Marvic

avatar 22/04/2020 @ 17:41:55
Le lendemain, le notaire arriva ponctuel au rendez-vous fixé. Son impatience dépassait le cadre de ses fonctions. Le récit de la veille l’avait emporté sur ces îles paradisiaques du bout du monde, dans des rêves de cartes postales, plages de sable blanc et cocotiers…
Où Madame Lartigue du Pontet allait-elle l’emmener aujourd’hui ? Vers quels rivages lointains ?

Son hôtesse avait déjà préparé le plateau, signe qu’elle aussi avait hâte de reprendre sa narration.
Elle lui demanda néanmoins avec courtoisie s’il souhaitait entendre la suite. Pure question de politesse, l’un comme l’autre impatients.

« Et bien, cher Maître, le retour de ce voyage féerique fut à la fois triste et joyeux. Triste parce que nous quittions des femmes et des hommes charmants, ainsi que Monsieur Houataou qui de traducteur était devenu un ami. Et heureux, heureux de la statuette magnifique qu’il nous avait offerte et surtout de cette grossesse inattendue. Mais grossesse ou pas, il n’était pas question de rester les mois à venir à terre. »

Madame Lartigue, en bonne conteuse qu’elle était, fit une pause. Le temps de lui servir une tasse de café, de déguster son thé, elle amena le notaire devant la photo d’un cargo, l’Euphrate.
« Ce bateau-là, voyez-vous, n’emmenait qu’une dizaine de passagers. Nous devions embarquer au Havre pour un voyage de trois mois jusqu’à Madagascar. Ce fut, soit dit en passant, la première fois où j’eus le plaisir de déguster de « vraies » bananes mûries sur place.
C’est curieux, mais je n’étais pas sereine, et je sentais que ma grossesse qui se déroulait fort bien par ailleurs, n’était pas la seule en cause. Êtes-vous papa Pierre, si ce n’est pas indiscret ? Mon mari était aux petits soins pour moi mais considérait que cette anxiété n’avait pas lieu d’être. Et pourtant…
Dès l’embarquement, les soucis ont commencé. Un marin n’était pas à son poste, il manquait des bagages à certains voyageurs... Quelques heures plus tard, les Abeilles ont remorqué le navire jusqu’à la sortie du port, pour le « libérer » dès la jetée franchie qui, ce jour-là, ressemblait vraiment au tableau de Monet, avec le mauvais temps, la pluie et la mer houleuse. Je dois vous avouer, au risque de paraître indélicate que je n’étais pas au mieux de ma forme.
Nous avons rejoint notre cabine agréablement spacieuse, ouvrant nos bagages, mais laissant précieusement notre statuette Tiki dans sa mallette. Nous la considérions à cette époque comme un porte-bonheur... je crois que nous faisions une grossière erreur. 
Le soir, nous étions attendus à la table du capitaine, un homme austère mais courtois, et nous avons pu faire connaissance avec les autres passagers. Se trouvaient sur ce cargo, des producteurs de vin de Bordeaux, un père et son fils qui allait prendre la succession de l’entreprise familiale. Norbert a aussitôt sympathisé avec le père, un homme jovial au verbe haut, avec lequel il partageait l’amour des bons vins. Un jeune couple belge, un peu réservé qui prenait le bateau pour la première fois à l’occasion de leur lune de miel. Au fil des jours, nous avons appris à apprécier leur discrétion et leur soutien...mais j’anticipe, pardonnez-moi ! Un autre couple était à bord, deux personnes plus âgées qui avaient quitté leur Canada natal projetant de faire le tour du monde au rythme des cargos. Plus ouverts, ils avaient une multitude de souvenirs fourmillant d’anecdotes à nous raconter.
Le grand propriétaire malgache qui retournait sur l’île, était le plus désagréable ; hautain, ne participant à aucune discussion ou échange, donnant l’impression qu’il n’était là que par pure convenance. 
Malgré mes sombres pressentiments, le voyage-aller s’est presque déroulé sans encombre. »

À ce moment précis, le clocher du village voisin sonna les douze coups de midi, interrompant mon interlocutrice qui cilla des yeux, comme s’ils la ramenaient à Hautefeuille. Il était temps pour moi de la quitter pour la laisser déjeuner en paix, quand je la vis hésiter.
« Accepteriez-vous de déjeuner avec moi Monsieur Pierre ? »
Cette demande déconcertante la mettait visiblement mal à l’aise , elle m’avait redonné du « Monsieur » ; elle vit que j’étais très embarrassé, la politesse se disputant avec l’envie.
« Vous savez, j’aime ma solitude entourée de tant de souvenirs, mais je vais vous faire un aveu, les repas seule, moi qui était habituée aux grandes tablées, je n’arrive pas à m’y faire. »
Un argument convaincant qui me fit accepter un déjeuner très agréable sur la terrasse , agrémenté, (Norbert avait effectivement bon goût) d’un excellent vin, qui venait, mon hôtesse me le confirma, des vignobles des producteurs croisés sur l’Euphrate. Si les confidences de madame Lartigue nous avaient déjà rapprochés, ce repas en tête à tête accentua cette intimité naissante.

