Lobe
avatar 25/01/2019 @ 22:55:56
Georgia connut Mark Berolle en lisant Le Soir, un matin de novembre. Par un absolu hasard, un hasard romanesque. Elle le connut en lisant un entrefilet. Il y avait pourtant toutes les chances qu’elle passe à côté, Le Soir, elle ne le lisait pour ainsi dire jamais. Le texte relatait :

« Un garçon de 15 ans est devenu le champion de Suisse des majorettes en dépit des sarcasmes et quolibets qu'il a endurés pendant des années de la part de ses camarades d'école. Mark Berolle, qui réside au Sentier (Ouest de la Suisse), était l'un des 12 garçons à participer à ces championnats, qui ont réuni 1.500 majorettes du 26 octobre au 1er novembre. Il s'est imposé dans les catégories solo avec un et deux bâtons. Mark a commencé à faire virevolter les bâtons dès l'âge de huit ans. »

C’était en 1997, elle avait 13 ans, l’âge auquel on a sur la vie un bon paquet de conceptions mûrement réfléchies, quoique passablement brinquebalantes. Georgia avait de solides certitudes sur un point au moins : elle aimait passionnément le twirling, elle y était dédiée, et elle y était douée. Elle y consacrait ses lundis et mercredis et vendredis soirs. Le dimanche, c’était compétition. Quand elle se projetait dans son futur, elle imaginait une vie de justaucorps moulants et de paillettes, sur les routes, de salles de spectacle en fêtes de village.

Mais pas seule. Quand elle avait fait ce constat, qu’elle ne supporterait ni la solitude, ni de céder un pouce sur son envie de vivre de son bâton de twirling, de la synchronicité entre son corps et son bâton, c’est-à-dire de l’accord profond et honnête qui régnait entre eux, elle avait paniqué. Un instant, son cœur était tombé lourd dans ses chevilles, et elle s’était reprise. Elle trouverait un garçon qui l’accompagnerait. Il pourrait bien être musicien, avec une grosse caisse fanfaronne, ou il serait kiné, ou ingénieur lumière, ou commercial sur les routes, et ses routes et les siennes seraient les même, ou - ainsi commençaient ses rêveries.

Alors Georgia connut Mark à travers ce bref article du journal Le Soir que jamais elle ne lisait, et du moment qu’elle fut au parfum de son existence sur cette terre, les choses ne furent plus pareilles. La physionomie de ses jours, de ses nuits changea radicalement : il y avait donc un être sur cette terre qui lui correspondait en tout point, il s’appelait Mark Berolle, il résidait en Suisse au Sentier, il avait commencé le twirling à huit ans, il y excellait.

Elle avait trouvé du papier à lettres, y avait écrit trois paragraphes aussi sobres qu'à cette heure de vie on sait l'être, où elle exprimait ses plans d’avenir, ses rêves et ses craintes. Elle lui dit qu’elle avait atteint l’âge de raison, qu’elle pouvait bien quitter Bruxelles, que ses parents ne lui manqueraient guère, et qu’elle n’avait peur que d’une chose : que cette lettre ne lui revienne du Sentier, marquée du sceau funeste : « Destinataire inconnu à l’adresse indiquée ».

Il lui répondit qu'il serait ravi de la rencontrer, qu'il avait justement une compétition prévue à Bruxelles en avril suivant. Plus tard, bien plus tard, quand ils eurent dépassé leurs nonante ans, ils s'éteignirent tous deux concomitamment. On les enterra avec leurs deux bâtons de twirling unis par un ruban noir, et une certaine brève du Soir.

Cyclo
avatar 26/01/2019 @ 20:50:41
Alors là, j'avoue que j'ai été bluffé ! Une histoire où la francophonie est bien présente (Belgique / Suisse) et où "le" majorette n,'a pas à rougir ; d'ailleurs, ça se termine par un marioage qui doit durer selon mes calculs près de 80 ans !!!

SpaceCadet
avatar 27/01/2019 @ 11:41:19
J'adore le début; c'est direct et concret et réaliste; il nous entraîne de suite sur le fil d'un texte très fluide, qui passe comme une lettre à la poste! Les quelques notes techniques sur la pratique de cette activité sont bien intégrées à l'histoire, à l'image des contraintes qui ont été traitées de manière créative sans que cela ne fasse encoche à l'homogénéité du texte. La conclusion semble un peu précipitée (à mon goût) mais comme le texte doit être livré 'à temps', c'est on ne peut recevable.

