Saule

avatar 10/07/2006 @ 23:03:44
J'aime bien la comparaison de Mieke entre Emma et Thérèse. C'est vrai que les caractères sont différents, quoique le côté dépressif soit bien présent chez Emma aussi.

Dans un sens on peut même dire que Thérèse est plus forte qu'Emma : dans un passage terrible Thérèse s'imagine avec un désir malsain succomber à une vie de recluse, une vie entièrement tournée vers l'introspection et la vie intérieure. Mais elle aura la force de refuser cette alternative et elle choisira la libération (mais pas tellement porteuse d'espoir, pour moi la fin ressemble plus à une noyade qu'à une libération).

Un autre personnage de fiction qui me fait penser à ces deux la est Lily Bart de "Chez les heureux du monde" de Edith Wharton. Comme Emma on peut la qualifier de "faible", il y a aussi un attrait pour le renoncement dans son caractère, mais comme pour Emma, c'est ce qui la rend si attachante.

Mieke, pour le féminisme et la pression des conventions sociales sur le destin des femmes, je te conseille de lire Edith Wharton, en particulier "Eté" ou alors "Chez les heureux du monde".

Saule

avatar 10/07/2006 @ 23:26:03
J'ai retrouvé le passage dont je parlais, celui ou Thérèse joue avec la tentation de se contenter d'une vie de recluse, mais en fait Kinbote le cite dans sa critique. Je le retape quand même

"Elle regardait dans le vide : sur ce trottoir, au bord d'un fleuve de boue et de corps pressés, au moment de s'y jeter, de s'y débattre, ou de consentir à l'enlisement, elle percevait une lueur, une aube : elle imaginait un retour au pays secret et triste, - toute une vie de méditation, de perfectionnement, dans le silence d'Argelouse : l'aventure intérieure, la recherche de Dieu..."

Quant à Lily Barth je suis peut-être un peu dur en parlant de renoncement, ça fait partie des livres que je dois relire :-)

Mieke Maaike
avatar 11/07/2006 @ 10:36:39

Dans un sens on peut même dire que Thérèse est plus forte qu'Emma : dans un passage terrible Thérèse s'imagine avec un désir malsain succomber à une vie de recluse, une vie entièrement tournée vers l'introspection et la vie intérieure. Mais elle aura la force de refuser cette alternative et elle choisira la libération (mais pas tellement porteuse d'espoir, pour moi la fin ressemble plus à une noyade qu'à une libération).


Plus forte, je ne sais pas. Je dirais plutôt que Thérèse est plus rationnelle. Emma était prête à tout pour changer de vie, par exemple partir avec le premier amant venu quelles qu’en soient les conséquences, y compris celle de vivre traquée le restant de ses jours. Thérèse rationalise. Elle envisage clairement l’évasion : « Elle se leva, ouvrit la fenêtre, sentit le froid de l’aube. Pourquoi ne pas fuir ? Cette fenêtre seulement à enjamber. La poursuivraient-ils ? La livreraient-ils de nouveau à la justice ? C’était une chance à courir. Tout, plutôt que cette agonie interminable. ». Puis la raison reprend le dessus : « Mais elle n’a pas d’argent ; des milliers de pins lui appartiennent en vain : sans l’entremise de Bernard, elle ne peut toucher un sou. Autant vaudrait s’enfoncer à travers la lande, comme avait fait Daguerre, cet assassin traqué pour qui Thérèse enfant avait éprouvé tant de pitié (elle se souvient des gendarmes auxquels Balionte versait du vin dans la cuisine d’Argelouse) – et c’était le chien des Desqueyroux qui avait découvert la piste du misérable. On l’avait ramassé à demi mort de faim dans la brande. »

La rationalité, l’intelligence est clairement un trait de caractère de Thérèse : « (…) Car un mari doit être plus instruit que sa femme ; et déjà l’intelligence de Thérèse était fameuse ; un esprit fort sans doute… »

Quant à la fin, je suis moins pessimiste. C’est vrai que j’ai une vision émancipatrice qui est peut-être en décalage par rapport à l’époque de Mauriac (encore que…). Dans la conception traditionnelle du rôle des femmes, il est de coutume de considérer qu’une femme est soit mère, soit putain. Thérèse refuse la fonction de mère, donc [ita]forcément elle ne peut devenir que putain. Et c’est, je crois, ce qu’a voulu présager Mauriac avec une telle fin. Mais après tout, puisque la fin est ouverte, pourquoi ne pas imaginer une suite positive ? Pourquoi Thérèse, avec son intelligence et son caractère, ne pourrait-elle pas s’émanciper des rôles traditionnels (mère ou putain) et accéder, comme un certain nombre de femmes (y compris contemporaine à Mauriac), à la multitude de fonctions occupées par les hommes ?

Mieke, pour le féminisme et la pression des conventions sociales sur le destin des femmes, je te conseille de lire Edith Wharton, en particulier "Eté" ou alors "Chez les heureux du monde".

C’est noté. J’en avait déjà entendu parlé, mais je n’ai encore rien lu d’elle. Je comblerai cette lacune. :-)

Saint Jean-Baptiste 05/09/2006 @ 20:33:04
Je pense aussi qu'il y a une ressemblance certaine entre Thérèse et Emma dans les circonstances de leur vie mais, pas dans leur tempérament.
Thérèse a une dimension dramatique que Emma n'a pas vraiment. C'est une toute autre personnalité.
J'aime mieux Thérèse que Emma, je lui rends plus souvent visite. ;-)

Mauriac dans sa préface dit à Thérèse qu'il est désolé de l'abandonner sur un boulevard de Paris mais qu'il ne peut rien pour elle... Ça dit tout, me semble-t-il, sur sa destinée...
Je ne peux pas m'imaginer un seul instant que son choix de vie soit désormais : mère ou putain ! L'une et l'autre sont aussi éloignées de Thérèse que possible !
Et je ne la vois pas non plus se "refaire une vie"...

Lily Bart est un personnage sublime et touchant, une personnalité très émouvante.
Mais aussi, tout à fait différente, me semble-t-il, de nos amies Thérèse et Emma.
Elle est pure et naïve dans un monde qu'elle adore mais qui est méchant et cruel.
(Ce "monde" est du reste un des personnages les plus intéressants du livre.)
Je crois qu'on peut tomber très facilement amoureux de Lily, enfin disons qu'on peut avoir une immense affection pour elle, parce qu'elle est très proche de nous.
Je pense que nous avons tous connu des Lily Bart : un genre de filles qu'on n'oublie jamais et qui ont rarement le destin qu'elles méritent...

Thérèse, Emma, Lily, et encore, Eugénie Grandet, Nana, Anna Karénine, Natacha Rostov et quelques autres...

...Que nous ont fait rêver, ces grandes dames d'encre et de papier !

Jlc 05/09/2006 @ 22:20:44
Thérèse, Emma, Lily, et encore, Eugénie Grandet, Nana, Anna Karénine, Natacha Rostov et quelques autres...

...Que nous ont fait rêver, ces grandes dames d'encre et de papier !


Oh que oui! Ce serait certainement intéressant de lancer un fuseau sur les femmes (et les hommes) de la littérature que nous aimons ou avons aimés. Mais celà a peut-être été déjà fait.

Quant à Emma et Thérèse, j'ai toujours trouvé la seconde plus forte, plus "construite" que la première même si Emma semble plus séduisante que Thérèse, au moins au premier abord. Mais il y a longtemps que je ne les ai plus "fréquentées".

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