Lobe
avatar 09/10/2015 @ 22:42:57
Un ami américain, peu avant mon retour, m’avait interrogée. Il allait voyager à Paris en septembre, mais doutait beaucoup de la manière de rencontrer la capitale. Il tenait aux mots, prononcés dans un français presque parfait, plein de w et d’accentuations : voyager et rencontrer. Il avait potassé et épuisé tous les carnets de célèbres romanciers en goguette dans la ville-lumière, connaissait chaque salle du Louvre ; à peu de choses près aurais-je pu le suivre, afin que lui, avec son accent et son lyrisme, me fasse visiter la ville. « Pas visiter, plutôt, découvrir… ». Il me demandait donc comment, au mieux, il pouvait ne pas marcher dans les traces creuses des guides touristiques, les sillons décrits en litanie. Je lui dis que moi, Paris, j’en avais d’abord découvert les noms de rue en jouant au Monopoly. Sur ces paroles inconséquentes, le cri profond d’une amie, nous appelant à la dégustation de marshmallows grillés, coupa court à l’échange.

La soirée devint un souvenir parmi d’autres, que je faisais revenir à ma fantaisie pour m’y blottir la nuit.

Hier soir, je l’ai revu, mon ami américain. A la terrasse d’un café, nous avons eu deux heures : son avion décollait à minuit. Il m’a raconté son Paris. Et si son français ciselé, si zélé, j’arrive parfaitement à le retranscrire, n’oubliez pas : les r n’y existent pas, et les mots montent, et ils descendent…

« Le premier jour je suis allé au boulevard de Belleville. Je suis sorti du métro, et il y avait cette dame. Revêtue de draperies de satin vert et noir, elle chantait, elle n’avait pas d’âge, et les yeux clos. Les gens n’écoutaient pas je crois. Mais je ne sais pas bien, peut-être qu’ils se protègent, que c’est pour ça aussi qu’ils marchont vite.

Le deuxième jour je suis allé rue de la Paix. Les magasins brillaient, je suis allé plus près, il y avait ces boucles d’oreilles, c’étaient elles qui mettaient tout l’éclat dans la rue. Mais quand même, on leur a dit, que c’est plus beau, un lobe nu.

Le troisième jour j’allais rue de Vaugirard. Il y avait un boutique, assez petit, plein de jouets. Tu sais, ceux dans lesquels on regarde, et le monde est géométrique et coloré. Là en plus, des paillettes baladaient. Je me suis senti bien. Sur un coussin, le chat ronronnait.

Le quatrième jour, c’était lundi. J’étais rue de Paradis. J’ai été afaimmé, la boulangerie de ma rue était fermée ce matin. Il y avait un restaurant, j’ai pris comme entrée la soupe de courge. La serveuse m’a donné un grand sourire quand j’ai dit le menu. Je crois que c’est le mot courge… courge, c’est délicat de dire. »

Il a continué vingt-trois jours durant, autant que de cases visitables, gares comprises. On a ri devant les bières du 2 bis – rue des Ecoles, hors de sa trajectoire. A la fin, il s’est levé, c’était l’heure. J’avais encore une question. Je ne lui ai pas demandé s’il avait vu la Dame de fer, ou la grande cathédrale, ou les innombrables musées, je savais. Pour la prison, je m’en doutais, qu’il était allé faire un tour à Bastille. Mais moi, je voulais savoir, pour le ‘’Parc gratuit’’.

Il a souri : il avait rencontré le jardin des Plantes, le musée, et les serres. J’ai été très fière de lui.

Darius
avatar 09/10/2015 @ 22:51:20
voilà, je vous lis tous et toutes pour voir le tour que chacun prend.. et je fais mes commentaires par la suite...

Pieronnelle

avatar 09/10/2015 @ 23:56:15
Wouah, jolie l'idée !
"c’est plus beau, un lobe nu " :-) Et une lobe alors ?:-))
Le "cri profond" pour l'appel aux "marshmallows ", je l'entends d'ici !
Construction habile, humour et contraintes placées aisément ; on aurait bien aimé un peu plus de rues pour profiter plus longtemps...
:-)

Nathafi
avatar 10/10/2015 @ 00:15:56
Excellent avec l'accent ! La première fois je l'avais lu sans, ça n'avait pas la même saveur :-)

Belles idées en effet, parcourir les cases du Monopoly, "Un Américain à Paris".

