Lobe
avatar 18/10/2019 @ 18:24:16
Je ne pensais pas que ça m'arriverait, je crois que je peux commencer par ça. J'en avais envie bien sûr, ça me tentait, pas de doute, ça me faisait des frissons à foison, l'idée qu'une passion me tombe dessus sans avertir. Mais je n'y croyais pas: pas la place. Pas la place, autre chose qui la prend toute. Un autre pas vraiment glorieux, qui a à voir avec le confort d'une routine raisonnée. En sous-texte, peut-être, aussi, rôdait une peur tenace de se donner corps et âme à quelque chose qui n'est pas soi, quelque chose qui forcément creusera son trou, déplacera des meubles, remplira des armoires, mordra le cœur à pleines dents.

Donc je ne pensais pas qu'un jour, je regarderais en arrière en me disant "ça alors, quelle place ça a pris. Quelle place ça a pris, le tricot, dans ma vie!"

Voilà, c'est dit. Comment ça a commencé? Par une écharpe, avec un peu de vert, un peu de gris ardoise, un peu de jaune. Deux aiguillons roses qui tricotaient, c'était en hiver, la nuit était déjà tombée, c'était dehors à la lumière d'un lampadaire. Je vous dis, ça m'est tombé dessus, dans des conditions sur lesquels des esprits tâtillons s'arrêteraient. "Tout doux, tu vas t'user les yeux, ça n'enfantera rien de bon cette histoire!" pourraient-ils dire. Et même s'ils ont tort, il y a un point de vrai: je n'en ferme pas les yeux, parfois, de cette adoration qui s'est tissée.

Je crois que j'ai été séduite par la douceur. Par le naturel avec lequel c'est venu. Par les nouveaux gestes, à éprouver d'abord, puis à laisser se dérouler. Par la communion dès le premier kit à pelotonner. Par ce que j'ai appris de moi. Par tout ce que ça a ouvert de potentiel de chaleur. Depuis, je me suis blottie cent fois dans un grand sweat à bandes. Depuis, je me suis lovée avec délices dans un vaste plaid à carreaux. Et je sais la chance qu'ils soient dans ma vie, la chance que j'ai eu d'avoir osé suivre le fil jusque dans cette petite boutique gracieuse du onze bis, signalé par deux aiguilles: 11 bis.

Des fois, ça me parait si magique que je m'interroge. Et si ce sont les mailles avant tout qui m'ont choisie? Et si moi dans l'histoire je me suis juste laissée embobiner? En fait, ça a beau être faux - le tricot, c'est avant tout une histoire de rencontre, toute tricoteuse vous le dira - ça ne changerait rien. Si c'était la passion qui avait mandaté une angelotte pour venir me viser avec son arc, et une aiguille à tricoter en guise de flèche, et bien, j'en serais fort aise. J'ai un nouveau monde qui s'est ouvert à moi. Un monde plein comme un oeuf, un monde avec son vocable, ses couleurs, ses étonnements, un monde auquel je me suis liée bouche bée, et au point noisette.

Minoritaire

avatar 19/10/2019 @ 23:18:54
Quand j'étais petit, chez moi, on ne pratiquait pas le tricot; un peu la couture. Mais je me souviens d'une série animée ("Bonhommet et Tilapin" ?) où il fut question, lors d'un épisode, d'un hélicoptère, et où l'un des protagonistes demandait :"c'est quoi, un hélitricotel'air ?" Cinquante ans plus tard, cet hélitricotel'air reste toujours présent en ma mémoire.
Je crois entrevoir ce qu'il peut y avoir d'apaisant dans le tricot, maille après maille. Et la plénitude que l'on peut ressentir au total de toutes celles-ci, comptées et recomptées, pour finir écharpées ou pulloverisées. Ça ressemble très fort à ce que j'éprouve à coller et surcoller des bouts de papier sur des ballons qui deviendront un jour danseureuses ou madamonsieurs.
Ça ressemble sans doute très fort à toutes les passions, à ces activités auxquelles on se donne sans réfléchir, parce que ça fait du bien, à quelque niveau que ce soit.

