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Magicite
avatar 12/11/2019 @ 03:29:41
Des fourmis sur le sable voilà qui était surprenant. Faut dire les fourmis ne craignent pas la chaleur pensait-elle. En suivant la ligne formée par ces homoncules à têtes noires et becs d’insecte elle vit un palmier dont l’écorce craquelée dégorgeait de ses minuscules parasites.
Les curieuses bestioles ne s’aventuraient pas jusqu’à la mer, les restes de pique-niques des promeneurs et baigneurs estivants devaient leur fournir tout ce qu’ils voulaient glaner. L’arbre à l’écorce brune et poilue comme une noix de coco était craquelé par la colonie, une sève sirupeuse et ambrée en suintait. Elle aimait les arbres et trouvait aussi les fourmis sympathiques et courageuses. Ce souvenir lui était resté, d’une enfance où la curiosité et l’intérêt pour les choses les plus petites et anodines n’a pas de limites.

Un chien jappe à son passage sur la terrasse du rez-de-chaussée, la clé métallique est gelée sous le contact de sa main. À peine sorti de son appartement le froid environnant l’a saisi de la chair jusqu’aux os. Sa main fébrile tourne la clé du local extérieur des poubelles et il expire une vapeur de buée hivernale comme pour se réchauffer. Vainement.
Sous ses semelles à travers des chaussettes sans pareilles le sol glacé traverse jusqu’à la plante de ses pieds. En s’avançant dans la rue il sourit en voyant le pâle orangé du soleil matinal s’étendre sur les nuages gris jusqu’au petit parc encore recouvert d’ombre au bout de la rue.

Le wagon cahote à chaque arrêt. Au dessus de la porte il y a une publicité d’une agence de voyages pour un séjour dans des îles lointaines. Elle fait de son mieux pour ignorer les visages glauques, regards hagards dont certains semblent la fixer, en regardant ailleurs. Il y a aussi des étudiants avachis sur leur siège casques vissés aux oreilles et des personnes absorbés par l’écran de leur téléphone; un ou deux fêtards attardés entre éveil et somnolence. Des salarymen et salarywomen l’air un peu hautain comme si les transports en communs ne sont pas dignes d’eux, tout un tas de la foule de la cité charriée vers ses activités journalières. Comme elle.

Il monte dans le bus où le chauffage et les gens qui sont y massés le réchauffent de leur voisinage compact et trop touffu. Il s’accroche à la barre au dessus de lui en regardant passer les rangées d’immeubles gris et sombres dans ce moment où l’éclairage public est éteint et la lumière du jour encore chiche. Certains des vieux platanes ont étés rasés et ceux qui restent font figure de squelettes rabougris après l’élagage récent. Adolescent il était rentré d’une soirée en titubant par ce même chemin. Après plus d’une heure de marche alors que les brumes de son esprit se dissipaient des pensées errantes secouaient en cyclone l’intérieur de son crâne. Entre l’effort et la fatigue il s’était adressé aux murailles silencieuses de l’allée monotone qu’il parcourait avec des pas erratiques. C’était bien sûr les arbres plutôt que les bouches en meurtrières de bétons des immeubles qui avaient absorbés le trop plein de son égo, de son moi, et avaient sembler les accueillir telle une embrassade familière. Aujourd’hui la plupart de ces arbres ont disparu remplacés par des trottoirs refait à neuf et des plots de sécurité pour les piétons. Pas même la trace d’un trou laissant percer la terre couleur glaise, juste le gris du trottoir et le noir mat et usé du goudron de la chaussée.

Dans la poche de sa veste en peluche la bosse de sa bombe anti-agression cogne un peu contre sa peau. Elle pense à sa tante qu’elle n’a pas vu depuis longtemps, près d’un an se dit-elle. Depuis l’enterrement, donc plus d’un an se ravise-elle. Avant avec sa mère et Sophie elle se voyaient tout le temps et c’était des rires et des disputes joyeuses tout le temps. Avant elle n’avait pas ce travail ennuyeux ni tout ce trajet à faire et elles se rendaient souvent dans ce parc à l’ouest de la ville pleins de larges allées bordées de kiosques avec des spectacles l’été et le reste du temps des gens qui flânent et jouent à être ensemble. Il y avait même de grands arbres, une forêt entière où l’on pouvait voir à perte de vue que la nature. Elle se disait maintenant que ça ne servirait à rien d’y aller seule et y aller avec tata Sophie lui rappellerais trop de souvenirs et du manque encore présent. Dans son autre poche il y a un livre à la couverture écornée. Elle ne le lira pas aujourd’hui mais le fait de sentir qu’il y a autre chose dans sa vie que son train train quotidien la rassure, lui donne une poignée pour s’accrocher à elle et ne pas s’enfoncer dans l’ennui de la routine quotidienne. Les portes s’ouvrent et se ferment avec leur souffle pneumatique. Plus que deux arrêts avant le sien.

