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Forums  :  Vos écrits  :  La passion du cinéma

Cyclo
avatar 25/05/2017 @ 23:05:39
L’enfant était malingre, ce qui n’était pas sans inquiéter le médecin de famille. Il conseilla donc un changement de climat pour les vacances d’été. On envoya le garçon de six ans et demi chez l’oncle Alfred et la tante Marie, qu’il connaissait à peine (à l’époque on bougeait peu), dans les Basses-Pyrénées. Il y trouva un cousin, plus jeune de presque deux ans, mais plus grand et plus costaud que lui. Ce furent des vacances magnifiques. La tante l’apprivoisa très vite. l’enfant prit goût à la nourriture, lui qui allait jusque-là toujours à table à reculons. Ils firent de longues promenades dans les campagnes, l’oncle était amusant, le cousin, enfant unique, ravi d’avoir enfin un partenaire, inventait des jeux invraisemblables, où il se débrouillait toujours pour gagner ; parfois l’enfant faisait semblant de perdre, tellement le cousin prenait de plaisir à gagner.

Puis, un soir, ils allèrent voir un film. La séance était organisée par le curé du village : dans la grange de la cure, au-dessus des bûches de bois, on avait accroché un drap blanc. Des bancs avaient été installés. Les enfants occupaient les premiers rangs. À l’époque, la télévision n’existait pas, l’enfant n’avait jamais vu de film, le cousin non plus. Ils furent enchantés par "Blanche-neige et les sept nains", même si la sorcière leur fit un peu peur. Ils en sortirent éblouis, et pour l’enfant, une passion était née. Quand il revint à la maison, il n’était plus aussi malingre, il avait pris des couleurs, grandi, s’était un peu musclé, put raconter plusieurs fois le film à toute la famille, et surtout il avait appris à rêver.

Quelques années plus tard, ayant réussi l’examen d’entrée en 6ème, il fut envoyé avec son frère aîné au lycée de la Préfecture, car il n’y avait pas de ramassage scolaire à cette époque, et le village était trop loin. Tous deux étaient nantis d’un trousseau de linge marqué à leurs noms, trousseau qui comprenait aussi un édredon, indispensable pour ne pas crever de froid dans les dortoirs non chauffés. Mais ce qui le fascina le plus au lycée, ce ne fut pas le réfectoire, ni les salles d’études, ni les cours, ni les jeux de récréation, mais le cinéma.

Tous les mercredis, il y avait ciné-club, sous la houlette d’un professeur d’histoire-géo. 17 h pour les externes, 19 h 45, après le repas du soir, pour les pensionnaires. L’enfant retrouva rapidement les sensations du premier film, il découvrit les grands classiques du cinéma muet (par exemple "Les Niebelungen" de Fritz Lang, dont il garde toujours un souvenir enchanté), les films en noir et blanc des années 30 et 40, des comédies, des westerns, des films historiques,, bref, il s’initia à l’histoire du cinéma.

De plus, il ne rentrait pas souvent chez lui. Les jeudis et les dimanches, les pensionnaires sortaient en promenade, sous la conduite des pions. Dans la forêt landaise toute proche, s’il faisait beau, ou aux matches de rugby du dimanche après-midi aussi. Mais, s’il pleuvait, les pions emmenaient tout leur petit monde (de la 6ème à la 3ème) au cinéma en ville. Là, ils découvraient des films plus récents, pas toujours de leur âge, car les pions choisissaient des films qui leur plaisaient à eux, dans un des trois cinémas de la ville. L’enfant fit son miel avec les films policiers, les comédies modernes, les films réalistes (il vit James Dean à onze ans dans "A l'est d'Eden"), les péplums, et même son premier film japonais, qui avait été primé à Cannes, "La porte de l’enfer". Bref, il s’ouvrit au monde, bien avant de le découvrir par les voyages, il découvrit les passions humaines, les injustices, la mort et la violence aussi et rêva d’amour avec Sophia Loren, dans "La fille du fleuve".

Ce goût pour le cinéma ne l’a jamais quitté. C’est sans doute le cinéma qui a développé sa deuxième passion, celles de la littérature, car nombreux sont les livres qu’il a lus après avoir vu le film qui en était tiré (ou quelquefois avant). Il préfère toujours voir les films au cinéma, bien qu’il lui arrive de temps à autre d’en voir un sur l’écran de télé. Le cinéma a développé son goût pour l’amitié, les films à voir en groupe, et maintenant qu’il est vieux et veuf, il s’est mis, un peu par hasard – mais le hasard fait si bien les choses – à fréquenter avec des amis les festivals de cinéma. Il a commencé par La Rochelle, ou il vient chaque année depuis 2010, à continué par Venise (en souvenir de sa défunte femme et du merveilleux voyage qu’ils avaient fait ensemble autrefois) depuis 2011, Montpellier où il est allé plusieurs fois, celui de Pessac depuis qu’il est revenu habiter Bordeaux, ou bien celui de Marrakech, où un groupe de Bordeaux l’a entraîné déjà deux fois.

Là, il voit des films du monde entier, qui souvent ne passent jamais à la télévision, il se réjouit de découvrir l’humanité, à la fois dans sa singularité et dans son universalité. Il y rencontre aussi d’autres passionnés de cinéma, échange des adresses, découvre en discutant de nouvelles envies de voyage, a l’impression d’enrichir son savoir, ses connaissances. Il se dit que la vie vaut la peine de continuer à être vécue, même si on perd peu à peu ses illusions en vieillissant. Et tant pis si certains de ses proches ne comprennent pas, le taxent de dingue (eh oui ! il est fou de cinéma), il n’a plus envie de se priver de sa passion tant que ses jambes lui permettent encore de bouger et que son cerveau lui permet encore de comprendre !

Fanou03
avatar 30/05/2017 @ 17:36:49
Voilà un texte que je soupçonne d'être autobiographique, Cyclo, car je crois t'y reconnaître d'après ce que tu nous as déjà dit de toi en filigrane ! C'est un bel hommage à nos passions, à ces raisons de vivre qui donnent du goût à la vie, envers et contre tout ! Merci pour ce morceau de vie, cette parcelle d'intimité que tu nous offres là !

Je lis toujours avec beaucoup d’intérêt tes comptes-rendus de film, même si pour ma part ma vie familiale fait que je fréquente assez peu les cinémas aujourd'hui.


Cyclo
avatar 30/05/2017 @ 19:18:48
Bingo, oui, c'est totalement autobiographique, j'ai voulu expliquer à mes enfants (35 et 31 ans cette année) la naissance de mon amour du cinéma : ce n'est eux qui me trouvent dingue !!!

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