« Où en étais-je donc ? Ah oui, nous n’étions plus qu’à une journée des côtes malgaches. Il était temps de commencer à ranger un peu nos affaires, avant de débarquer à Port Saint-Louis pour rejoindre Tananarive où mon mari avait à faire. Et c’est à ce moment là, que je m’aperçus que la statuette n’était plus à sa place ! Une cabine, même spacieuse, n’offre pas tant de cachettes possibles, et j’ai vite compris qu’elle avait disparu. Mon mari est allé aussitôt prévenir le capitaine, choqué par cet incident qui n’était jamais arrivé sur son bâtiment. Mais, la cabine a été rapidement explorée, mais un navire de plus de 140 m de long, c’était chercher une aiguille dans une meule de foin, d’autant qu’il avait refusé de fouiller les cabines des autres voyageurs au-dessus de tout soupçon d’après lui. Pour le capitaine, la statuette n’était qu’un souvenir de vacances à la seule valeur affective et nous pourrions en trouver une aussi jolie sur place. Ce qui est étrange puisqu’il ne l’avait jamais vue…
Nous avons dû nous résigner, abandonner tout espoir de la retrouver, de savoir qui pouvait être l’auteur d’un tel délit et pourquoi? »

Je voyais sur le visage de mon interlocutrice passer une grande tristesse, la déception d’avoir perdu sa statuette et celle d’avoir été trahie par des gens avec qui elle avait partagé cette traversée.
Mais sa vitalité naturelle reprit le dessus.
«Ce ne fut pas le seul problème de ce voyage. Quelques semaines plus tard, nous sommes remontés à bord de l’Euphrate pour un retour aussi pénible que le départ. Nous occupions la même cabine et quelle ne fut pas ma surprise de trouver sur l’étagère où se trouvait la mallette un message adressé aux « pilleurs de Tiku » !  J’ai gardé ce message que je vous montrerai en temps utile.
L’arrivée au Havre fut éprouvante. Nous commencions à apercevoir les côtes normandes et la reconnaissable tour de l’église saint joseph, accoudés au bastingage. Chaque arrivée est un moment émouvant, celle-ci particulièrement puisque l’avancement de ma grossesse allait m’imposer une pause plus longue qu’à l’habitude à Hautefeuille.  Nous distinguions déjà les grues de déchargement du port, les docks miraculeusement épargnés par les bombardements, mais toujours pas de remorqueurs. Intrigués par ce retard, mon mari et moi scrutions l’entrée du port. Et une chose incroyable nous est apparue : il n’y avait aucun mouvement. Aucun pêcheur sur la digue, aucun promeneur devant les cabanes de plage alignées et curieusement fermées en ce début d’été. C’est alors que nous remarquâmes le silence. Habitués que nous étions au bruit des machines, nous constations enfin qu’il manquait quelque chose. Les mouettes ; leurs cris perçants, leurs vols au dessus de la ville et des ports. Rien, pas une ne flottait, pas une ne volait. Que s’était-il passé pendant notre absence ? »

Il était déjà tard quand je quittais Eléanore (comme je me permettais de l’appeler maintenant). L’heure pour moi de prendre congé. d’ailleurs, elle ne fit rien pour me retenir tant elle semblait bouleversée.

Magicite
avatar 22/04/2020 @ 20:05:53
Bonne suite et atmosphère. J'aime bien la façon de s'écarter du fantastique possible pour y revenir et passer la main et aussi ces détails sur la navigation qui collent pas mal à l'épisode de Garance.
Dans ma partie j'avais envie d'imaginer une Indiana Jones au féminin. Ici j'ai un peu l'impression qu'il y a une enquête à la Agatha Christie qui se dessine et bien sûr ce port déserté et je suis bien curieux de voir ce que Cyclo va nous en sortir du chapeau :)

Cyclo
avatar 22/04/2020 @ 21:04:11
Ce sera pour demain ou après-demain, faut que je relise tout ça dans le calme ; à moins qu'une insomnie ? Car depuis une huitaine, je dors très mal !
En tout cas, va falloir que je réfléchisse...

Darius
avatar 23/04/2020 @ 10:54:31
Ce sera pour demain ou après-demain, faut que je relise tout ça dans le calme ; à moins qu'une insomnie ? Car depuis une huitaine, je dors très mal !
En tout cas, va falloir que je réfléchisse...


je suis juste aptès toi... je panique aussi tellement il y a d'infos... relire relire relire... mais j'ai déjà une petite idée... chut...