Il se demande si ses collègues de travail le laisseront travailler seul. Enfin il y a le déchargement où tout le monde accourt avec Clark, Fenwick et transpalettes. Mais après que tout l’arrivage soit gerbé dans la zone de dépôt c’est plus calme. Il faut défaire , vérifier, compter et trier les colis avant de les empaqueter à nouveau cette fois ci pour chaque secteur du grand magasin. Pas vraiment plus calme en fait mais la tâche est répétitive et après tout les bons de réceptions correctement remplis les employés peuvent parler tout en travaillant. S’il s’occupe de jeter dans la benne les cartons et plastiques d’emballage il sera seul. Les autres employés le dépriment et l’ennuient. Bien que du même âge ils ne parlent que de leur soirées au casino, de leur gains ou pronostics au loto sportif et de trouver des prostituées le soir près de chez eux. Enfin ils ne parlent pas tout le temps de ces sujets mais quand sont épuisés les discours sur les bagnoles, les fringues de marques et les stars en vogue de la musique ou de la TV ces sujets reviennent souvent. Comme des hauts et glorieux faits, quelque chose les rendant spéciaux et hors de leur univers d’ouvriers. En général il préfère dire qu’il s’en fiche mais personne ne lui demande son avis. Alors il parle peu au travail et on lui parle peu. Il se contente de finir son travail sous les néons blancs dans l’allée de l’entrepôt en s’y absorbant; autant qu’un étiquetage de centaines de chaussettes ou sous-vêtements peut permettre d’avoir la tête occupée à quelque chose.
Il sort en frissonnant du bus pour s’engouffrer dans les entrailles du couloir du métro. D’autres passants se ruent comme lui et en même temps que lui dans le passage souterrain en le bousculant dans l’escalier dallé.

Quelques lumières du plafonnier semblent clignoter, grésiller comme une braise électrique soufflée par une invisible souris mécanique, et la rame s’immobilise pendant que la rengaine des portes en chuintement de pneus crevés s’écartent. Elle s’est déjà rapprochée de la sortie et selon le rituel urbain convenu dans les transports mais pas trop des autres faisant de même pour éviter les malotrus aux mains baladeuses; convenus aussi hélas. Des anonymes coulent à flot et elle avec. Comme des rats autistes dans un labyrinthe ne faisant aucune attention à l’autre sauf pour le pousser ou le presser d’avancer. Elle essaie de ne pas penser à sa journée à emballer des accessoires autos, ce qui la pousse indubitablement à lui faire se demander pourquoi elle fait cela. Le salaire bien sûr. Mais il doit y avoir autre chose dans la vie que cela. Elle longe le mur du couloir pour laisser passer ceux qui sont plus pressés qu’elle de se rendre à leur travail. Si au moins elle pouvait rencontrer quelqu’un qui la sortirait de sa mélancolie, un homme qui aimerait plus les arbres que de parler de tuning de voiture… Un comme le joli gars qui descends les escaliers maladroitement et fixe ses yeux d’un regard intense et avec un joli sourire.

Il pivote à demi, agacé et blasé mais se ressaisit vite parce que plusieurs personnes se croyant à une course dans le métro viennent de lui percuter consécutivement et répétitivement l’épaule et manquant le faire trébucher. En se rattrapant d’une embardée hâtive plus à l’écart de la ligne de fourmis ouvrières anonymes il se ressaisit aussi. Il est content de ne pas être comme eux qu’il imagine comme un troupeau de buffles au galop, sans que cela lui monte à la tête. Il lit des livres et n’a aucun sujet de conversation avec les autres employés de la grande surface. Il garde aussi espoir qu’il y ait des gens bien à rencontrer. Voire comme cette splendide fille qui rayonne dans les ténèbres de l’éclairage artificiel souterrain, le temps de croiser ses yeux en une émotion, l’espace suspendu d’un battement de cœur, de voir un sourire qui illumine sa mâtinée.

