Nathafi
avatar 19/04/2017 @ 22:46:29
Le vieux se tenait devant moi, il pleurait, mais son visage avait l'air de rire. Pourtant il n'y avait pas de quoi, je me souvenais de cette journée particulière, heureusement qu'il n'y avait pas assisté, il n'aurait plus ce rictus. Son fils lui avait toujours échappé, une incompréhension récurrente s'était installée entre eux, depuis son plus jeune âge, et n'avait pas changé. Il pouvait bien sourire aujourd'hui, cela ne changeait rien à la tragédie.

Je connaissais mal le lieu. On m'en avait parlé pourtant, à plusieurs reprises, un beau chalet, au bord du Lac Léman – excusez du peu – près de Genève, un havre de paix. Autour ? Un parc verdoyant, avec cinquante espèces d'arbustes différentes, de quoi colorer toutes les saisons, des fleurs sur les parterres généreux, et puis la vue sur le lac, bleu intense, un plaisir pour les yeux, vraiment... Quand l'invitation avait été lancée, j'avais cru rêver. Je me demandais comment Laurent, le cancre Laurent, celui qui rendait fou les professeurs au lycée, avait réussi ainsi.

Si on le veut on peut réussir sa vie, d'une façon ou d'une autre. C'est vrai. Là, je constatais cette vérité, je l'avais prise en pleine face, quand je m'étais trouvée dans cet endroit. Malgré ses piètres résultats, il s'en était sorti, je n'en revenais pas. Aujourd'hui il roulait en Mercos, avait une femme superbe, deux beaux enfants, un appartement à Paris, une villa en Vendée, et ce chalet à Genève ! Pour son travail, par contre, je ne savais pas trop... Il devait être un homme important, ses costumes valaient au moins 3.000 €, sa montre - une Rollex – brillait de mille feux. Il trimbalait toujours un attaché-case en cuir noir, quelles que soient les circonstances, ce qui intriguait, sans aucun doute, sur son contenu.

Quand même, il aurait pu faire un effort. Il était arrivé en fin d'après-midi, ce samedi, alors que nous étions au bord de la piscine en train de siroter des trucs rafraîchissants. Ses chaussures italiennes glissaient sur le carrelage, on le sentait étriqué dans sa chemise. « Mets-toi à l'aise », lui avait dit Julie, son épouse, quand il s'est approché. « Et lâche un peu cette valise, c'est le week-end ! »
D'un air résigné, il était parti se changer, et avait fini par poser l'attaché-case dans le petit bureau contigu à la véranda. Il avait veillé à bien refermer la porte, pour éviter les curieux, et s'était joint à nous. On le sentait pourtant préoccupé, il regardait ses convives avec un air craintif, souriait à demi et scrutait le lac en contrebas. Comme s'il s'attendait à en voir surgir quelqu'un, quelque chose.

Bang ! Le choc nous fit sursauter. Certains plongèrent dans la piscine, instinct de survie, crainte des retombées. D'autres, plus stoïques, regardaient la scène. Les vitres de la véranda avaient éclaté en centaines de morceaux. Seules les plantes exotiques demeuraient sur leurs présentoirs, avec quelques éclats de ci de là sur les feuilles. Un feu naissant se propageait au sol, grillant et noircissant le parquet flottant, léchant de ses flammèches le bâti en aluminium. La porte donnant accès au bureau avait explosé, laissant un trou béant dans le mur de pierre. Au travers de la fumée, on pouvait distinguer l'ordinateur et l'imprimante qui fondaient, les papiers brûlant se désagrégeaient en poussière de suie. Et sur le bureau, comme un cœur ouvert, trônait l'attaché-case, éventré, d'où sortait une espèce de bombe improvisée, petite chose presque inoffensive qui avait fait tant de dégâts. « Mon prototype... », avait murmuré Laurent, hébété devant cette scène. Julie l'avait rejoint, tenant à peine sur ses jambes, sa serviette de bain pour seule protection. Elle prit conscience de l'ampleur du drame, et de la chance que chacun de nous avait eue. Oui, la véranda avait été pulvérisée, mais aucun de nous n'avait reçu de verre. Le feu fût rapidement maîtrisé, et les dégâts limités. Restait Laurent face à ce spectacle de désolation, mi amusé, mi tétanisé, répétant à tout va « Mon prototype... ».

Il avait tout Laurent, il était heureux, avait réussi sa vie. Pourtant, ce 20 juin, il avait perdu beaucoup, son esprit choqué ne s'est jamais remis de cette mésaventure. On ne savait pas bien ce qu'il faisait, et on n'a jamais su, seulement deviné, que ses agissements n'étaient pas des plus louables, que son esprit retors l'avait conduit à des activités risquées, inhumaines, criminelles... Et que c'est à Genève qu'il avait tissé son réseau.

Tistou 20/04/2017 @ 11:24:47
Ah oui, quand même ! Nathafi est carrément dans un court récit tendance polar. Une bombe improvisée ? Rien que ça.
Et pour autant tu nous laisses sur notre faim à la fin (ou inversement !). Quelque chose me parait incompatible (si l'on songe à des actes terroristes), c'est le fait de concevoir et produire des bombes et celui d'être riche avec pignon sur rue. Pour moi ça ne colle pas. Ou alors il faut supposer que Laurent n'est pas dans le terrorisme mais plus dans la fourniture de bombes artisanales (accrédité par "prototype") pour des organisations mafieuses, par exemple ? Mais encore une fois, le "pignon sur rue" ne colle pas trop alors ...
Sinon on a bien l'impression de lire une courte nouvelle polar. Avec, s'il vous plait, les 5 phrases placées en tête de chapitre. Et une aisance qui me parait toujours plus grandissante au fil du temps.
Une histoire qui se tient bien là encore malgré les contraintes, malgré le temps restreint. Tu ne donnes pas du tout l'impression d'avoir été gênée !

