !
Comme, l'interprétation féministe de la figure de Marie de Magdala, et au cœur du livre, il faut parler du statut de la femme dans les évangiles et la communauté chrétienne primitive.

VII - 2. JESUS ET LES FEMMES

La dénonciation, qui est au coeur de la critique de l'Église par le roman, est celle du refoulement de la sexualité par l'Église de Pierre. Sur ce point, Da Vinci Code témoigne de la mentalité ambiante dominée par une érotisation de toute relation humaine.
Les relations de Jésus avec ses contemporains et avec ses proches attestent une grande liberté et en particulier, en comparaison avec les règles du temps, il apparaît que Jésus est novateur dans sa relation avec les femmes. Il adresse la parole à la Samaritaine - ce qui choque ses disciples ; il se laisse toucher par une femme qui pleure à ses pieds - ce qui choque le pharisien qui le reçoit ; dans le groupe qui l'accompagne, il y a des hommes et des femmes.... Cette liberté tranche avec le comportement habituel du temps où, en pays méditerranéen et donc en Israël, la femme est considérée comme inférieure, soumise et vouée aux humbles tâches domestiques. On ne peut accuser Jésus de misogynie !
Mais on ne peut pas non plus cautionner la thèse de Dan Brown selon laquelle Jésus aurait mené une vie maritale avec Marie-Madeleine dont il aurait imposé la présence à ses compagnons et cautionné par elle les cultes du sacré féminin.
Il a existé dans le monde religieux et il existe encore une sacralisation de la sexualité. Elle était présente dans les cultes de fécondité en particulier en Canaan, témoin des pratiques courantes dans bien des religions. Les cultes de fécondité reposent sur une conception du divin selon laquelle il y aurait deux principes : un dieu mâle et un dieu femelle. Leur union serait la source de la fécondité de la nature. Les cultes consistent en une célébration de l'union des divinités masculine et féminine (en grec hieros gamos, hiérogamie). Ils ont lieu dans des sanctuaires, où il y a des relations sexuelles. Les hommes s'identifient au principe mâle et les femmes au principe femelle ; une bénédiction en résulterait. Dans ces cultes, une place importante est accordée au roi qui s'unit à la grande prêtresse qui représente la divinité ; de même la reine peut s'unir à un grand prêtre. C'est ce que rapporte avec complaisance Dan Brown dans la scène dont l'héroïne Sophie, alors toute jeune fille, est la spectatrice involontaire et scandalisée ; puisqu'à un retour inopiné, elle voit son grand-père masqué (mais reconnaissable à une marque sur son corps) copuler avec une femme pendant que les membres de la société secrète chantent des hymnes liturgiques.
De tels cultes ont été rejetés par le strict monothéisme qui les dénonçait comme « prostitution ». Rien ne permet de dire que Jésus se soit écarté sur ce point de la foi de ses pères. Au contraire ! Jésus radicalise l'exigence d'un amour qui ne doit rien à la sacralisation de la relation sexuelle. L'amour est bien davantage. Il commence par le respect qui est fondé sur la transcendance de Dieu et de l'être humain créé à son image. Tel est le fond du problème posé par Da Vinci Code : quel est le sens de la relation entre l'homme et la femme ? Peut-elle se transposer dans l'ordre du divin ?