Il et Elle continuèrent à marcher dans l’anonymat de la masse des gens. Il faisait si froid, ils cherchèrent à se blottir en eux-même mais c’était une autre chaleur qu’ils voulaient.
Si seulement...

Lobe
avatar 14/11/2019 @ 15:24:14
C'est drôle Magicite, ton texte a beau être tout à fait ancré dans notre réel, le fait que ce soit toi qui l'écrive me pousse à imaginer que dans la masse d'humains se trouve un ou deux droïdes, que le bus vole plutôt qu'il ne roule, et que la singularité que portent Il et Elle est forcément amenée à se télescoper de nouveau, d'un jour à l'autre...

Et, j'ai lu sans essayer d'en trouver, mais je salue vraiment ta relecture anti-photes, parce que de fait le texte est ultra agréable à parcourir. Je veux dire, en dehors de la tristesse de ces vies menottées, et dans lesquelles l'amour a du mal à se frayer un passage... Merci!

Magicite
avatar 06/01/2020 @ 05:17:08
merci Lobe de ta lecture et comm.. J'avais marqué un truc peu après mais suite à une fausse manip. c'était pas partit.

C'est une idée de texte que j'avais depuis longtemps, il y a même un manuscrit de l'idée originale perdus depuis longtemps et ce texte à une autre approche.
L'idée de base c'est la société de l'anonymat et de l'indifférence et les blocages que nous avons à aller vers l'autre...et autre machin truc du genre.

Pas réalisme merveilleux à ma sauce en effet, j'ai voulu appuyer les personnalités contemplatives des 2 personnages.
Juste une souris mécaniques qui ronge les câbles d'une rame de métro pour s'en faire des cigares...
je ne sais pas si ça compte.

Quoiqu'il en sois si vous pardonnez ma médiocre écriture je me permets de vous soumettre sur le même genre ce qui suit.

Magicite
avatar 06/01/2020 @ 05:17:31
Grève encore, qui dure et qui perdure.
J’observe tapis dans le creux de l’escalier pour tenter d’échapper au courant d’air froid la foule des voyageurs au trafic immobilisé. Un garçon et une fille viennent de se rencontrer, il parle fort comme si chaque phrase qu’il dit allait se terminer par un éclat de rire tonitruant et elle minaude finement. J’espère qu’ils pourront se réchauffer. Dans ma poche le billet froissé me rappelle que le train que j’espérais n’atteindra jamais la voie du départ.

4h de retard à attendre.
Les premières heures je parle à des touristes philippins, un frère et une sœur riant et maugréant anglais et quelques mots de français sur leur destination et des amis à rejoindre.
Une annonce au micro pour des cars de remplacement et ils partirent en poussant un chariot de valises vers l’esplanade derrière la gare. Toujours souriant et plein de souhaits chaleureux.
Plus tard sur un banc du quai je parlais avec un homme grisonnant ou plutôt répondais parfois hâtivement à ses questions et remarques, c’est lui qui faisait l’essentiel de la conversation sur la région et la ville où nous nous trouvons et d’autres choses qui n’étaient pas toutes intéressantes.
Les micros parlèrent de compensation et de demandes de remboursement à faire en retirant un formulaire. Derrière des numéros de train les lettres tournantes s’étaient arrêtés fixé sur ANNULATION en lettres jaunes et luminescentes.
Les yeux de tous les passagers en déshérence se tournaient parfois vers les panneaux dans l’espoir qu’une solution alternative s’y affiche. Cela arrivait parfois et quelques groupes se mettaient en mouvement mais de nouveaux voyageurs sans transport s’amassaient et s’attroupaient autour des guichets, sous les panneaux et dans le hall de gare. Une fille d’Avignon a discuté avec moi, elle veut rejoindre ses amis pour les fêtes et on a écouté de la musique à tour de rôle sur nos téléphones pour ne pas vider leurs batteries trop rapidement. Elle s’appelle Éliane , je lui ai dit que ça veut dire ‘étoile scintillante’ dans un langage imaginaire et elle a ri en relevant la tête et son nez avec. Elle a de belles dents et un joli sourire.

