Tistou 12/07/2017 @ 22:23:34
Le soleil est lourd pour le corps de celui qui travaille en plein air. Qui travaille ou qui crapahute sous le cagnard, sous le soleil plombé de ce mois de Mai à Angkor, Cambodge.
Il devait faire vite, très vite, et même plus encore ; le temps était compté. Plus que jamais. Et le temps compté sous un plomb de soleil compte double. Je veux dire qu’il passe deux fois plus vite. C’est ce que se disait le flûtiste perché sur le dos d’un éléphant qui progressait en se dandinant ô combien inconfortablement, en provenance de Siem Reap. C’est tout ce qu’il avait trouvé comme moyen de locomotion lorsque le couvre-feu avait été décrété. Huit kilomètres qu’il fallait refaire en sens inverse. Exit taxis, tuk-tuks … pas de loueurs de vélos en vue, alors il y avait cet éléphant qui gentiment …
Il lui fallait retrouver sa femme qu’il avait laissée là-bas, en plein milieu du site archéologique fabuleux, sous l’ombre d’un banyan. Sa femme en attente d’un heureux événement et qui avait absolument tenu à entendre de la flûte dans le site archéologique fameux.
Et l’éléphant foulait la piste à gros pas serrés, trompe au ras du sol, air buté, inexorable. Et lui roulait de droite et de gauche là-haut, mal au cul comme pas permis, serrant sa flûte de la main gauche, se cramponnant tant bien que mal de la droite.
Ils avaient laissé la ville silencieuse, balayée par une torpeur malsaine, un soleil mauvais et un couvre-feu sidérant. Devant, au loin, la végétation omniprésente qui enserrait les pierres, les temples et tout ce qui pouvait avoir été créé de la main de l’homme, opposait comme une barrière verte. Une barrière certainement pas de nature à intimider un éléphant.
Le silence, lui, était intimidant. Et le fait de violer le couvre-feu, aussi …
Pourrait-il la retrouver aisément sur le site, gigantesque le site ? Sous un banyan, OK, mais des banyans …
Qu’importe, l’éléphant traçait son chemin et personne n’aurait pu se mettre en travers. Comme un rêve, avec le mal au cul en plus …
Il se retourna. Les contours de la ville n’étaient plus visibles depuis longtemps. La chaleur déformait les lignes du paysage, les faisant onduler, mirage au rabais.
L’éléphant ne s’arrêta pas. C’est résolu qu’il passa outre l’enceinte fragile qui délimitait la limite sud du site d’Angkor. Mais quelle direction prendre ?
Passés les premiers temples il s’arrêta, levant et agitant la trompe comme un sémaphore. Indécis, nerveux peut-être ?
C’est le vagissement qui les guida. Il provenait du devant, sous le fouillis végétal, loin ? peut-être, mais devant à coup sûr. Ils coupèrent à travers pierres, lianes, renversant d’indéfinissables choses. La bête piétina, lui se cramponna … Et vint taper du nez l’encolure de sa monture lorsqu’elle s’arrêta soudainement.
Ils étaient arrivés. Elle était allongée là – oui, sous un banyan - vaguement souriante. Et le petit était né, tout rougeaud et tout fripé au creux de ses bras.
Il porta la flûte à ses lèvres …

Cyclo
avatar 12/07/2017 @ 22:32:28
Très belle histoire, une naissance presque christique...
T'es trop fort, mon gars !

Pieronnelle

avatar 13/07/2017 @ 10:15:29
Oui belle et drôle ! Et qui met en joie ! Un éléphant pour braver le couvre-feu, fallait oser, surtout qu''un éléphant n'est pas un animal qui passe inaperçu :-)) Mais pour une naissance rien n'est impossible...j'aurais bien vu un bisou avec la trompe...
J'ai ri, j'ai été surprise et émue et...ça fait du bien ! Merci !

Lobe
avatar 13/07/2017 @ 15:03:45
Heureusement qu'il n'y avait pas de loueur de vélo... de VTT, à la rigueur ; sinon boudiou la douleur sur les pistes forestières ('mal au cul", dans tous les cas, donc, il aurait eu) Une légère incohérence entre le soleil de plomb du début et le couvre-feu? Le charme du direct!
On te suit avec plaisir, dans un texte qui n'est pas que rose (j'y ai ressenti comme une sorte d'humeur exaspérée de celui qui veut faire au mieux mais se heurte au poids des choses) mais qui n'en oublie pas moins de finir en chouette tableau du douanier Rousseau. Christique, bien vu Cyclo!

Encore! (Angkor)

Darius
avatar 14/07/2017 @ 11:27:19
Oups Tistou, abandonner sa femme enceinte au milieu de nulle part, faut le faire... pour la retrouver ensuite avec le bébé déjà né.. Cela m'aurait flanqué une de ces trouilles..

Deux fois que le héros se tape le cul sur le dos de l'éléphant, on sent du vécu là-dedans... :-)

Et ce temps qui passe deux fois plus vite sous un soleil de plomb, il ne passerait pas deux fois plus lentement ?

En tout cas, bravo pour l'imagination.. Et à la prochaine fois, SANS FAUTE, je mettrai mon alarme...:-)

Minoritaire

avatar 14/07/2017 @ 12:02:20
Pas sûr qu'un couvre-feu soit exclusivement nocturne, Lobe. Si?

A part cela, "christique"? Ah oui, avec le flutiste dans les rôles de Melchior, Gaspard, Balthazar... et de Joseph, bien sûr. Et l'éléphant pour remplacer l'étoile qui mène au but. Je manque d'imagination pour voir tout ça (ou de culture chrétienne)
Restent la moiteur des pistes indochinoises dont je sais que Tistou est friand (des pistes) et ce placide éléphant qui semble savoir où aller à travers elles, et comment retrouver un banyan dans une pelote de presque jungle. J'aime bien les éléphants; et celui-là est bien sympa qui nous mène d'un soleil de plomb à l'ombre d'un banyan.
(En passant, je suis allé voir sur Gmaps à quoi pouvait bien ressembler cette piste, ce n'était pas inutile pour suivre ton périple :-)


Tistou 17/07/2017 @ 18:38:31
Heureusement qu'il n'y avait pas de loueur de vélo... de VTT, à la rigueur ; sinon boudiou la douleur sur les pistes forestières ('mal au cul", dans tous les cas, donc, il aurait eu) Une légère incohérence entre le soleil de plomb du début et le couvre-feu? Le charme du direct!
On te suit avec plaisir, dans un texte qui n'est pas que rose (j'y ai ressenti comme une sorte d'humeur exaspérée de celui qui veut faire au mieux mais se heurte au poids des choses) mais qui n'en oublie pas moins de finir en chouette tableau du douanier Rousseau. Christique, bien vu Cyclo!

Encore! (Angkor)

J'imagine que dans certaines situations, le couvre-feu n'est pas exclusivement de nuit ?

Tistou 17/07/2017 @ 18:41:17
Angkor m'est venu comme une évidence puisque je venais de passer la veille et l'après - midi pour choisir et réserver des billets d'avion pour le Cambodge via un détour au Sud-Vietnam ...
Ce sera donc ma proche destination, mi-Août mais ma femme n'est pas enceinte et je n'espère de troubles soudains au Cambodge qui nécessitent l'établissement d'un couvre-feu !

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