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lannis m'écrivit un jour:
« Elefthérios, tu veux comprendre le grand changement à partir d'une chose très simple? Voilà.
Avant, quand un marchand disait: "Prenez-en deux au lieu d'un, car le deuxième est gratuit", il
était certain que les gens en prendraient deux. Si le marchand annonçait: Je donne ceci gratis'",
même s'il s'agissait d'une chose inutile, d'une babiole encombrante, par le fait même que c'était
gratuit, il était assuré que les gens le prendraient. Car les gens étaient des consommateurs.
Ils avaient compris après la guerre que c’était ça qu'il fallait devenir essentiellement, des consom-
mateurs, et cela était très bien, car il y avait besoin de cela pour relever deux choses nécessaires
entre toutes pour nos pays : la prospérité et la paix. Le consommateur est né pour ça. Avant cette
période, les gens n'étaient pas d'abord des consommateurs. C'était autre chose. Maintenant,
nous sommes après. Les gens ne sont plus des consommateurs. Les gens de ta génération,
oui, encore, mais pas ceux de la mienne. Dis aux gens : "Prenez-en deux, car la deuxième est
gratuite. Et qu'importe que vous en ayez besoin ou pas, Prenez-la." Eh bien, les gens, maintenant,
risquent bien de ne pas la prendre. Et même, de se sentir offensés, agressés, par ton insistance.
« Le bon sens n'est plus le même et les évidences on changé. Le prix ne fait plus la valeur.
La mutation de l'homo economicus est profonde et instinctive.
« Ta génération comprendra vite, car elle ne s'est vouée à la consommation que par esprit
de sacrifice, en réalité. C'était pour sauver l'Europe. Inconsciemment, et pas seulement
inconsciemment d'ailleurs. Vous avez toujours été marqués visiblement par la nostalgie de
l'époque anté-consumériste. C'est ce bourgeon de nostalgie qui fleurit dans notre génération
à nous, joyeux, calme et sans souci de faire des réserves et d'accumuler.
« Nous, nous sommes en avance. Les pays émergents par exemple, sont encore dans la poussée
même, je dirai presque l'aube, de leur consumérisme. Regarde-les s'enthousiasmer de façon
si puérile pour le luxe et la pacotille. Les néoconsommateurs, nouveaux riches russes, indiens,
chinois... On dirait des sauvages de jadis, qu'on amadoua avec de la verroterie. Regarde-les,
regarde comme le rose ne leur suffit pas, comme le rose fluo n'est pas encore suffisant, ni le
rose fluo fuchsia, qu'ils trouvent enfin fade devant le tout nouveau rose fluo fuchsia gloss !
Qui sera bientôt détrôné par le super-gloss. On les entend d'avance gémir de plaisir.
— Tous, Grégoire Polet
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lannis m'écrivit un jour:
« Elefthérios, tu veux comprendre le grand changement à partir d'une chose très simple? Voilà.
Avant, quand un marchand disait: "Prenez-en deux au lieu d'un, car le deuxième est gratuit", il
était certain que les gens en prendraient deux. Si le marchand annonçait: Je donne ceci gratis'",
même s'il s'agissait d'une chose inutile, d'une babiole encombrante, par le fait même que c'était
gratuit, il était assuré que les gens le prendraient. Car les gens étaient des consommateurs.
Ils avaient compris après la guerre que c’était ça qu'il fallait devenir essentiellement, des consom-
mateurs, et cela était très bien, car il y avait besoin de cela pour relever deux choses nécessaires
entre toutes pour nos pays : la prospérité et la paix. Le consommateur est né pour ça. Avant cette
période, les gens n'étaient pas d'abord des consommateurs. C'était autre chose. Maintenant,
nous sommes après. Les gens ne sont plus des consommateurs. Les gens de ta génération,
oui, encore, mais pas ceux de la mienne. Dis aux gens : "Prenez-en deux, car la deuxième est
gratuite. Et qu'importe que vous en ayez besoin ou pas, Prenez-la." Eh bien, les gens, maintenant,
risquent bien de ne pas la prendre. Et même, de se sentir offensés, agressés, par ton insistance.
« Le bon sens n'est plus le même et les évidences on changé. Le prix ne fait plus la valeur.
La mutation de l'homo economicus est profonde et instinctive.
« Ta génération comprendra vite, car elle ne s'est vouée à la consommation que par esprit
de sacrifice, en réalité. C'était pour sauver l'Europe. Inconsciemment, et pas seulement
inconsciemment d'ailleurs. Vous avez toujours été marqués visiblement par la nostalgie de
l'époque anté-consumériste. C'est ce bourgeon de nostalgie qui fleurit dans notre génération
à nous, joyeux, calme et sans souci de faire des réserves et d'accumuler.
« Nous, nous sommes en avance. Les pays émergents par exemple, sont encore dans la poussée
même, je dirai presque l'aube, de leur consumérisme. Regarde-les s'enthousiasmer de façon
si puérile pour le luxe et la pacotille. Les néoconsommateurs, nouveaux riches russes, indiens,
chinois... On dirait des sauvages de jadis, qu'on amadoua avec de la verroterie. Regarde-les,
regarde comme le rose ne leur suffit pas, comme le rose fluo n'est pas encore suffisant, ni le
rose fluo fuchsia, qu'ils trouvent enfin fade devant le tout nouveau rose fluo fuchsia gloss !
Qui sera bientôt détrôné par le super-gloss. On les entend d'avance gémir de plaisir.
— Tous, Grégoire Polet
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