Cyclo
avatar 20/04/2017 @ 11:43:52
Alors là, on est dans le thriller, dans l'inquiétude, avec ce personnage surprenant, ce cancre qui a réussi ! J'avoue que le choc final n'en a été que plus rude pour moi... L'idée était bonne, et a été développée progressivement pour ne laisser le temps du suspens.
On va se méfier de toutes les mallettes noires maintenant dans les bus, les trams, les TGV, les avions. Heureusement que je n'ai peur de rien (car à quoi bon s'inquiéter à l'avance d'un événement qui n'a qu'une chance sur un million d'arriver et qu'on soit juste au mauvais moment au mauvais endroit ?), sinon, après cette lecture, je deviendrai méfiant et hésiterai à voyager !

Lobe
avatar 20/04/2017 @ 18:33:56
Je n'y crois pas! Comment quelqu'un avec un si beau jardin pourrait être le concepteur de bombes retorses? ;)
Belle gestion des contraintes. Juste un peu interrogative devant le chapeau introductif...

SpaceCadet
avatar 21/04/2017 @ 02:36:56
La forme du texte est intéressante; on commence par la fin suite à quoi le film se déroule.

J'ai aimé le portrait/parcours que tu dresses de ce personnage (Laurent), partant de la relation au père, puis l'image qu'en dresse le narrateur pour terminer avec la scène principale et la conclusion; une vie s'étale devant nos yeux en quelques lignes.

Je me suis demandé quelle pouvait être la relation entre le narrateur et le père de Laurent.

La scène de l'explosion est décrite avec soin, les détails font toute la différence.

Certains passages dans le texte rappellent la plume d'un poète: ils sont rimés et rythmés (par exemple: 'malgré ses piètres résultats, il s'en était sorti, je n'en revenais pas'); ça se lit tout seul.

Un peu d'humour ou d'ironie perce dans cette réaction de Laurent qui n'arrête pas de répéter 'mon prototype, mon prototype', du moins c'est ainsi que je l'ai perçu et ça m'a fait rire.

Dans l'ensemble le texte est fluide mais il semble se tasser un peu sur le dernier paragraphe (manque de temps sans doute) ce qui donne l'impression d'un finale un peu précipitée.

Pieronnelle

avatar 22/04/2017 @ 12:48:23
Je suis bien embêtée Nath ! Autant j'aime beaucoup la construction, la gestion de la contrainte des phrases et ton aisance à décrire les comportements, autant le fond...ne passe pas du tout ! Je ne sais pas dans quel sens Lobe a écrit "Je n'y crois pas" mais en ce qui me concerne je ne crois pas du tout à cette histoire et particulièrement au parallèle entre une "réussite" (pour moi abominable mais bon, ça c'est moi:-) et l'explosion de cette bombe même prototype, j'ai bien senti l'ironie mais pour moi ça n'a pas de sens, mais bon il y a aussi peut-être quelque chose qui m'échappe...

Nathafi
avatar 22/04/2017 @ 13:15:10


Je comprends bien ! Je me suis perdue, j'aurais aimé développer un peu plus, mais pas le temps ! Laurent est un trafiquant d'armes, aussi un inventeur de machine à tuer, un criminel, qui profite de ce marché juteux, c'est ce qui devait ressortir de ce texte !

SpaceCadet
avatar 22/04/2017 @ 18:23:01


Je comprends bien ! Je me suis perdue, j'aurais aimé développer un peu plus, mais pas le temps ! Laurent est un trafiquant d'armes, aussi un inventeur de machine à tuer, un criminel, qui profite de ce marché juteux, c'est ce qui devait ressortir de ce texte !


Ben, c'est comme ça que je l'ai vu.

SpaceCadet
avatar 22/04/2017 @ 18:33:07


Je comprends bien ! Je me suis perdue, j'aurais aimé développer un peu plus, mais pas le temps ! Laurent est un trafiquant d'armes, aussi un inventeur de machine à tuer, un criminel, qui profite de ce marché juteux, c'est ce qui devait ressortir de ce texte !



Ben, c'est comme ça que je l'ai vu.


Je réfère au personnage, bien sûr. Pour moi c'était clair, évident même.

N...ajat

avatar 22/04/2017 @ 19:03:25
Bonjour,
Tout ce que je peux te dire c'est que ton texte est mon coup cœur de cette édition.
une écriture fluide et agréable dont je me lasse jamais, d'ailleurs j'ai resté sur ma faim.
Une note d'ironie; "un cancre qui réussie" est sûrement une perversion, et puis un peu de morale; il faut regarder toujours au delà de l'image.
Enchantée Nathafi

N...ajat

avatar 22/04/2017 @ 19:12:40
Désolée pour les coquilles j'avais la tête ailleurs
Bonjour,
Tout ce que je peux te dire c'est que ton texte est mon coup cœur de cette édition
une écriture fluide et agréable dont je me lasserai jamais, par ailleurs je suis restée sur ma faim.
Une note d'ironie; "un cancre qui réussi" c'est sûrement une perversion, et puis un peu de morale; il faut regarder au delà de l'image.
Enchantée Nathafi

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