Darius
avatar 07/12/2018 @ 15:14:00
Franchement, il en avait assez de l’environnement dans lequel il vivait. Des clochards à tous les coins de rue, des excréments dans les escaliers du métro, des personnes allongées du matin au soir à la gare du Nord, une bouteille de vodka à moitié vide à leurs pieds.. En peu de temps, sa ville était devenue un nomansland monstrueux et personne ne bougeait le petit doigt, sauf ceux, bien au chaud chez eux, vissés sur leur écran qui s’excitaient et s’enflammaient sur les réseaux sociaux contre le pouvoir en place, qui, lui, restait bien en place..

Bref, une agence de voyage prise au hasard lui mit l’eau à la bouche, émoustilla son œil et dressa ses oreilles: « Un voyage à tendance aventure douce pour rencontrer les communautés ethniques de la jungle et la faune incroyable de Bornéo, île sauvage où se lit l’évolution de notre planète »

Il n’était qu’un écrivain raté. Il peinait à rédiger des nouvelles qui ne se vendaient pas. Il avait même parcouru les Etats-Unis, fait traduire ses œuvres en anglais, dans l’espoir d’une oreille attentive, d’une main secourable ou de quelqu’un qui s’emballerait pour l’une de ses œuvres. Bref, il était acculé. Il n’avait plus un sou, il vivotait en louant son appartement et trainait son maigre baluchon de copine en copine jusqu’à ce qu’elles le jettent dehors.

Dans l'espoir d'obtenir des idées lumineuses, il s’était fait ami avec un philosophe bizarre venu de nulle part, qui tenait des propos décousus et incohérents. Il escomptait qu’en le côtoyant il allait glaner quelque pensée géniale qui le propulserait au devant de la scène.. « Je m’ voyais déjà… en haut de l’affiche » susurrait Aznavour à son oreille…

Il somnola toute la traversée, mettant à sec la cale remplie d’alcool du jet qui l’emmenait vers une île paradisiaque... Il débarqua groggy et titubant, oubliant de faire la file pour retirer ses bagages.. Juste un petit sac à dos, contenant des choses élémentaires et inutiles.. Une pluie torrentielle l’accueillit comme des milliers de gifles..

On lui avait promis des cahutes en rotin et en feuilles de palmiers … Il se demanda comment cet endroit supposé idyllique allait supporter un tel déchainement des forces de la nature... Il fut presque soulagé de découvrir des maisons couvertes de zinc, aux murs de bois ou de parpaing. … Les gosses, pieds nus, pataugeaient dans la boue.. L’eau montait dangereusement et inondait les trottoirs.. Il tenta de trouver un abri où il resta blotti pendant des heures. On lui avait promis le paradis, et il se retrouvait en enfer…

Ce n’est que le lendemain, sous un ciel azur et un soleil prometteur qu’il reprit confiance en l’homme et la publicité qui l’avait amené ici. Les femmes avec leur peau mate et leur sourire enjôleur étaient jolies et aguichantes. Il ne se fit pas prier pour suivre l’une d’elle. Son statut d’Occidental valait tout l’or du monde, bien que ses poches trouées ne contiennent pas le moindre cent.. Ici, ce n’était que joie de vivre, sourire aguichant et silhouettes ensorceleuses
Il senti son bonheur proche. Oublié les soucis d’argent, la mauvaise humeur ambiante, les râleurs et les gilets jaunes..
Ici, il était le roi de la jungle, son cynisme atavique allait prendre de l’ampleur et il sentit qu’il avait fait le bon choix en quittant cette ville qui ne l’avait pas reconnu à sa juste valeur.

SpaceCadet
avatar 07/12/2018 @ 15:28:38
Il l'a cherché et l'a trouvé son paradis! Rythmé, bien amené, bien composé, ça coule tout seul et arrivé à la fin.. sourire béat. Une histoire qui finit bien... ça ne peut faire que du bien!

Magicite
avatar 07/12/2018 @ 18:13:02
Bien mené. Assez d'accord avec la souris de l'espace.
Il me semble que la gare du Nord est fermée depuis longtemps la nuit(pour y avoir passé pas mal de passages entre deux trains au tarif les plus bas-donc les pires horaires- quand on pouvait encore y dormir et c'est vrai que fut un temps c'était folklorique) sinon j'apprécie le contraste entre son lieu de départ et la lumière de sa destination... un peu trop beau pour être vrai mais on parle de paradis alors rien ne nous empêche de rêver. Après tout la beauté est dans l’œil de celui qui regarde et l'ailleurs exotique, le voyage ça peut facilement devenir le paradis si on veut le trouver.
Bien écrit et prenant avec une fluidité et de jolies trouvailles/images dans ce récit.

