Pieronnelle

avatar 16/02/2018 @ 23:05:19
«Il est clair qu’il te faudra faire des étirements avant la course car sinon tu vas t’effondrer vingt minutes après le départ»
Valentin regarda sa femme avec des yeux presqu’apeurés, mais il eut immédiatement honte et se ressaisit très vite.
«T’inquiètes c’est prévu, et puis franchement tu pousses un peu, je suis pas si vieux tout de même»
«Oui, enfin le sport et toi ça fait deux !»
Là il se vexa et sortit du salon tout raide et scandalisé.
Il avait décidé de faire cette course destinée à apporter de l’argent pour l’association dont il faisait partie et qui s’investissait dans l’aide aux personnes démunies. C’est vrai qu’il n’était pas tout jeune mais il avait pensé que cet effort ne constituait pas un interdit pour lui. Au contraire, ça le sortirait de son train train, de cet espèce de cocon qui l’enveloppait au propre comme au figuré...Car s’il pouvait donner des conseils dans le cadre de l’association et aider à organiser certaines actions, il ne donnait pas beaucoup de sa personne physiquement et son enrobement personnel s’en ressentait de plus en plus, provoquant des essoufflements dès qu’il s’activait un peu trop , ce qui commençait à l’angoisser de plus en plus...
Il sortit de la maison et s’éloigna dans le chemin qui menait aux bois. Il sentit quelques palpitations au creux de sa poitrine et hésita à se mettre à courir doucement.
«Des étirements, des étirements ! Elle me prend pour un bébé !»
En fait il était presqu’en colère, mais il ne sut si cette colère était contre lui-même ou contre sa femme. Il s’arrêta près d’un petit muret et commença à faire quelques exercices . Puis il s’assit très vite sans même sans rendre compte et son esprit se mit à vagabonder...
Il se souvint qu’il avait participé à une course quand il était jeune. C’était lors de son séjour en Amérique où il avait étudié dans une université du Montana. La nature était magnifique et les étudiants partaient souvent en balades ; lors d’une sortie un de ses amis avait suggéré de faire une course dans la forêt à la manière des indiens partant chasser. Ils avaient tous éclaté de rire et trouvé l’idée idiote mais devant la mine déconfite de celui qui avait proposé ils s’étaient plié à son désir. Ils avaient couru pendant des heures ; Valentin s’était pris au jeu et avait devancé très vite tous les autres. Pourtant le chemin n’était pas facile mais il avait adoré la pression des arbres et le flageolement de certaines branches ; l’odeur de l’humus l’avait grisé ; il avait affolé des animaux qu’il n’avait pu cependant voir mais qu’il avait senti pas loin de lui .
Au fur et à mesure de la course la sueur l’inondait et il criait de plus en plus comme un sauvage ; il eut l’impression que ses neurones se détruisaient comme s’il devenait un être vierge de toutes pensées, de tous désirs ; il faisait corps avec la nature, devenait arbre, animal... Ce fut un tronc en travers du chemin qui mit un terme à cet état de transes, le projetant à quelques mètres à plat ventre et il s’évanouit comme s’il s’endormait dans un autre monde...

«Eh là mais qu’est-ce qu’il t’arrive, tu ne te sens pas bien?»
Valentin vit sa femme devant lui qui le regardait bizarrement. Il se rendit compte qu’il était en sueur et comme une grande fatigue l’envahit soudain.
«Franchement c’est tout ou rien» lui reprocha sa femme, «si tu voyais ta mine on dirait que tu as couru un cent mètres».
Il la regarda interdit puis, avec un petit sourire en coin, lui répondit :
«J’ai fait bien plus qu’un cent mètres, si tu savais !»
«Tu n’es vraiment pas raisonnable, mais je te félicite pour ton courage quand même !»
Sur le chemin du retour Valentin se mit à chantonner...

Cyclo
avatar 17/02/2018 @ 14:23:38
C'est superbe, la réminiscence dans le présent, un homme vieillissant qui se remet au sport... La fragilité de l'être humain et du couple, bien vue.
Enfin, moi, j'ai jamais arrêté de faire de sport, même si je ne cours plus, je fais du vélo, en revanche...

Minoritaire

avatar 17/02/2018 @ 15:27:46
On (enfin, moi !) se reconnaît facilement dans ton personnage, qui a laissé les les choses aller et s’en inquiète… un peu mollement quand même.
Il y a dans ton histoire une jolie peinture de l’état de transe dans laquelle peut nous projeter l’effort physique. Je m’en souviens : on court, on creuse, on danse… et on oublie tout le reste.
Pour le massage, ne t’inquiète pas : sûr que sa Valentine lui en prodiguera un :-)
Le Montana, ce n’est pas là qu’était partie Lobe, il y a 2-3 ans ?

SpaceCadet
avatar 17/02/2018 @ 16:02:52
Bonne idée que celle de reprendre (en titre) le 'Valentin' annoncé par Lobe. J'ai particulièrement apprécié le parallèle entre le présent et le passé, puis le doux retour à la réalité... en chantonnant. La course en forêt m'a semblé très réaliste, du reste elle m'a rappelé une expérience qu'un ami m'a un jour racontée; très similaire dans la plupart des détails!