5ème heure
Les portes grandes ouvertes et l’espace ouvert des voies ferrées laissent circuler librement le vent d’autant plus qu’aucun train ne le bloque sur les voies. Mon coin à l’abri était sombre. J’allais parfois en traînant mon lourd et volumineux bagage derrière ma route soit vers l’esplanade fumer une cigarette en contemplant les toits de la ville saignés de rues bondées par les autos défilant en constipation urbaine au rythme des feux de signalisation. Les jeunes gens qui se parlaient tout à l’heure se tiennent la main fatigués de se bécoter. Ils sont assis sur leur sacs comme sur les coussins d’un lit douillet.
Quelques pigeons ou oiseaux volètent sous la verrière à armature de métal avant de s’éloigner pour de meilleurs perchoirs que ceux du sommet de la gare.

8ème heure
Je n’ai plus de monnaie pour du café. Les bars sont fermés et il n’y a que les distributeurs automatiques qui fournissent quelques denrées. Il me reste une demie brioche sèche et au goût de levure et conservateur beaucoup trop prononcé et j’aurais bien pris un chocolat de la machine pour un peu de chaleur.
Le personnel des transports amène des brûleurs à gaz et commence à fermer les portes.
Les badauds énervés et lassés se rassérènent à leur arrivée, moi avec.
Cela me rappelle il y a une quinzaine d’années la plupart des gares n’étaient pas fermées au public la nuit. Durant des trajets il m’arrivais de devoir passer là nuit dedans pour attendre la correspondance partant à l’aube. Elle accueillaient ainsi les voyageurs qui comme moi prenait les billets les moins chers aux heures indues et au trajet découpé en tronçons espacés d’attente et toute la foule de ceux qui n’ont pas d’autres endroits ou dormir et viennent finir leur vin et leur nuit là bas.
J’ai discuté avec un groupe de touristes venant d’un pays d’Europe du nord. Mon sac est maintenant posé sous un banc du hall et moi dessus. Ils vont essayer de trouver un hôtel près de la gare pour se loger car ils sont en vacances et veulent profiter un peu mieux qu’en attendant sur un quai de gare.
Les renseignements sont toujours les mêmes pour mon trajet. Je dois attendre demain pour savoir si un train circulera et à quelle heure. Dès quatre heures du matin ils annonceront les départs.


10ème heure
Ils ont enfin allumés les braseros à gaz. J’ai passé une partie de mon temps d’attente à fouiller dans mon sac compact pour trouver un pull à me mettre sur le dos sans déranger tout le rangement.
Le personnel de la gare distribue des couvertures et des bouteilles d’eaux aux réfugiés du rail en grève. D’autres gens, quelques conversations et beaucoup de râleries et des visages lassés et fatigués de l’immobilisme effréné de nos trajets. Équipé au mieux d’une couverture et d’une bouteille d’eau (certains ont eu des sandwiches mais il n’y en a plus) je soupèse mon sac en envisageant les différentes possibilités. La nuit la ville s’illumine tandis que l’horizon se vide de lumière, les luminaires s’activant comme dirigés par un maître d’orchestre invisible et mêlent leurs feux aux enseignes et devantures colorées pour les fêtes.


12ème heure et 47 minutes.
Mon estomac gargouille. Je marche le long l’esplanade jouxtant la gare. Le froid griffe où ma peau est nue et je transpire du poids de mon sac bien que je ne marche pas vite. Je me détourne des brasseries animés du grand boulevard pour chercher un endroit plus dans mes moyens financiers du moment. Dans la première ruelle des boutiques qui ferment, je remonte la rue parallèle vers la gare et m’arrête devant le numéro 13 de la rue.
‘Estacion de Tacos’ est écrit en grosses lettres de néons rouges pour un snack restaurant dont la devanture est ornée de cactus portant des chapeaux mexicains.
Ma faim d’une journée d’attente à me nourrir de gâteaux secs et de café à un distributeur automatique me décide à rentrer dans l’échoppe.
Le serveur est un moustachu aux faux airs de meneur syndicaliste. Je me dis que de la nourriture épicée me tiendra chaud par cette saison et contre le vent. Il a un accent du sud-ouest et ponctué ses phrases de ‘Olé’. Une femme potelée se tient au comptoir et on entrevoit le chef cuistot par la meurtrière qui sert à placer les plats fumants destinés au service. Je suis le seul client aux tables de la salle, des jeunes passent plus tard prendre une commande à emporter avant de disparaître avec leur scooter au moteur bruyant.