Pieronnelle

avatar 27/01/2019 @ 13:36:47
Rencontre improbable, UN majorette et un amour du bâton "twirling" dont j'ignorais l'existence ! Et un texte drôle et hors du sentier battu de l'exo ; comme quoi on peut être heureux et faire sa vie autour d'un bâton qui vole dans les airs !
Des phrases que j'adore :
Un instant, son cœur était tombé lourd dans ses chevilles
Il pourrait bien être musicien, avec une grosse caisse fanfaronne, ou il serait kiné, ou ingénieur lumière, ou commercial sur les routes
Ingénieur lumière !!! faut le trouver...
Mais la fin alors top !
Après les nonantes je me demande bien avec quoi on va bien pouvoir se faire enterrer avec mon mari...:-)
C'est curieux mais je te voyais pas évoquer la ou le majorette avec autant de facilité ! moi j'en ai été incapable d'où le retrait dès le départ...:-)

Fd
avatar 27/01/2019 @ 15:02:07
Pour une fois (une première ?) c'est un garçon qui imite les filles et se retrouve seul au milieu d'elles, et non le contraire ! Quelle bonne idée.

Magicite
avatar 27/01/2019 @ 20:34:59
Une originalité dans le style où le renversement de situation est le thème central(un matin en lisant LeSoir... etc). C'est réjouissant tout ça bravo pour cette reprise en douceur.J'imagine ces 2 tourtereaux marcher la main dans la main en costume et au son de la fanfare.
Au fait maîtrise tu des passes et mouvements de twirling? On pourrais le penser, en tout cas les détails nous plongent dans cet univers. 'Un majorette', m'est souvenir que ça doit exister et je serais pas le dernier à lancer des quolibets, rapport à ce que j'ai pas une tête à chapeau ni le sens du rythme peut-être :p

*ingénieur lumière c'est comme ingé son ça n'existe pas. Mais bon ça s'entend souvent alors...Mais en réalité on parle du métier(plus de pratique que académique d'où l'inexistant diplôme de niveau ingénieur) d'éclairagiste voire de lighteux/lighteuse et de sondier en terme général, avec des(nombreuses) spécialités comme 'poursuite'(au théâtre diriger la lumière en fonction de la scène, généralement 'manuellement' sur les acteurs), preneur de son/perchiste, sonorisateur pour celui qui mixe en direct sur un concert etc...

Tistou 28/01/2019 @ 12:03:16
Fluidité, oui, c'est ce qui vient en tête une fois terminée la lecture de ton texte. C'est fluide, comme d'habitude pourrait-on dire.
Contrepieds. On pourrait aussi penser à ça. "Le majorette", le "Destinataire inconnu à l'adresse" qu'on sait que tu vas devoir placer et que le coeur se pince à l'idée de la déception de Georgia et ... et bingo, tu places un cadrage-débordement de toute beauté et pfuit, exit le coeur pincé. Bravo !
Temps restreint mais texte réussi avec une certaine complexité, gage de qualité.

Nathafi
avatar 29/01/2019 @ 21:21:37

Très touchant Lobe ! Et j'ai beaucoup aimé cette façon d'écrire, j'avoue parfois avoir un peu de mal à comprendre certains de tes textes, et il me faut beaucoup d'efforts :-))

Ici je suis charmée, par l'idée, par l'histoire, par le dénouement !
Merci !

Lobe
avatar 07/02/2019 @ 16:47:07
J'adore le début; c'est direct et concret et réaliste; il nous entraîne de suite sur le fil d'un texte très fluide, qui passe comme une lettre à la poste! Les quelques notes techniques sur la pratique de cette activité sont bien intégrées à l'histoire, à l'image des contraintes qui ont été traitées de manière créative sans que cela ne fasse encoche à l'homogénéité du texte. La conclusion semble un peu précipitée (à mon goût) mais comme le texte doit être livré 'à temps', c'est on ne peut recevable.


Eh bien figure toi que pour une bonne partie du début, j'ai... pompé. D'ailleurs, c'est autorisé, le plagiat en exercice? je m'excuse si j'ai piétiné notre charte éthique!!!

L'original est ici: https://lesoir.be/art/…

Lorsque j'ai eu l'idée d'une majorette masculine, j'ai essayé de trouver le bon terme. Et je suis tombée sur cet article, qui m'a ravie. J'ai adapté l'âge, le lieu, et le nom, pour que ça colle. Un coup de chance!

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