SpaceCadet
avatar 14/08/2020 @ 14:35:49
La nuit tombe sur le Jardin du Luxembourg.

Je vais, je viens, profitant de la douceur du moment.

Tout comme moi, en quête d’un peu d’air frais, quelques promeneurs déambulent paresseusement parmi les allées.

Solitaire, l’entomologiste est assis sur un banc. Il observe distraitement ses alentours. Puis à intervalles réguliers, il consulte sa montre.

Comme moi, son temps est précieux. Comme moi, ses jours sont comptés.

Pressée d’accomplir ma destinée, je virevolte, le battement de mes ailes marquant mon agitation. Bzzz. Bzzz. J’appelle. J’appelle en vain.

L’homme sur le banc tourne lentement les yeux vers moi. Il m’a repérée. J’en suis sûre. Une main posée sur le journal enroulé, l’oreille tendue, il me suit des yeux.

Puis au milieu de l’allée, un homme en bleu, épaules voûtées, vient en poussant un vélo. Il s’arrête à hauteur du banc et faisant un geste vers la poche de sa chemise il demande du feu. L’entomologiste plonge alors la main dans la poche de son pantalon puis lorsqu’il s’avance et tend le bras vers l’autre, je plonge et plonge mon dard dans la peau tendre de sa nuque exposée.

Je suce et je bois promptement, puis une fois gavée, je bats des ailes.

Mon ventre plein est si lourd que je peine à décoller.

Ivre, sustentée, je vais zigzaguant. Désorientée, je perds le nord. Puis je perds la tête et je m’affole, ne sachant plus où aller.

Et je suis si pressée. Si pressée.

Lentement, l’homme du vélo est reparti en fumant.

Toujours assis sur le banc, l’entomologiste se gratte la nuque, son journal maintenant repose déplié à ses côtés.

Fatiguées, mes ailes ralentissent le rythme et je descends, je descends pour me poser. Au moment où j’approche et je m’approche de la blanche étendue du papier, enfin j’aperçois, j’aperçois enfin, là devant, la surface lisse de l’étang.

Tistou 14/08/2020 @ 15:02:38
Un Western ton affaire. Littéralement.

L’homme sur le banc tourne lentement les yeux vers moi. Il m’a repérée. J’en suis sûre. Une main posée sur le journal enroulé, l’oreille tendue, il me suit des yeux.

C'est le début d'un duel dans un film d'Ennio Moricone. Mais paf, pas de bol, un tiers vient perturber l'affrontement. Il suffit de baisser sa garde un instant et bim !
Et la chance, c'est quoi ? C'est pour la moustique l'arrivée de l'homme fumeur ?
Merci d'avoir persisté pour participer puisqu'apparemment ça n'était pas si facile. Pourtant là ça coule tout seul !

Martin1

avatar 15/08/2020 @ 11:46:53
Tu prends ton temps d'aérer à la fois le texte et l'action. La gestion du rythme est bonne, et le style a quelque chose de concis et de peu usuel "Ivre, sustentée, je vais zigzaguant." ce qui me plaît bien !
C'est une bonne idée d'avoir choisi le point de vue de l'animal, ce que personne n'avait fait

SpaceCadet
avatar 16/08/2020 @ 10:24:10
En fait, (je l'ai écrit ailleurs), pour moi la contrainte 'temps' est un peu plus difficile à gérer que le reste. Normalement, suivant ma manière habituelle, j'aurais passé un certain temps à cogiter avant de produire une phrase, un titre, un texte. Puis j'aurais dû reprendre le texte dans un délai d'une ou deux semaines pour le fignoler, etc. Là c'est plutôt un 'draft'... un premier jet que j'ai rendu ici. Bien que le texte fini serait, je pense, assez concis, je trouve qu'il manque un peu de substance, quelques précisions ici et là, un peu de travail dans la forme et/ou le vocabulaire, puis la conclusion n'est pas tout à fait au point. Enfin, sachant que j'accorde pas mal d'importance à l'aspect physique du texte, il aurait fallu, une fois terminé, le ciseler un peu mieux.

@Tistou: la chance est du côté du moustique bien sûr, mais je crois que je n'ai pas su mettre mon idée en évidence car de mon point de vue, l'arrivée de 'l'homme fumeur' est liée au hasard (un hasard qui se traduit ici en chance) tandis que la chance (dans mon esprit) vient de ce que le moustique, au moment où il s'apprête à se poser 'là où il n'est pas bon de se poser' aperçoit l'étang où il pourra effectivement se poser et 'accomplir sa mission', à savoir pondre ses oeufs.