14h
Je suis revenu à la gare qui ressemble à une île de naufragés, tous échoués avec leurs bagages sur le sol, contre les murs et les bancs. Des groupes se sont formés, aussi hétéroclites qu’éphémères et dont les membres ne partagent seulement que le fait de s’être échoué sur le même banc. Certains sont à l’écart, veillant scrupuleusement sur leurs affaires ou déjà dans l’inconscience du sommeil.
Mon repas était composé de haricots, champignons bruns et piquants , viandes et autres garnitures fourrés dans une galette de maïs. C’était bon et salvateur après la journée d’attente et agréablement peu cher. Dans un coin contre un mur non loin des brûleurs à gaz sur des tiges je me suis trouvé mon coin à moi. Certes assis sur le sol de carrelage et enveloppé dans une couverture rugueuse mais le dos à un boiserie avec vue sur le tableau d’affichage des trains.
Les épices ou les champignons font un drôle d’effet dans mon estomac. Je m’assoupit quand même, téléphone calé sous l’oreille et alarme silencieuse réglée pour avant l’aube.


Dans la nuit, malgré l’omniprésence d’horloges je ne sais quelle heure il est.
Je suis éveillé à moitié et prête l’oreille aux rumeurs de la foule. Les éclairages blancs de la gare ont laissé place à une obscurité partielle due à la présence d’un grand nombre de voyants lumineux et autres bidules indicatifs lumineux propres aux voies ferrées.
Quelques familles ou passagers encore éveillés chuchotent ou font bruisser le plastique d’un paquet de biscuit. Le couple de tout à l’heure est serré sous la couverture donnant l’impression d’une créature à un seul tronc et deux têtes. Les brûleurs à gaz se sont mis à bouger. Pour réduire leur consommation une fois la température plus clémente leur flamme est basse. C’est un dispositif expérimental de la SNCF. Une fois allumés ils peuvent servir le public, c’est prévu pour quand le personnel fait gréve, des machines remplaçant les employés. Leur trépied à roulette est adapté à presque tout l’espace de la gare bien qu’ils ne puissent passer à aucun lieu séparé par la moindre marche. Ils ont par contre des fines tiges situés sous la tête chauffante qui leur font office de bras et permettent de porter les bagages des voyageurs ou même d’actionner des leviers et interrupteurs.
Dehors le serveur moustachu passe en glissant fantomatiquement sur le sol. ‘Ôlé’ fait il en roulant les ‘R’ et en disparaissant dans la nuit.
Deux employés en uniforme font une ronde en se tenant la main autour des droïdes qui déambulent d’un bout à l’autre de la gare prêt à répondre aux diligences des usagers des transports, ou qui voudraient bien être usagers.
Même si l’ogre (ou un accident d’un chauffard bourré percutant la chaussée) crie au dehors, les robots à têtes d’ampoules assurent le gardiennage, chauffage et soutien du public.
Une petite fille la figure enfarinée de sommeil et grimaçante sanglote, un robot brasero à gaz roule vers elle pour la réconforter et lui tendre un nounours. Les parents la serrent contre eux pour qu’elle se rendorme et tout le monde est content.


2ème jour
L’annonce à été faite. Mes cheveux sont tout de travers et la nuit peu reposante. Le champignon ou les piments ou les conditions de sommeil dans une gare m’ont fait faire des rêves étranges. Heureusement les droïdes chauffants font la tournée des naufragés du rail pour leur distribuer une collation en guise de petit déjeuner. Ils ont même de ces coupes en plastique qui se réchauffent automatiquement quand on tire une languette au fond.
C’est annoncé pour moi: rien aujourd’hui. Je regarde le chat bus s’envoler pour les chanceux qui peuvent reprendre leur pérégrinations.
Les deux jeunes gens qui se sont rencontrés et enlacés sont maintenant devenus un arbre. Fin et élancé les gens parlent beaucoup d’eux, il y a même des paris pour savoir de quel arbre il s’agit.
Pommier et pamplemoussier sont favoris, moi je penche pour des clémentines vu les feuilles.