VII - 3. ÉROS ET AGAPE

En la matière, on oppose souvent éros et agapè. L'opposition doit être bien comprise. Au sens habituel, éros désigne un amour qui s'exprime charnellement et où dans la relation sexuelle on recherche du plaisir. Au sens habituel, agapè désigne un amour désintéressé qui ne cherche pas le plaisir et s'abstient de relation sexuelle, pour instaurer un autre type de communion.
La pensée chrétienne a mis comme principe de vie l'exigence de l'amour dans un sens qui ne se réduit pas à l'érotisme. Elle ne cesse de promouvoir l'agapè. Elle est sur ce point en opposition avec la culture dominante où l'érotisme occupe une place obsédante, car omniprésente dans la vie sociale, commerciale et urbaine.
L'opposition entre éros et agapè doit être bien comprise. Pour la tradition chrétienne, il n'y a pas d'exclusion, car de l'un à l'autre, il y a le processus que les psychologues appellent sublimation ; par lui il y a un accomplissement du désir dans une réalisation meilleure.
Dans ce chemin de sublimation, il n'y a pas de rupture - même s'il y a renoncement. Pour cette raison, le langage d'éros est présent dans l'agapè. C'est pour cette raison que la tradition mystique chrétienne utilise les mots de l'amour charnel pour dire la relation de l'homme et de Dieu. C'est dans cet esprit que les mystiques ont fait référence à Marie Madeleine pour parler de l'amour de Dieu.
Hélas, lus par des personnes qui n'ont aucune expérience de la prière personnelle, et qui ignorent ce que signifie la transcendance ou la sainteté de Dieu, ces textes sont ramenés immédiatement à leur dimension sexuelle. Dans la culture dominante, la relation entre un homme et une femme ne peut être vécue que dans l'union sexuelle. La figure de Marie-Madeleine est donc sexualisée ; les textes de la tradition spirituelle ou mystique sont réduits au sens le plus charnel qui soit. Ceci apparaît tout particulièrement dans la culture nord-américaine. C'est ce que fait, par exemple, le film de Mel Gibson ; il est significatif que personne n'ait protesté contre sa présentation d'une Marie-Madeleine, dont les vêtements de pénitente ne cachent pas la sexualité dévorante, bien au contraire.
Le succès du livre Da Vinci Code vient de cet accord avec cette représentation de la sexualité omniprésente de la société de consommation. Les lecteurs projettent sur Marie de Magdala et sur Jésus leurs imaginations érotiques. Plus encore, dans une culture post-chrétienne, ils trouvent dans le modèle qu'ils imaginent une justification de leurs pratiques sexuelles.


CONCLUSION

La lecture de ce livre est une bonne détente, si on admet que l'intrigue policière est bien faite - surtout dans la première partie. Mais ce livre est une mystification, dans la mesure où il procède par amalgame. Aussi ma conclusion sera un appel à mettre en œuvre la rigueur scientifique en matière de foi et d'étude historique de la tradition chrétienne.

1. Da Vinci Code ne respecte pas les exigences d'un roman historique en mêlant le vrai et le faux et en utilisant des pseudo révélations. Celles-ci sont présentées comme avérées, ce qui fait du roman un instrument polémique. On peut soupçonner que non seulement l'auteur profite des thèmes à la mode, mais qu'il cherche à détruire l'image de l'Église catholique romaine par des caricatures.

2. Cette situation invite à être rigoureux en suivant en toute chose une stricte méthode historique. Il ne faut rien affirmer qui ne soit vérifiable. La vie de Jésus est connue de manière très précise grâce aux témoins qui l'ont écrite, ou présidé à leur mise par écrit, les apôtres. Ces informations ne sont pas exhaustives. Tout ce qui est ajouté doit l'être avec prudence et en gardant un souci de cohérence avec ce que l'on sait de manière certaine. Sur ce point la prédication chrétienne ordinaire et la catéchèse sont souvent en faute, quand on ne cite pas rigoureusement les évangiles et qu'on mêle des éléments légendaires à ce qui est dit par les témoins oculaires. Il faut savoir reconnaître que si nous savons beaucoup, nous ne savons pas tout, comme le dit saint Jean au terme de son évangile. Il est une manière de raconter la vie de Jésus en ajoutant détails et histoires qui faussent la vérité de l'Évangile.

3. Cette rigueur est encore plus nécessaire quand il s'agit du fond légendaire qui s'est accumulé en Europe chrétienne depuis le Haut Moyen-Âge. Il convient de les qualifier de légendes : la légende arthurienne du Graal, la légende des Saintes Marie en Provence... Ces légendes ne rapportent pas des faits historiques ; il est difficile d'y renoncer parce que les pèlerinages qui vont en ces lieux ont un caractère populaire. Il en va de même avec les reliques ; la complaisance de certains milieux chrétiens avec les reliques est une grave erreur, car si l'on dit qu'elles sont vraies ou si on le laisse croire, on ne peut rien reprocher aux auteurs qui usent du même procédé. Par exemple, Dan Brown dit que le suaire actuellement à Turin a été fait par Léonard de Vinci ; il se trompe. Il est prouvé, tant pour les historiens que pour les scientifiques, que le célèbre Suaire actuellement à Turin a été fabriqué au 14e siècle. De même, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître les propos de Jacques de Voragine dans Légende Dorée à propos de la venue en Provence de Marie Madeleine ne sont pas fondés historiquement...

