Cyclo
avatar 24/03/2021 @ 10:25:39
En relisant, j'ai vu que ça fourmillait de fautes et de petites incohérences. Je n'ai pas su comment corriger in situ. Donc voilà la nouvelle mouture;

Le cerbère de la Préfecture venait de leur donner une sorte de sauf-conduit qui leur octroyait un supplément de trois mois, en attendant que l’Obligation de Quitter le Territoire Français (ORFROI) leur soit définitivement signifiée. Shandra et Rifah se regardèrent, constatant qu’il leur était écrit dans ce récépissé une interdiction de travailler : Non, pas le droit, on vous dit, c’est interdit. Ils comprenaient que c’était pour protéger les citoyens français. Mais comment allaient-ils pouvoir vivre ? Les aides auxquelles ils avaient eu droit jusqu’à présent : petite allocation, logement, droit aux restos du cœur, assistance médicale, n’allaient pas durer. Ils risquaient de se trouver à la rue, ou logés dans un hôtel ou un squat, ou pire encore, menés en centre de rétention.

Parce que c’était ça le problème. Plus de deux ans qu’ils étaient arrivés ici, après un voyage éreintant, des passeurs à payer, le risque de se faire voler le peu qu’ils avaient. Shandra avait réussi à travailler quelques mois dans les cuisines d’un restaurant de sushis qui faisait des plats à emporter ; il avait été payé cinq € de l’heure ; il avait bien compris qu’il avait été exploité, comme ils l’avaient été par ces salauds de passeurs. Encore le leur a-t-il été à peu près honnête, en ne leur prenant pas tout. Et cette putain de pandémie qui était arrivée, qui les obligeait à se masquer, à se balader avec une attestation dérogatoire pendant les confinements.

Heureusement ils avaient fait connaissance de Jean-Paul, septuagénaire qui habitait dans la tour où le CADA les avait logés et qui les avait pris en amitié. C’est lui qui leur servait d’imprimeur avec tous les documents officiels qu’ils recevaient par e-mail, sans pouvoir les imprimer et qui encombraient leur boite postale électronique. Avec sa sœur, Jean-Paul leur avait fait même un cadeau d’argent pour Noël, s’était décarcassé pour solliciter diverses associations qui s’occupaient de migrants. Et voila que, pour couronner le tout, Rifah était enceinte. Comment allaient-ils tenir le coup ? Jean-Paul avait beau leur dire chaque fois qu’il les voyait ; « Vivez une fin de journée comme une autre ! Demain est un autre jour ! To-morrow is another day ! » Il était éberlué de voir comme ils avaient progressé en français, ce qui était bon signe dans leur volonté de s’intégrer ici.

Évidemment, Jean-Paul était vieux et avait de plus toujours été mauvais dans l’apprentissage des langues : allemand - anglais au lycée, puis il avait tenté l’espagnol vers le trentaine par télé-enseignement, sans grand succès, puis plus récemment l’italien, car depuis le décès de sa femme il s’était mis à fréquenter les festivals de cinéma, et surtout la Mostra de Venise où il allait presque chaque année, aussi bien pour se promener dans Venise dans les pas du beau voyage qu’ils avaient fait ensemble dix ans avant sa mort. Quelle n’avait pas été sa déception de voir ses tentatives d’italien tomber dans le vide ? Tout les monde ici parlait anglais et on lui répondait en anglais ou même en français, reconnaissant sans doute son fort accent quand il se mêlait de vouloir baragouiner dans la langue du pays, encore que les Vénitiens parlent le dialecte local.

Bref, il s’était mis à aimer Shandra et Rifah comme ses propres enfants qui habitaient au loin et ne voyait qu’une fois ou deux par an, et encore moins depuis la pandémie. En Italie, il lisait le journal et il avait conseillé aux deux Bangladais de lire le journal pour améliorer leur français, tout en sachant que rien ne vaut la conversation avec des Français, mais leur disait-il : « À défaut de parler, reste donc à lire son journal ». Et de temps en temps, il leur donnait un journal, leur lisait à haute voix un ou deux articles. En fait, il se disait qu’il vivait dans un trop grand appartement et qu’il y avait quelque injustice à y vivre seul.

Il leur proposa donc d’investir une de ses chambres, et de le faire en toute discrétion (mais Shandra et Rifah étaient des gens discrets qui n’avaient jamais fait parler d’eux dans la tour). Ainsi ils partageraient les repas, il leur apprendrait la cuisine française, tandis qu’ils le feraient manger bangladais. Jean-Paul s’initierait à la culture hindouiste, car ils étaient hindous, et à ce titre, minoritaires et persécutés dans leur ancien pays. Lui leur parlerait de ce qu’il reste de culture chrétienne en France. Il était lui-même protestant et savait que ses ancêtres avaient été, à l’instar de Shandra et Rifah, longtemps persécutés et restaient très minoritaires. Il proposa donc de les recevoir quand ils seront chassés de leur appartement, sans contrepartie, et par amour de l’humanité, par souci de faire briller le mot «fraternité » inscrit au front de nos institutions et qui lui semblait être le plus beau de notre devise.

Il en parla à ses enfants, trentenaires comme les deux Bangladais, qui l’encouragèrent à pratiquer l’accueil de l’étranger. « On verra bien, dit Mathias, si l’hospitalité devient un délit ! » et Madeleine conclut leur réunion en visioconférence tripartite par « Agis selon ta consciente, même si tu te mets hors-la-loi, Maman aurait fait ça ! »

À suivre...

Marvic

avatar 28/03/2021 @ 17:26:55
Une humanité qu'on voit si peu ! Cela fait du bien de lire qu'il existe des havres de paix, d'entraide, d'affection, des petits endroits où on écoute parler son coeur (plutôt que la télé), même si la langue n'est pas (encore) partagée.
Un texte apaisant qui remonte le moral. Pourvu que ça dure !

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