Malic 21/04/2006 @ 21:25:51
Homère chanta jadis d’Achill le bouclier
Et ce cheval de bois pas très franc du collier
Aujourd’hui, j’en suis sûr sa lyre chanterait
Aux usines modernes quelque produit soustrait.

Le choix ne manque pas, du mixer au shaker
Au rasoir, au walkman et au pacemaker.
Me questionnent aussi la cocote minute
La thermos, le Radar, enfin le parachute.

Mais l’Objet de mon choix est un autre artefact
Au sigle de CD, au nom Disque Compact,
Ses vertus, son mystère et sa beauté insignes
Requièrent un éloge d’au moins cinq mille signes

O Compact disc pourtant ce nom te va si mal,
Noir chaos de consonnes, insulte à l’art vocal,
Qui fait si peu de cas de ton âme sans tare
Et laisse imaginer quelque rustre barbare

Tu méritais plutôt le choix d’un nom hellène
Arachné ou Echo, Galatée ou Alcmène
Aphrodite, Circé et autres demoiselles
Habituées du Bottin des beautés éternelles.

Beau cercle coruscant ta divine nature
Toujours s’est illustrée dans l’art et la culture
Auréole des saints ou mandala bouddhiste,
Soleil du bœuf Apis et rites cabalistes.

Quant à Carl Gustav Jung, il t’avait devinée
Ovni extraterrestre, main de la destinée
Fruit des désirs obscurs, émissaire tardif
D’un combien ancestral inconscient collectif.

Dans les cieux, dans l’espace, s’abritait ton berceau,
Sagittaire, poisson, balance ou bien verseau,
Ton éclat, ton brillant ta rondeur sans défaut
Ne peuvent se trouver qu’aux mondes zodiacaux

Ta musique d’alors était celle des sphères,
Cette harmonie sans fin qui garde son mystère,
Quadrille et tourbillon, ballet des corps astraux
Dont personne n’entend les fastes orchestraux

Un jour un discobole athlétique et fougueux
Héros ou demi-dieu d’un Olympe glorieux
Te propulsa d’un coup vers ta mission de charme
D’enchanter nos oreilles et d’adoucir nos larmes.

Mais furent en premier nos yeux époustouflés
Par ta ligne gracile et par ton profilé,
Par ta surface polie, une peau de satin,
Un miroir d’une eau pure ou rosée du matin.

Tu aurais pu servir de bijou, d’ornement
Au cou d’un Top model papillonnant gaiement
Ou de sequin parant une jeune géante,
Reine Baudelairienne à la beauté distante.

Mais à fuir le clinquant ta modestie te pousse,
La lumière te rend muette et les spots te courroucent,
On ne doit te toucher, pas même t ‘effleurer
Comme le papillon on pourrait t’estropier.

Et nous avons appris à respecter les rites,
A te manipuler comme une hostie bénit,e
A t’insérer sans heurt dans la caverne sombre
D’où pourra s’élever ton chant sorti de l’ombre.

Pour toi les plus rustauds ont des gestes savants,
Comme en une chapelle, à genoux te servant.
Le plus banal salon alors s’imprègne de sacral
Et l’on croirait humer un encens ancestral.

Avant ton arrivée il y avait Vynil
Le vénal, le hâbleur à l’incessant babil,
Croqueur de diamant et bouffeur de platine,
Gadget sans avenir fruit d’un concours Lépine.

Ce bellâtre ondulant, ce gommeux gominé,
Aux cheveux noirs de jais en sillons alignés,
M’as-tu-vu crachotant, offrant sous les lumières
Son regard langoureux aguicheur de rombières.

Lorsque tu arrivas, il se vit en has been.
Sombrant encore plus bas, refusant sa débine
Il se laisse aujourd’hui tripoter par les mains
D’impudiques scrachteurs lors de technos sans frein.

Tenta aussi sa chance, la timide Cassette,
Pauvrette maigrichonne, rachitique Cosette.
Elle manquait d’ambition, pas assez motivée,
Et on la vit bientôt tripes sur le pavé.

On murmure O compact que tes jours sont comptés
Qu’ à ton tour et sous peu tu sera supplantée,
Que tu es obsolète ainsi que la bougie,
Que mon Eloge enfin doit se faire Elégie.

Déjà j’ai vu hélas ! de mes yeux éperdus,
Une grappe des tiens dans un arbre pendus,
Au vent se balançant ainsi qu’au temps jadis
Frères et sœurs humains aux bois de la justice.

Epouvanter la pie, effrayer le moineau,
Tel est en ce jardin ton rôle et ton créneau,
Toi qui rêva sans doute avec la gent ailée
De gaiement gazouiller dans la nuit étoilée.

Mais qui sait si les hommes si prompts au recyclage
Ne sauront pas un jour, dédaignant ton ramage,
Accommoder tes restes, te remixeuriser
Et te servir tout chaud aux gourmets médusés.

Ton profil de galette te fera-t-il dessert
Par la grâce pâtissière d’un marmiton expert ?
Seras tu enfournée ? flambée comme une crêpe ?
Mitonnée en ragoût ? braisée avec des cèpes ?

Mais que tu sois servie en entrée chaude ou froide,
Empalée en brochettes, parée d’une anchoïade,
Farcie, fourrée, truffée ou bien pissaladière,
Puissè-je ce jour là être dix pieds sous terre.

Car plagiant ici le génie de Jarry,
De connaître ce temps je serais fort marri
Où le disque compact, perdu pour la Hi Fi,
Devra de nos gourmets relever les défis.