4. Le succès du livre vient de ce qu'il s'appuie sur une critique féministe de l'Église catholique romaine. Là encore il faut faire œuvre de vérité et reconnaître qu'il y a dans l'Église une vive tension entre deux cultures. La première est liée à culture méditerranéenne : celle de Jérusalem, comme celle de Rome. Elle est résumée dans la formule de Paul selon laquelle la femme doit être soumise à son mari. La seconde est liée à la culture anglo-saxonne et à la modernité : la femme est l'égale de l'homme. L'interdit de l'accès aux ministères ordonnés pour les femmes cristallise ce conflit. Pour avoir bloqué toute discussion sur ce point, le discours en faveur des femmes tenu par les autorités romaines apparaît comme illusoire - puisqu'il est clair qu'il y a eu dans les premiers siècles chrétiens des femmes qui ont exercé des ministères ! Le blocage actuel nourrit la suspicion mise en œuvre par Da Vinci Code.

5. Plus important, car c'est le cœur de la question. Il importe que l'Église soit à la hauteur du mystère dont elle est porteuse. Il faut tenir compte du mystère et pour cela promouvoir une pratique liturgique qui fasse droit à l'exigence exprimée par la notion d'initiation. C'est sans doute la sclérose des liturgies vécues dans l'esprit de la Contre-réforme avec la théologie de l'efficacité de la seule parole sacerdotale qui a favorisé la réduction du mystère au secret. Il faut utiliser la force du symbole pour élever l'esprit.
6. Cette dernière remarque invite à un renouvellement de la théologie catholique. Il apparaît que celle-ci s'est appauvrie par une carence en matière de théologie du Saint Esprit. Il y a là un chantier important à promouvoir qui ne pourra être mené à bien que si l'on tient compte de la richesse des églises orientales et donc de l'avancée dans l'union de tous les chrétiens.

7. Enfin la question posée est celle des relations entre la foi et la raison. La foi entretient avec la raison une relation spécifique. Mais il y a sur ce point un chemin qui n'est pas simple, car il passe par un moment de remise de soi à un autre. La foi n'est pas contre la raison, au contraire. Les croyants savent par expérience que quand un homme cherche la vérité par la raison seule, il échoue ; Si la vérité lui est offerte et s'il l'accepte par la foi, il la trouve satisfaisante pour la raison. Seule cette attitude libère de l'étroitesse d'esprit que l'on trouve dans l'ésotérisme qui reste lui-même prisonnier de l'étroitesse du rationalisme qu'il combat. Pour les chrétiens la foi accomplit la raison.