Myrco

avatar 20/10/2019 @ 08:59:01
Toujours autant de talent Lobe !
Bien aimé aussi le commentaire de Minoritaire. Vous êtes frère et sœur en créativité!

Fd
avatar 23/10/2019 @ 09:48:16
Le tricot ? Quelle horreur ! Je n'ai jamais pu finir une brassière et mes mailles étaient si serrées que je n'arrivais pas à y planter mes aiguilles. Moi, c'est l'aquarelle et l'écriture. Une passion ? Oui, c'est merveilleux d'en avoir une et de s'y emmitoufler. Très joli la boutique aux deux aiguilles pour le 11bis. Bonne suite de bonheur pour toi, Lobe.

Tistou 15/03/2021 @ 14:46:47
Quand j'étais étudiant - je parle là d'un monde enchanté que les moins de ... beaucoup ... ne peuvent connaître - il m'arrivait de passer 2 heures dans le train (à cette époque lointaine ça fonctionnait) le dimanche soir à regagner Lille où j'étudiais. Etudiant dans école d'ingénieurs textiles, fils de tricoteuse émérite, j'avais insisté auprès de ma mère pour qu'elle m'apprenne. A tricoter. Bon, ça n'a pas dépassé le point mousse (le plus basique pour ceux qui sont béotiens en la matière). Mais elle m'avait confier ses restes de laines (et il y en avait) et je m'étais mis en tête de tricoter carrés, rectangles, de toutes tailles et couleurs pour, à terme, confectionner un plaid patchwork ...
Le terme n'est jamais venu mais le succès que je rencontrais dans mon wagon était, lui, garanti ! Et pourtant il n'y a pas en moi une once d'exhibitionniste, je crois. La démarche était sincère. L'étonnement des passagers aussi.
Tout ça pour dire que le tricotage je puis en parler comme expert. Expert professionnel, et ex-pratiquant.
Donc toi ... Ah non ! C'est une fiction c'est vrai. D'ailleurs c'est tricoté de toutes pièces !
Texte plaisant, avec Cupidon réarmé en aiguilles à tricoter ... (heureusement que ce n'était pas du crochet, tu serais restée hameçonnée !)

Cyclo
avatar 15/03/2021 @ 16:52:59
Je ne suis pas étonné non plus. Nous étions trois garçons, nés respectivement en 44, 45 et 47. en 1954, nous avons eu ensemble la varicelle, je crois. Comme on faisait trop de chahut dans notre chambre commune, ma mère nous a donné à tous trois deux aiguilles à tricoter, des chutes de pelote, et nous a appris à tricoter. En une semaine, le temps que la maladie décline, nous savions tricoter, maille, endroit, maille envers, point mousse, jersey : après nos essais , des carrés, et rectangles, comme Tistou, elle nous a fait faire des choses plus difficiles, des vêtements pour la poupée de notre petite sœur, née 49 ! On y est arrivé.
Mes deux frères sont morts maintenant. Je n'ai jamais oublié et, de temps en temps, tricote une écharpe ou même une veste. C'est incroyablement déstressant.
En 1976, en vacances à Cauterets avec mon amie de l'époque, j'avise un magasin de "laine des Pyrénées", la patronne dit à ma copine : "Qu'est-ce que vous désirez ?" Elle lui répond, c'est pas pour loi, c'est pour lui !" "Oh ! ça ne me surprend pas, vous savez, dans ma jeunesse, j'avais comme clients le bergers qui faisaient la transhumance, ils tricotaient pour passer le temps, tout en guettant du coin de l’œil leur troupeau, avec l'aide de leurs chiens merveilleux !"
J'ai encore mon matériel de tricot dans l'armoire, mais j'avoue n'y plus toucher beaucoup. De temps en temps, je mets encore, par grand froid, une écharpe que j'ai tricotée !

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