Pieronnelle

avatar 17/02/2018 @ 16:33:41
On (enfin, moi !) se reconnaît facilement dans ton personnage, qui a laissé les les choses aller et s’en inquiète… un peu mollement quand même.
Il y a dans ton histoire une jolie peinture de l’état de transe dans laquelle peut nous projeter l’effort physique. Je m’en souviens : on court, on creuse, on danse… et on oublie tout le reste.
Pour le massage, ne t’inquiète pas : sûr que sa Valentine lui en prodiguera un :-)
Le Montana, ce n’est pas là qu’était partie Lobe, il y a 2-3 ans ?

Eh oui le Montana est un petit clin d'oeil à notre organisatrice :-) (j'espère ne pas avoir fait d'erreur...)

Tistou 17/02/2018 @ 16:34:27
Ton Valentin, même s'il n'est pas un saint, il lui sera beaucoup pardonné, pour avoir couru (un coureur ne peut pas être foncièrement mauvais ! (approximation tistouïenne))
Ton Valentin, il me rappelle fortement quelqu'un : il ne fait plus (pas) de sport, il est enrobé, il est facilement essoufflé, il a eu couru ... oui, je pense à quelqu'un, là présentement, qui tape sur mon clavier ...
Ton Valentin a oublié le massage, oui, et le sens interdit ? il est où le sens interdit ? C'est le tronc d'arbre qui le rejette en arrière ?

Sinon tu le rends très sympathique avec son affaire de coureur des bois dans ce bel Etat sauvage du Montana, où les auteurs de talent forment une belle école.

"La fragilité de l'être humain et du couple, bien vue." Je souscris à cette assertion de Cyclo.
Et bien vue également cette problématique de l'homme vieillissant qui doit s'accommoder de déficiences qui apparaissent peu à peu et qui doit apprendre à faire avec.

Bon, mais moi va quand même falloir que je remette à la course. Ca me manque bien un peu ...
Et puis je confirme, les étirements, même si c'est ch... c'est indispensable.

Un beau texte qui a une belle cohérence et qui donne envie de retourner dans la nature sauvage du Montana ...

Et Lobe, Minoritaire, si je ne m'abuse c'est sur le versant Est des Rocheuses qu'elle était ; Boulder, Colorado.

Pieronnelle

avatar 17/02/2018 @ 16:46:23
Ton Valentin, même s'il n'est pas un saint, il lui sera beaucoup pardonné, pour avoir couru (un coureur ne peut pas être foncièrement mauvais ! (approximation tistouïenne))
Ton Valentin, il me rappelle fortement quelqu'un : il ne fait plus (pas) de sport, il est enrobé, il est facilement essoufflé, il a eu couru ... oui, je pense à quelqu'un, là présentement, qui tape sur mon clavier ...
Ton Valentin a oublié le massage, oui, et le sens interdit ? il est où le sens interdit ? C'est le tronc d'arbre qui le rejette en arrière ?

Sinon tu le rends très sympathique avec son affaire de coureur des bois dans ce bel Etat sauvage du Montana, où les auteurs de talent forment une belle école.

"La fragilité de l'être humain et du couple, bien vue." Je souscris à cette assertion de Cyclo.
Et bien vue également cette problématique de l'homme vieillissant qui doit s'accommoder de déficiences qui apparaissent peu à peu et qui doit apprendre à faire avec.

Bon, mais moi va quand même falloir que je remette à la course. Ca me manque bien un peu ...
Et puis je confirme, les étirements, même si c'est ch... c'est indispensable.

Un beau texte qui a une belle cohérence et qui donne envie de retourner dans la nature sauvage du Montana ...

Et Lobe, Minoritaire, si je ne m'abuse c'est sur le versant Est des Rocheuses qu'elle était ; Boulder, Colorado.


Ah ben zut j'ai dû me tromper pour le Montana, dommage...

Quant à mon deuxième clin d'oeil il était en rapport avec une petite discussion que nous avions eu à la fin de notre rencontre à Grenoble, donc il te concernait (bien vu) mais uniquement sur le fait que tu ne courrais plus et craignais un environnement :-)

Quant à l'interdit il y est bien ,mais sans le sens (enfin pas au figuré)

Pieronnelle

avatar 17/02/2018 @ 17:27:46
Ton Valentin, même s'il n'est pas un saint, il lui sera beaucoup pardonné, pour avoir couru (un coureur ne peut pas être foncièrement mauvais ! (approximation tistouïenne))
Ton Valentin, il me rappelle fortement quelqu'un : il ne fait plus (pas) de sport, il est enrobé, il est facilement essoufflé, il a eu couru ... oui, je pense à quelqu'un, là présentement, qui tape sur mon clavier ...
Ton Valentin a oublié le massage, oui, et le sens interdit ? il est où le sens interdit ? C'est le tronc d'arbre qui le rejette en arrière ?

Sinon tu le rends très sympathique avec son affaire de coureur des bois dans ce bel Etat sauvage du Montana, où les auteurs de talent forment une belle école.