Garance62
avatar 23/04/2020 @ 13:01:26
Ah ah ah, on a repris la mer Marvic ! Avec des univers que tu sembles bien connaitre !
Bel épisode où un mystère en rejoint un autre sans compter la chute dans le silence...
Mais n'est-ce pas du silence, du vide, que peuvent naitre certaines choses bien plus importantes ?
Nous verrons où cela va nous mener, vive l'inconnu ! :)

Débézed

avatar 23/04/2020 @ 13:13:35
Je sens que je vais patauger grave dans cet univers marin. Je vais lancer une bouteille à la mer !

Radetsky 23/04/2020 @ 14:42:16
Je sens que je vais patauger grave dans cet univers marin. Je vais lancer une bouteille à la mer !

Bah ! Je ne regrette qu'une chose : que ça ne se passe pas en Bretagne, plus exactement dans le Finistère... :( Et cette mallette qui est censée changer de mains sans cesse, elle me semble bien confinée pour le moment !

Marvic

avatar 23/04/2020 @ 18:24:37
@Magicite

Dans ma partie j'avais envie d'imaginer une Indiana Jones au féminin. Ici j'ai un peu l'impression qu'il y a une enquête à la Agatha Christie qui se dessine et bien sûr ce port déserté et je suis bien curieux de voir ce que Cyclo va nous en sortir du chapeau :)

Indiana Jones et Agatha Christie ne sont pas incompatibles !
Merci Magicite !

@ Cyclo

Ce sera pour demain ou après-demain, faut que je relise tout ça dans le calme ; à moins qu'une insomnie ? Car depuis une huitaine, je dors très mal !
En tout cas, va falloir que je réfléchisse...

Bienvenue au club des insomniaques ! Mais il en passe des choses dans notre tête pendant que tout le monde (ou presque) dort ! N'est-ce pas Débézed ?

@Darius
je suis juste aptès toi... je panique aussi tellement il y a d'infos... relire relire relire... mais j'ai déjà une petite idée... chut...

Lors du précédent MM, j'étais en 10° position, ce qui représentait effectivement un multitude de détails qu'il ne fallait pas oublier mais qui en même temps, laissait la place à de nombreuses possibilités.
J'avoue que cette fois, il m'a fallu plus d'imagination, encore que...

@Garance62
Ah ah ah, on a repris la mer Marvic ! Avec des univers que tu sembles bien connaitre !
Bel épisode où un mystère en rejoint un autre sans compter la chute dans le silence...
Mais n'est-ce pas du silence, du vide, que peuvent naitre certaines choses bien plus importantes ?
Nous verrons où cela va nous mener, vive l'inconnu ! :)

Dès que j'ai découvert ton texte qui parlait de voyages et de bateaux, j'ai immédiatement pensé à mon père qui était officier de marine marchande jusqu'à ma naissance. En numérisant ses photos, j'ai retrouvé quelques clichés de bateaux sur lesquels il travaillait dont l'Euphrate; il allait régulièrement sur les bananiers, du Havre à Madagascar, et nous parlait du "vrai goût des bananes mûres".
Quant à la ville du Havre où vit ma famille maternelle, j'ai imaginé un monde où même les mouettes seraient en quarantaine :-)
Mais il fallait bien que je m'arrête, mon texte étant déjà bien long ! Quand je vous disais que la nuit portait conseil !

@Radetsky

Bah ! Je ne regrette qu'une chose : que ça ne se passe pas en Bretagne, plus exactement dans le Finistère... :( Et cette mallette qui est censée changer de mains sans cesse, elle me semble bien confinée pour le moment !

Après l'Ariège, n'hésite pas à nous faire visiter le Finistère !

Tistou 26/04/2020 @ 15:28:36
Voilà un texte dans la droite ligne du précédent, qui le développe et vire vers le fantastique à la fin.
On a donc confirmation que Norbert est le mari d'Eléanore. On se fait un coup de cargo vers Madagascar et, bing, la statuette est volée. Pas cool ça. Du coup ils ont dû avoir du mal pour l'échange de mallette noire ?
Du mal mais apparemment de la ressource puisqu'ils reviennent vers Le Havre, avec, nous l'imaginons bien, une mallette noire. Mais là, l'arrivée nous plonge dans une nouvelle situation qu'il va appartenir à Cyclo de développer ou d'expliquer. Ou pas.
A noter que leur voyage est repéré puisque c'est pour le voyage retour, soit bien après le vol de la statuette qu'on leur fait comprendre explicitement que la possession du "Tiku" n'est pas normale. Ce n'est clairement pas un simple vol ...
On progresse et je me dirige de ce clavier vers la suite de Cyclo, l'épisode 4. D'autant que j'ai bien compris que depuis hier matin, c'est à moi. Les choses avancent vite !

Nathafi
avatar 05/05/2020 @ 13:13:09

Plusieurs énigmes lancées, la disparition de la statuette, et celle des mouettes :-)
J'ai grand plaisir à te lire Marvic, les MM semblent te convenir, je trouve ça chouette !

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