Darius
avatar 07/12/2018 @ 18:58:36
merci Magicite pour tes commentaires bienveillants..
mais la gare du Nord à Bruxelles (station des bus, en sous sol) est un vrai désastre.... c'est là que se concentre tous les transmigrants.. la nuit, c'est un vrai coupe gorge... bon, ce n'est pas le lieu de débat mais c'est catastrophique pour la station de bus flamands (De Lijn) et (Flix, venant d'Amsterdam) chacun se rejetant la balle pour rétablir la sécurité pour les voyageurs des bus..

oui, c'est vrai que la fin laisse à désirer, - trop beau pour être vrai - c'était pour être dans la contrainte - en plus, je ne l'ai pas écrite dans le même état d'esprit, l'ayant rédigé à 2 moments différents de la journée.. dommage que je n'ai pu faire cela d'une traite comme vous... ce sera pour la prochaine fois, promis, juré..:-)

Nathafi
avatar 07/12/2018 @ 21:00:30

Belle idée que de tout plaquer ! L'herbe est parfois plus verte ailleurs, en l'occurrence ici ça se confirme. J'aime beaucoup, après tout, qu'avait-il à perdre ?
Un texte plein d'optimisme en ces temps troublés, merci Darius !

Marvic

avatar 08/12/2018 @ 10:51:01
Nous avons un point commun Darius ! Une mauvaise connexion internet ; j'avais écrit quelques mots...disparus !
Je parlais de Gare du Nord, et qu'elle soit parisienne ou bruxelloise, qui donne envie d'un ailleurs, loin des violences, et de cette grisaille déprimante.
Un départ réussi pour ton écrivain qui sera enfin reconnu à sa juste valeur, qui n'aura rien à voir avec l'écriture !
Belle histoire qui n'a pas souffert d'avoir été écrite en deux épisodes.

Tistou 08/12/2018 @ 23:03:49
Optimiste ? Pas si sûr. Il m'a semblé lire au-delà des derniers mots et j'y ai lu du désenchantement et du retour sur terre, à terme. Bornéo, paradis ? Faut voir. Et puis le héros ne m'est pas sympathique. Trop cynique à mon coup, il me fait penser au héros du roman "Le paradis" (que je n'ai pas encore critiqué) de Mario Vargas Llosa. De même que la remarque :

"Les femmes avec leur peau mate et leur sourire enjôleur étaient jolies et aguichantes. Il ne se fit pas prier pour suivre l’une d’elle. Son statut d’Occidental valait tout l’or du monde,"

m'évoque irrésistiblement cette chanson de Gérard Manset

https://youtu.be/7sL5ds2-gbA

même si Manset fait plutôt référence à l'Océanie. Bah, vue d'ici l'Océanie c'est à côté de l'Asie du Sud-Est, non ? !!

Dans ton cas, Darius, ce n'est pas vraiment la jungle de Bornéo ton biais mais plutôt le statut d'écrivain, comme Marvic en quelque sorte. Comme quoi, l'inspiration ne trouve pas toujours les mêmes sources. En tout cas, l'inspiration, ton écrivain semble l'avoir trouvée en mettant le pied sur Bornéo !

Fd
avatar 09/12/2018 @ 10:47:05
C'est intéressant car cet écrivain raté ne passe pas un instant dans la jungle tropicale de Bornéo. Bien trouvé et ton écriture est fluide.

Darius
avatar 10/12/2018 @ 13:41:44
merci mes amis, et à toi Tistou qui m'a fait découvrir Gérard Manset :

L'esprit des morts veille Et quand tu t'endors La lampe allumée Et l'or de leur corps Le drap grand ouvert Cascades et rivières Chevaux sur les plages Sable sous les pieds Et lagon bleutés L'esprit des morts veille Qui frappe à la porte Et toi allongé Dans ton demi-sommeil Et l'or de leur corps Partout t'accompagne Quand glisse leur pagne Couleur des montagnes Du sable et de l'eau D'où, venons-nous Que sommes-nous Où allons-nous...? L'esprit des morts veille L'ange aux ailes jaunes Sur fond de montagne Et sentier violet La femme à la fleur Quand te maries-tu? Dans la grande cabane Qu'il a fait construire A Hiva Oa, Là ou il mourut...

Charles 01/03/2019 @ 15:17:01
Hello Darius, sais pas si tu te souviens de tophiv/ charles mais je fais un petit retour éphémère ou pas, je ne sais pas ... Enfin, j'ai tenté l'exo en différé et me voici donc à lire vos oeuvres.

Ce que j'ai beaucoup aimé dans ton texte, c'est ta faculté à installer l'ambiance. Celle de la ville, du voyage, dure, pessimiste et celle du lendemain, ensoleillé, chantante, d'espoir ... La transition entre les 2 est un peu rapide mais bon, dans un exo d'une heure, pas facile de faire mieux !

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