"La fragilité de l'être humain et du couple, bien vue." Je souscris à cette assertion de Cyclo.
Et bien vue également cette problématique de l'homme vieillissant qui doit s'accommoder de déficiences qui apparaissent peu à peu et qui doit apprendre à faire avec.

Bon, mais moi va quand même falloir que je remette à la course. Ca me manque bien un peu ...
Et puis je confirme, les étirements, même si c'est ch... c'est indispensable.

Un beau texte qui a une belle cohérence et qui donne envie de retourner dans la nature sauvage du Montana ...

Et Lobe, Minoritaire, si je ne m'abuse c'est sur le versant Est des Rocheuses qu'elle était ; Boulder, Colorado.



Ah ben zut j'ai dû me tromper pour le Montana, dommage...

Quant à mon deuxième clin d'oeil il était en rapport avec une petite discussion que nous avions eu à la fin de notre rencontre à Grenoble, donc il te concernait (bien vu) mais uniquement sur le fait que tu ne courrais plus et craignais un environnement :-)

Quant à l'interdit il y est bien ,mais sans le sens (enfin pas au figuré)

Un enrobement bien sûr ! Ah ce maudit correcteur d'orthographe !

Pieronnelle

avatar 17/02/2018 @ 17:38:50
On (enfin, moi !) se reconnaît facilement dans ton personnage, qui a laissé les les choses aller et s’en inquiète… un peu mollement quand même.
Il y a dans ton histoire une jolie peinture de l’état de transe dans laquelle peut nous projeter l’effort physique. Je m’en souviens : on court, on creuse, on danse… et on oublie tout le reste.
Pour le massage, ne t’inquiète pas : sûr que sa Valentine lui en prodiguera un :-)
Le Montana, ce n’est pas là qu’était partie Lobe, il y a 2-3 ans ?


Eh oui le Montana est un petit clin d'oeil à notre organisatrice :-) (j'espère ne pas avoir fait d'erreur...)

Bonne idée que celle de reprendre (en titre) le 'Valentin' annoncé par Lobe. J'ai particulièrement apprécié le parallèle entre le présent et le passé, puis le doux retour à la réalité... en chantonnant. La course en forêt m'a semblé très réaliste, du reste elle m'a rappelé une expérience qu'un ami m'a un jour racontée; très similaire dans la plupart des détails!

Ah ça me fait plaisir ce que tu dis sur la course car comme ça ne m'est jamais arrivé personnellement je craignais d'avoir exagéré :-)
En fait avant l'exercice j'avais une idée sur un Valentin mais les aléas des consignes m'ont conduite à en imaginer un autre...

Nathafi
avatar 17/02/2018 @ 22:56:58

Belle vision de la reprise du sport... Il est clair qu'à ne plus pratiquer, on souffre lors des premières séances !
J'ai bien aimé le passage dans la forêt, la fusion avec l'environnement, les odeurs, les arbres... ça me parle :-)
Et le don de soi pour la bonne cause, quoi de plus beau ?

Sissi

avatar 18/02/2018 @ 14:31:40
On ne peut pas être et avoir été, mais on peut redevenir un peu, c'est ce que m'inspire ce texte qui insuffle de l'espoir et de l'énergie.
J'ai bien aimé aussi la superposition des temps passé et présent. Beaucoup le souvenir.
Bon, on oubliera les contraintes partiellement oubliées...ce n'est pas si grave.

Lobe
avatar 19/02/2018 @ 18:17:07
On (enfin, moi !) se reconnaît facilement dans ton personnage, qui a laissé les les choses aller et s’en inquiète… un peu mollement quand même.
Il y a dans ton histoire une jolie peinture de l’état de transe dans laquelle peut nous projeter l’effort physique. Je m’en souviens : on court, on creuse, on danse… et on oublie tout le reste.
Pour le massage, ne t’inquiète pas : sûr que sa Valentine lui en prodiguera un :-)
Le Montana, ce n’est pas là qu’était partie Lobe, il y a 2-3 ans ?


Eh oui le Montana est un petit clin d'oeil à notre organisatrice :-) (j'espère ne pas avoir fait d'erreur...)


Presque: Colorado! Mais le Montana, c'est le même esprit: espace, forêts de conifères. Le bonus du Montana, c'est son école, à laquelle sont rattachés des écrivains qui font rêver...

En lisant vos commentaires, je pense à Un homme, de Philip Roth, que je viens de finir. Cet homme dont il est question, ce n'est pas la course qui l'a porté par le passé, mais la nage. Et quand à la retraite il retrouve les plages des vacances de son enfance, il y a une page sublime qui reprend ce passé révolu, qui le magnifie. Comme ici, Pieronnelle: les souvenirs remontent, ils sentent la sève chaude, la vie, ça porte et c'est tendre (et ça me donne très envie de pleurer, évidemment).

Evaetjean
avatar 26/03/2018 @ 13:19:44
Beaucoup aimé ce retour dans le passé qu'il a ramené avec lui dans le présent. Tout y est ! Fluide et facile à lire... Personnage très attachant en quelques lignes ! Bravo

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