Toulouse, 20 mai 2006
Jean-Michel Maldamé, op

Notes :
1 Marie-France Etchegoin et Frédéric Lenoir, Code Da Vinci : l'enquête, Paris, Robert Laffont, 2004.
2 Henry Lincoln, Michael Baigent et Richard Leigh, Holy Blood, Holy Grail, Londres, 1982, trad. fr. L'Énigme sacrée, Paris, Pygmalion, 1982.
3 Gérard de Sède est un très bon conteur ; il s'inscrit dans la ligne du surréalisme dont une devise est « l'imaginaire c'est ce qui tend à devenir réel ». Son livre est un modèle de production surréaliste ; il n'a pas de valeur scientifique.
4 Gérard de Sède, L'Or de Rennes ou la Vie insolite de Béranger Saunière, Paris, 1967
5 Op. cit., p. 58.
6 Lynn Picnett & Clive Prince, The Templar Revelation, New York, Touchstone, 1998 - édition reprise après le succès du livre de Dan Brown.
7 Elaine Pagels, Adam, Eve and the Serpent, New York, Random House, 1988, trad. fr. Paris, Flammarion, 1989.
8 Voir Jacques Ménard, L'Évangile selon Philippe. Introduction, texte, traduction, commentaire, Paris, Cariscript, 1988 ; Anne Pasquier, L'Évangile selon Marie, Laval, Presse de l'Université, 1983.
9 C'est le point central de la critique qui en fut faite alors par saint Irénée et qui donne un principe de jugement : la connaissance de Jésus doit s'appuyer sur les témoins de sa vie publique et donc sur les apôtres ou leurs successeurs immédiats. Luc précise au début de son évangile qu'il a mené une enquête auprès des « témoins oculaires » et Jean précise au début de son épître qu'il parle de Celui qu'il a vu des ses yeux que ses mains ont touché.
10 Repris dans le film de Marc Ferrara, Mary. J'ai abordé la question pour elle-même dans le texte « Marie-Madeleine, entre fantasme et réalité ».
11 . Les lettres qui désignent le Graal sont san greal - en liant les lettre autrement on obtient sang real. Ce jeu d'écriture est présenté comme une preuve.
12 Dits canoniques : Matthieu, Marc, Luc et Jean.
13 Les textes sont bien connus, souvent édités et étudiés scientifiquement. L'édition française la plus commode est celle de la Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1997.
14 Sur ce point, voir Marguerite Neveux, Le Nombre d'or. Radiographie d'un mythe, Paris édit. du Seuil, 1995. L'expression « nombre d'or » a été inventée par Matila prince Ghyka (1881-1965) dans un livre publié en 1927. Il reprend des éléments appelés antérieurement « divine proportion » mathématicien (1445-1514) qui enseigna en Italie et fut au service du prince Ludovic Sforza à Milan puis du pape Léon X. Léonard de Vinci connaissait ce chiffre qu'il utilisait dans le plan de ses machines - mais il ne l'a pas inventé.
15 Il remonte à Euclide qui le définit par une construction très simple : soit un segment AB de longueur l ; le nombre d'or est déterminé par le point C qui divise le segment en deux parties a et b (a plus grand que b) de sorte qu'il y ait égalité des rapports a/b = l/a. Le nombre obtenu, appelé φ, a des propriétés remarquables. Il sert entre autre, à construire une étoile à cinq branches dite pentacle - il est présent dans des figures plus subtiles comme la spirale logarithmique. Il est, pour cette raison, utilisé pour faire un lien entre esthétique et mathématique. Voir, H. E. Huntley, La divine Proportion, Paris, édit.du Seuil, 1995.
16 On peut le comparer à la barre dont l'ombre indique l'heure sur un cadran solaire.
17 On voit bien que la référence à une tradition d'ésotérisme est le fruit de l'ignorance. Un exemple le montre. Sur le socle d'une statue du chemin de croix de Rennes-le-Château, l'abbé Saunière a fait graver CHRISTUS A.O.M.P.S. DEFENDIT. Que signifie AOMPS ? C'est l'abréviation d'une inscription courante qui signifie Ab Omni Malo Populum Suum et l'inscription signifie : « Que le Christ défende son peuple de tout mal ». C'est une invocation courante. Elle est interprétée comme Antiqui Ordo Mysticusque Prioratus Sionus : ce latin de cuisine signifierait : « Que le Christ défende le prieuré de Sion » !
18 Sur cette situation de l'ésotérisme, voir Jean Servier, préface au Dictionnaire critique de l'ésotérisme, Paris, PUF, 1998.
19 La bibliographie sur Léonard de Vinci est immense. On trouvera un commentaire des œuvres cités dans le roman chez Daniel Arasse, Léonard de Vinci, Paris, Hazan, 1997, ²2003.
20 Sur ce tableau, voir les commentaire de Daniel Arasse, op. cit., p. 362-383.
21 Sur l'évolution de la tradition chrétienne voir Régis Burnet, De la pécheresse repentante à l'épouse de Jésus. Histoire de la réception d'une figure biblique, Paris, édit. du Cerf, 2004.

Sibylline 18/10/2006 @ 19:54:06
Comme quoi c'était vrai, ce que disait l'Elysée que les gens s'en foutaient qu'on ait donné la légion d'honneur à Poutine.

Page 1 de 3 Suivante Fin
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier