Cyclo
avatar 25/01/2019 @ 22:49:41
Mathias courait comme s’il avait le feu au derrière. Il avait pris le sentier qui contournait le lac. Dans son petit sac à dos, il y avait la lettre que lui avait confiée son amie Marinette. Il se demandait s’il allait la porter à son destinataire, ce gros crétin de Stéphane.

Car enfin, même s’il ne le lui avait jamais dit, c’est bien lui qui l’aimait, la Marinette, cette fille au sourire si tendre, qui était loin d’être la plus belle de sa classe, et à qui il n’avait jamais trop osé parler, mais qui lui avait tapé dans l’œil, quand il l’avait vu un dimanche, au jardin public, costumée en majorette, derrière la fanfare. Avec sa taille fine, elle en jetait dans son habit de parade, jupette blanche, veste rouge, casquette rouge à visière blanche et bottines blanches montantes à lacets. Un enchantement !
Quand il la reconnut, ce fut simple, il n’avait vu plus qu’elle, les autres n’existaient plus. Mathias avait cru deviner son parfum délicat, de toute façon, pour lui, Marinette était une fleur, il avait réussi à la prendre en photo avec son smartphone, en zoomant un peu, et depuis, le soir, il faisait une prière en pensant à elle. Pourtant, il avait bien l’âge de raison maintenant, et il imaginait comme les autres garçons se moqueraient de lui, s'ils savaient, mais c’était plus fort que lui. Il envisageait même de passer chez le photographe pour voir si on ne pouvait pas tirer une photo qu’il pourrait mettre sur son bureau. Ainsi, quand il ferait ses devoirs, il était sûr que ça l’aiderait.
Mais voilà, hier, à la sortie du lycée, c’était Marinette qui l’avait abordé.
« Je peux rentrer un bout de chemin avec toi ? »
« Pourquoi pas », répondit-il d’une vois étranglée.
Ils cheminèrent un temps en silence. Mathias était timide, il aurait tellement voulu avoir Marinette comme amie qu’il ne savait quoi dire. Les mots faisaient comme une bouillie dans sa bouche, il n'arrivait pas à construire une phrase. « Elle doit me prendre pour un idiot », pensa-t-il, quand elle ouvrit de nouveau la bouche, au moment où ils tournaient sur la Place de la mairie :
« Bon, je prends par la rue Victor Hugo, là-bas. Et toi ? » 
« Moi, ben je… je… Par là... » Et il fit un geste pour indiquer l’autre rue, Anatole France. « Mais je… je… peux aussi passer par Victor Hugo, ça fera un petit… détour ! »
« Oh, non, j’ai seulement besoin que tu me rendes un petit service. J’ai une lettre dans mon sac : est-ce que tu pourrais la porter à son adresse ? C’est de l’autre côté du lac, et j’ai pas trop le droit de sortir seule, tu sais... »
Mathias sourit.
« Donne-moi ça ! C’est pressé ? »
« Si toi, t’as la perm de sortir, j'aimerais que tu la portes dès ce soir… Je te vois courir en sport, tu as une jolie foulée,t'es beau quand tu cours ! Tu pourrais même y aller en courant, ça t’entraînera, à peu près dix km aller-retour. »
« J’aurai l’autorisation de ma mère. Elle me trouve trop gringalet, elle aime bien que je fasse du sport. »
« Elle a raison, ta mère, je t’aime bien aussi. Merci. »
Et elle lui donna la lettre, que Mathias mit dans son sac. Ils se quittèrent.
Il était rentré chez lui. IL se mit en tenue de sport et dit à sa mère :
« Mom, j’ai une commission à faire, une lettre à déposer, je vais y aller en courant, je reviens dans une heure ! »
« Va, mon grand ! T’as pris une bouteille d’eau, au moins ? » Et, en se haussant sur la pointe des pieds, elle lui donna un baiser sur le front.

C’est en sortant de la ville et en s'engageant sur le sentier qu’il avait regardé l’enveloppe et qu’il avait vu que la lettre était destinée à Stéphane, le super beau gars de la classe. Toutes les filles lui tournaient autour, mais il pensait que Marinette faisait exception. Eh bien non… Elle aussi…
Mathias se demanda un instant s’il allait la porter. Il connaissait l’adresse, il avait déjà fait du jogging vers cette petite rue résidentielle, de l’autre côté du lac, ce "Chemin fleuri" bordé de villas de bourges… Eh bien, oui, il le ferait, il montrerait qu’il avait de la grandeur d’âme, et surtout il ne voulait pas décevoir celle qu’il s’obstinait à vouloir comme amie. Il s’était engagé, il allait le faire.
Le printemps était là, et déjà les pins embaumaient, quelques genêts avaient commencé à fleurir, une petite brise faisait des friselis sur le lac. Il respira un grand coup, et poursuivit sa route.

15, Chemin fleuri. Il regarda la boîte à lettre, il y avait bien le nom de famille de son condisciple, qui avait tout pour lui : famille chic, maison immense (rien à voie avec leur petit appartement), un jardin paysager qui ressemblait presque à un petit parc, avec des rocailles, un petit étang et un saule pleureur qui penchait dessus.
« Je la dépose dans la boîte ou je sonne pour la donner en mains propres ? », se demanda-t-il.
Finalement, il sonna. Une dame ouvrit la porte et vint à sa rencontre :
« Bonsoir, Madame. Voilà, j’ai une lettre pour Stéphane. Nous sommes dans la même classe. Je suis chargé de la lui remettre. »
« Mais entrez donc, je vais l’appeler... »
« Non, voyez-vous, je suis venu en courant et il faut que je rentre de même… Remettez-la lui, je vous prie. »
« Oh, mais notre chauffeur peut vous ramener en ville, entrez donc, je vais appeler Stéphane ! STÉPHAÂNE !!! »
Mathias la suivit et entra dans le hall. Il aperçut Stéphane qui descendait un escalier qui lui parut monumental.
« Ah ! c’est toi, Mathias. Que me vaut l’honneur ? »
« Une lettre, pour toi. C’est Marinette qui me l’a confiée, j’ai préféré te la remettre en mains propres, je suis venu en courant ! »
« Ah, c’est vrai que tu aimes le course à pied, toi. Tes un as, t'’as les jambes qu’il faut ! Accompagne-moi à la cuisine, on va boire un jus de fruits !»
Et Mathieu le suivit. La bonne sortit deux verres et versa du jus d’oranges et les laissa seuls.
« À ta santé, Matt ! Si tu savais comme j’en ai marre de recevoir des lettres de toutes ces filles ! J’ai qu’une idée en tête, c’est de les leur renvoyer avec mon nom barré et de rajouter : "destinataire inconnu à l’adresse indiquée". »
Il se pencha vers Mathias et lui dit très doucement à l’oreille :
« Je vais te dire un secret, mais ne le répète pas : je n’aime pas les femmes ! Toutes ces filles me font suer. Je suis plutôt, pour le moment, attiré par les hommes. Et puis, j’ai que quinze ans ! Pas encore l’âge d’aimer, quoi ! Je verrai plus tard.»

Mathias déclina l’offre d’être ramené en voiture. Il voulait savourer son plaisir. Et courir, tout guilleret, vers chez lui, où il retrouverait sa mère et sa petite sœur, et où il pourrait penser à Marinette. Il ne trouvait plus, au fond, que Stéphane était un crétin ! Au contraire, il était génial !
Et demain, il retrouvera Marinette et il saura lui parler...

Magicite
avatar 26/01/2019 @ 20:46:27
Tu nous emporte dans un récit avec des personnages, de l'action et des rebondissements. Cela se tient, se lit bien de bout en bout. Même si le beau gosse adulé par les filles qui dit à son pote qu'il préfères les garçons est un ressort plus drôle que réaliste(je suppose à cet âge où toutes les différences sont souvent des exclusions et le regard des autres encore important). Bourré d'humour sans être non plus improbable. J'aime l'humour en arrière-plan mais omniprésent. Le coup de la photo est génial aussi, ça participe au réalisme de l'histoire. Matthias lui à l'âge d'aimer et c'est joli sans tomber dans le culcul, ça m'a rappelé avec nostalgie mes émois au collège, d'une fille de la classe que je cherchait à voir dans le reflet de ma montre pendant les cours, ou encore maintenant de la joie fébrile de courir quand une fille me sourit. Sauf que je ne court souvent pas assez vite où même dans le bon sens...mais ça c'est une autre histoire ;)

SpaceCadet
avatar 27/01/2019 @ 13:45:21
C'est pas vrai!!! Je n'en reviens pas! Et là je suis épaté parce qu'avec tous les détails que tu as su mettre dans ton texte... c'est tout à fait crédible. Bien rythmé, on sent le pas de course qui fait écho à l'émotion, tout cela sans négliger le cadre dans lequel l'histoire se déroule. Un beau texte bien charnu.

Cyclo
avatar 27/01/2019 @ 14:14:32
Je n'ai pas oublié l'époque où je courais des marathons et où le cerveau carburait à plein régime !

Tistou 27/01/2019 @ 18:54:00
Contraintes trop précises et prises au premier degré ou quasi et bing ! normal qu'on soit toi et moi sur une histoire similaire ...
Similaire ? Mais pas identique, non, non.
Oui, elle a du sens ton histoire, ça s'articule harmonieusement et ça fait largement les 4 500 - 5 000 signes à vue de nez.
Ah les majorettes ! Elles font rêver certains garçons apparemment ? Mathias et Jimmy par exemple !
Heureux que tu aies pu t'arranger pour participer, Cyclo.

Pieronnelle

avatar 28/01/2019 @ 14:43:12
C'est vrai il y a ressemblance avec le texte de Space dans l'idée ; dans la forme c'est différent, plus théâtral avec dialogues et mise en scène et puis là le personnage va récupérer la majorette pour lui :-) C'est sacrément bien amené et on a bien le temps de "voir" le Mathias avec son état d'âme et sa droiture. L'astuce c'est justement d'avoir permis que Mathias porte la missive et que finalement il en soit grandement récompensé ; on s'attend à un tour de passe-passe comme dans plusieurs autres textes et bien non, comme quoi...il récolte deux amitiés au lieu d'une :-)

Nathafi
avatar 29/01/2019 @ 21:09:55

Ton texte m'a rappelé un copain de lycée dont toutes mes copines étaient folles amoureuses, pour lesquelles je jouais à l'entremetteuse, et lui rejetait toute proposition :-) Je n'ai compris que bien plus tard pourquoi…

Bien ficelé, et chapeau pour la longueur au vu du temps passé à l'écrire !

Lobe
avatar 07/02/2019 @ 16:24:01
Cyclo ton texte m'a fait très très plaisir. Parce que jamais je n'aurais parié que deux histoires amour homosexuelles viendrait se nicher sur un exercice CL un serein vendredi soir, d'autant moins sous la plume d'un farceur septuagénaire, et alors vraiment pas avec ce titre! Mais Dieu est amour, right?

En tout cas j'ai trouvé ton récit très enlevé, et, donc, absolument pas prévisible. Parce que s'il commence un brin "vieille France" (la fille cloitrée chez elle, les rues au nom de sommités de la littérature, la prière en pensant à Marinette - et je dis tout cela sans une once de jugement), c'est vrai que la chute crée un pont vers autre chose, vers de l'acceptation, de l'humour et de l'inclusion.

Si tu veux développer ce qui t'a amené à choisir cette pente, moi ça m'intéresse. Dans tous les cas, je te remercie fort de cette participation.

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