Lincoln 21/04/2006 @ 21:59:10
Le lyrisme t’habite Malic. Tout cela semble fait avec un tel naturel que c’en est de l’art. De très belles envolées qui nous retracent ici l’histoire du support musical et de son aspect transitoire, éphémère.

Tu as su trouver les mots qui renforcent le contexte, comme dans:
“Ce bellâtre ondulant, ce gommeux gominé,
Aux cheveux noirs de jais en sillons alignés”

J’ai beaucoup aimé aussi:
“Déjà j’ai vu hélas ! de mes yeux éperdus,
Une grappe des tiens dans un arbre pendus,
Au vent se balançant ainsi qu’au temps jadis
Frères et sœurs humains aux bois de la justice.”

De la belle ouvrage.

Mae West 21/04/2006 @ 22:03:47
Whouaïou, quelle virtuosité, on dirait qu' t'en es pas à ton premier galop d'essai !

attention, quand même j'ai repéré un ou deux vers boiteux, mais c'est pô grave.

J'aime bien dans l'ensemble, et vers la fin c'est rigolo le rappel des cd pour qu'on met dans les arbres pour faire partir les zoziaux
J'aime moins à la fin l'idée de les manger (mais c'est peut-être pour les cinq sens ?)

Sibylline 21/04/2006 @ 23:41:51
Et encore des alexandrins! Tu es le 4 ème texte que je découvre. Tu peux lire ce que j'ai écrit à Mae à propos des longs textes en vers, je crois que cela t'est adressé aussi. ;-))
En tout cas tes alexandrins sont bien joliment tournés, avec la césure et tout. Du beau travail. et n'oublions pas les références classiques aux muses et déesses
Pour le fond, c'est une bonne idée aussi d'avoir glissé de l'usage prévu de l'objet honoré à son usage accessoire d'épouvantail (j'en utilise ;-)) mais je crois que Mae s'est trompée, ce ne sont pas les oiseaux qui risquent le four, mais bien les galettes de vinyle.
Et puis, cette multitude de références culturelles tous azimuts coruscant, Jung, les mandala... j'en passe. Par contre, je ne sais pas si les yeux peuvent tellement être époustouflés (souffle coupé)
Enfin bref, je pinaille. Signe de sommeil. C'est super bien fait et j'ai beaucoup aimé.

Felixlechat

avatar 22/04/2006 @ 00:10:34
C'est vraiment agréable de lire ton texte.

FLC.

Mae West 22/04/2006 @ 07:53:47
à Sibylline :

Nononon, j'avais bien compris que c'était les CD qu'on allait manger, et pas les alouettes. Mais ça me plaît pas du tout et mon pote Jean Pierre (Coffe) va faire une crise d'hystérie s'il apprend ça.

Je pense que le texte de Malic , écrit en vers comme le mien est quand même moins "ennuyeux" à lire, plus fluide, et (je dirais mêm : car) plus moderne, avec un humour dans le style de Brassens
Par contre il est moins "lyrique" au sens strict de la forme de l'éloge (Clamence avait parlé de la forme exclamative).

Mais c'est qu'avec toutes ces contraintes, on en viendrait pas zà bout ! Perso, pour les cinq sens , j'en ai zappé au moins deux.

Jonkind 22/04/2006 @ 11:19:40
salut malic ! d'habitude j'appréhende souvent de commenter de la poésie, ayant me semble-t-il des lacunes dans le domaine ne me permettant pas de l'apprécier pleinement . Pourtant je n'ai pas ce sentiment ici, puisque tout ce digère très bien, de bonnes idées, des bons mots permettant de faire le tour de la question. Ta très bonne maitrise des vers fait paraitre l'exercice apparement simple, alors qu'en fait, surtout vu la longueur, cela ne devrait nous rendre que plus admiratif! très bon !

Clamence 22/04/2006 @ 15:40:14
Malic je reviens, je te trouve, et je suis complètement sous le charme, je fonds sous ton texte savoureux, drôle, admirablement bien écrit, comme il a été dit plus haut le rythme est tellement fluide, que je ne m'étonnerais pas une seconde de t'entendre parler en alexandrins...
chapeau bas Monsieur! du très grand.

Le rat des champs
avatar 22/04/2006 @ 19:20:52
Waaaaah, la classe !!!!!!!!! Quel talent....

Tistou 25/04/2006 @ 02:49:29
Je viens de lire Mae, je tombe sur Malic ! Un autre fou ! Se lancer dans une telle entreprise rime-t-elle à quelque chose ? Oui si l'on en vient à bout. Et c'est ton cas à toi aussi. Concurrence au pauvre Hugo ?
Je suis admiratif. Sans nul doute.
Du lyrisme, y'en a. De l'éloge, à la pelle.
Et il y a ceci que je te défie de lire à haute voix sans trébucher :
"Le plus banal salon alors s’imprègne de sacral"
Pour qui sont ces serpents ...

Felixlechat

avatar 25/04/2006 @ 02:52:29
Du côté du pourceau, la balance pencha.


Eve qui regardait et Adam qui contemplait.

Malic 25/04/2006 @ 10:20:49
Hé Tistou, t'as choisi le pire de mes vers! Sans doute un des bancals visés par Mae. 14 pieds; c'est plus un alexandrin, c'est un mille pattes ! ou un vers transgénique ou rescapé de Tchernobyl. Pourtant il suffisait de lui retrancher cet "alors" inutile pour qu'il retombe sur ses pieds.

Sonamouto 25/04/2006 @ 11:19:36
CHAPEAU!

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