3ème jour
Macron et le gouvernement font la sourde oreille. Les grévistes gueulent toujours.
Je m’adresse toujours au même robot chauffage et je pense qu’il m’a pris en amitié. Il m’a même aidé à transporter des briques de l’extérieur pour aménager un siège confortable dans mon coin de la gare. En faisant la queue au guichet on m’a dit que j’aurais des chances d’avoir un train au décollage pour dans 2 jours mais que ce n’était pas sûr. D’ici là les droïdes me fourniront à boire et à manger et ils peuvent aussi me donner une autre couverture. Bouteille d’eau à volonté, et des sandwiches de pain de mie enserrant un peu de mayonnaise et une tranche de viande reconstituée.
Je commence à aménager mon coin et connaître mieux les autres gens. On partage des paquets de biscuits ou de chips pour agrémenter nos sandwiches. Certains ont même des thermos et j’échange des cigarettes contre des fonds de café tiède, à la guerre comme à la SNCF. Et il y a aussi Éliane qui passe de temps en temps, sont bus volant non plus n’est toujours pas venu.

4ème jour
Richard qui est un employé de mairie a eu une idée et avec les robots on a commencé des potagers entre les treilles des rails. J’espère que je serai parti dans une semaine mais si je suis toujours là on aura des petit pois et des radis ce qui nous changera des sandwiches triangulaires que nous mangeons tous avec peu d’envie.


9ème jour
Il m’est arrivé un truc extraordinaire. Le bus de remplacement a été percuté par une baleine alors que nous venions de décoller. Ce n’est d’ailleurs pas la saison des transhumances cétacés.
Après tout ce temps d’attente c’est énervant et je pense à faire un pèlerinage à Saint Jacques car on y mange mieux avec quelques coquilles et que j’arriverais plus vite ainsi. Il n’ont pas pu réparer mais m’ont dit qu’un autre car va venir, un à ballon d’air chaud qui ne risque pas de casser son moteur sur une baleine.
Alors que je me résigne à m’asseoir sur le bas côté de là où sont arrêtés les bus et que mon ami le robot m’apporte un casse croûte en triangle, une bouteille d’eau et une couverture kaki j’entends sonner une alarme.

Deuxième deuxième jour
Des employés avec des vestons rouge crient des noms de villes, les arrêts et destinations desservies.
On me secoue l’épaule. Éliane me dit que j’ai un train pour ma ville qui part bientôt en me désignant un quai où sont déjà alignées en file plusieurs personnes. Je la remercie et lui souhaite bonne chance pour arriver à sa destination. Ce n’est que dans la file en ayant couru en traînant le sac encombrant que je regrette de ne pas lui avoir parlé plus.
Si je lui avais proposé de venir faire les fêtes avec moi puisque qu’enfin il y avais mon train, ou si je lui avais demandé son numéro de tél…
...une fille qui relève le nez en même temps que sa tête c’est si rare et charmant.
Si seulement...

Tistou 15/03/2021 @ 11:49:06
Je parle là du premier texte (ou du début ? Je n'ai pas lu la suite encore).
Lobe dit vrai, c'est très prenant et on lit d'une traite sans être trop (un peu quand même mais c'est à la marge) déstabilisé par des fautes ou des tournures bizarres.
Lobe attendait - en vain - du fantastique, il n'y en a point mais ça convient très bien ainsi.
Vision désabusée d'un monde sans joie et sans trop d'objectif humain à atteindre. Du moins sans autre objectif humain à atteindre que les fameuses relations interpersonnelles qui méritent encore de nous donner de l'espoir et de l'allant.
Bien traité, Magicite.

Tistou 15/03/2021 @ 14:32:42
Second texte (ou suite, même si le lien est ténu).
Très réussi cette narration d'une descente aux enfers lors d'une grève SNCF (à cet égard je ne cache pas mon étonnement que des gens comptent toujours sur le train pour voyager de manière sûre ?). Descente aux enfers qui se termine en apothéose d'un cauchemar, probablement provoqué par une mauvaise nourriture mal digérée ...
C'est très prenant et on ne lâche pas le récit même quand, pourtant, des droïdes apparaissent aux fins de distribution de nounours aux petites filles en pleurs ou de club-sanwichs aux naufragés du rail. D'ailleurs cette partie m'a irrésistiblement évoqué une vieille chanson de Bernard Lavilliers :

https://youtu.be/SH3xK7YxuKE

Je ne dirais rien des collisions avec des baleines dans les airs. Ca arrive tous les jours mais bien sûr, personne n'en parle ...

Une morale toutefois ; éviter de manger trop lourd avant de s'endormir !

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