C'est toujours un plaisir d'être lu et commenté. Merci à tous.

Lobe
avatar 17/08/2020 @ 11:29:07
Le rythme de ce texte est agréable à suivre : il y a la fois une certaine précision dans le cadre, et un flou qui ouvre l'imaginaire. Les jours comptés de l'entomologiste, par exemple : pourquoi, comment ? le moustique porte-il une maladie particulière ? ou bien... ses jours sont comptés, certes comme ceux du moustique, mais sur un pas de temps plus long ? Et l'appel du moustique : à qui, pour dire quoi ?

Merci d'avoir écrit et partagé ce texte. La contrainte temps est une drôle de chose: sans elle, personnellement, j'ai du mal à me rassembler suffisamment pour écrire. Mais elle peut aussi provoquer la tension inverse, et disperser les mots. Dans ce cas, agir comme tu l'as fait me semble adéquat : poser la plume, et attendre le bon moment que la mouche de l'écriture vienne piquer...

SpaceCadet
avatar 17/08/2020 @ 16:07:56
Le rythme de ce texte est agréable à suivre : il y a la fois une certaine précision dans le cadre, et un flou qui ouvre l'imaginaire. Les jours comptés de l'entomologiste, par exemple : pourquoi, comment ? le moustique porte-il une maladie particulière ? ou bien... ses jours sont comptés, certes comme ceux du moustique, mais sur un pas de temps plus long ? Et l'appel du moustique : à qui, pour dire quoi ?



Mon intention avec 'Comme moi son temps est précieux. Comme moi ses jours sont comptés.' était d'établir un parallèle entre le moustique et l'homme à savoir que tous deux sont mortels et tous deux vivent donc avec cette contrainte du temps.

Avec 'Pressée d’accomplir ma destinée, je virevolte, le battement de mes ailes marquant mon agitation. Bzzz. Bzzz. J’appelle. J’appelle en vain.', je reprends d'une part la notion de temps, du temps qui presse pour le moustique car il doit se reproduire. Le battement des ailes, le bruit que produit le battement des ailes et que nous (humains) entendons, a chez le moustique femelle pour fonction d'attirer le mâle.

Puis une fois fécondée, elle aura besoin de sang (humain ou animal) car il contient des nutriments qui lui permettent de produire les oeufs qu'elle ira pondre... là où il y a de l'eau.

Et merci pour ta lecture Lobe.

SpaceCadet
avatar 17/08/2020 @ 16:12:59


Et merci pour ta lecture Lobe.



Et pour tes commentaires bien sûr (où donc ai-je la tête?!).

Cyclo
avatar 18/08/2020 @ 10:13:50
Bonne idée que le narrateur soit la moustique...
Je ne savais pas que la peau de la nuque était si tendre ! Ni que le Luxembourg restait ouvert si tard; En tout cas, c'est aérien !

Nathafi
avatar 18/08/2020 @ 21:18:21

Ce sera la première fois (et probablement la dernière !) que j'aurai éprouvé de la compassion pour cet insecte !
Mais ta narration nous pousse à l'empatie, presque, et on est un peu triste de voir que, gonflée de sang, la moustique est épuisée, je ne l'avais jamais vue sous cet angle, serais-je trop péremptoire ?

Tu nous offres un texte très visuel, et même sensitif, j'ai presque ressenti la piqûre !

Belle idée, cette vue de l'intérieur, il est vrai qu'on ne sait pas réellement ce qu'il se passe dans ces petites têtes, si seulement le dialogue était possible :-)

Merci SpaceCadet de nous avoir rejoints !

Magicite
avatar 21/08/2020 @ 16:10:40
Sympa cette participation et d'être "dans la peau" d'un moustique.
Perturbant ces humains plein de pensées compliquées quand tout à l'air si simple pour le moustique.
J'en voudrais plus du récit mais comme les pensées du moustique vont pas plus loin que l'étang ou la nuque c'est peut-être mieux ainsi
*s'éloigne en bourdonnant* ♫♪Bzz bZzz

SpaceCadet
avatar 22/08/2020 @ 11:36:17
Le personnage de l'entomologiste ne me parlait pas vraiment, du coup c'est venu tout naturellement pour moi que d'adopter le point de vue du moustique, une expérience qui d'ailleurs m'a beaucoup plu.

Merci pour votre lecture et vos commentaires.

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