Tistou 10/10/2015 @ 17:32:15
Je ne sais pourquoi mais ça me parait suinter de nostalgie. Y'a pas de raison pourtant.
Belle idée que cet Américain à Paris, exploitant les cases du Monopoly (et la case "Départ" avec les 20 000 francs ? hein ?) ! C'est vivant, c'est plausible, intelligent ..
Oui, donc, pourquoi la nostalgie ? Vraiment je ne vois pas ...
Tout ceci se lit sans effort puisqu'on ne sent rien de forcé, de trop soumis à contrainte. D'ailleurs, à propos de contrainte, c'est quoi déjà la phrase que tu as casée ?
Ah oui, la 2) Revêtue de draperies de satin vert et noir.

"c’est plus beau, un lobe nu." Fait exprès ?

Le cri pour marshmallows n'est pas mal non plus !

Lobe
avatar 10/10/2015 @ 20:54:35
Pour le lobe nu, fait exprès, mais sans la moindre once de sous-entendu! (c'est juste que je suis assez minimale de la joaillerie, quoi)

La nostalgie, je ne sais pas, elle n'a pas été expressément conviée... Au contraire, je trouvais l'idée assez joyeuse, à un moment j'ai hésité à partir dans un énorme délire mais ça m'aurait pris plus de temps. Ou bien faire un vaste jeu de piste dans Paris, un peu foutraque, dans lequel on n'aurait pas bien su ce qui était de l'ordre de la fiction. Mais in fine le texte réunit Paris, où il y a quand même un paquet de gens qui me manquent, et un ami américain qui n'est pas purement fictionnel, donc ça a pu vite dériver, oups.

Magicite
avatar 10/10/2015 @ 23:20:03
Géniale l'idée du Monopoly pour découvrir Paris.
L'accent demande un petit effort mais l'effet est "hilahant".

Paris avec américains, tu m'a remis en têtes des souvenirs.
Il y a plus de 10 ans à cette saison c'est un américain qui voulais revivre les stigmates de Jésus et passait ses nuits en T-Shirt sous un pont(avec glaçons dans la barbe) qui m'a sauvé de la rue en m'indiquant un foyer d'accueil tenu par les prêtres de Mère Térésa qui accueillait des personnes mentalement dérangées(ce qui n'était pas encore mon cas à l'époque). Une expérience étrange ces quelques jours où ils m'ont accueillis alors que mon logement en banlieue n'était pas encore disponible.
Quelques années encore auparavant j'ai été improvisé guide pour un groupe de seniors américains dans la capitale sans même la connaître. Le boulot était surtout de veiller à leur arrivée jusqu'à leur départ quelques jours plus tard ce qu'ils se fasse pas dépouiller dans leur trajets+guider dans leur déplacements qui peuvent être stressant pour des personnes âgés en balade(surtout les changements du métro, après Londres c'était de la rigolade même si faire l'interprète de l'anglais avec mon accent français pour des touristes américains ça faisait vraiment étrange).

Nostalgie(même s'il il n'y en a pas forcément dans le texte) et très drôle et léger, ça m'a donné envie de revoir cette capitale qu'à chaque fois où j'y passe un moment j'ai jamais l'impression de connaître quoique ce soit(un peu quartier latin, enfin les bouquinistes).
Peut être avec un plateau de Monopoly plutôt que le plan pliable de la RATP en tirant au dé la destination.

Darius
avatar 12/10/2015 @ 14:52:58
Oh oui, une promenade dans des rues qui te rappellent sans doute pas mal de souvenirs.. belle idée d'avoir utilisé la contrainte du Monopoly au lieu d'en jouer tout simplement comme nous tous.. :-)

Antinea
avatar 18/10/2015 @ 18:16:52
"Rencontrer Paris" ? Gné ? Mieux que visiter, "vivre" la capitale ?

Il faut décidément que je me remette au monopoly pour mieux comprendre les péripéties de ton américain. J'ai compris qu'il avait abordé la capitale comme un monopoly, rue par rue, case par case en somme. Est-ce bien cela ?

C'est vrai que c'est mieux de "vivre" une ville un temps plutôt que de la visiter rapidement, mais encore faut-il en avoir le temps et les moyens. Toi qui a fait l'expérience de l'expatriation, tu sais de quoi tu parles.

Peut-être ton américain devrait-il lire "le fil du rasoir", de Somerset Maugham, même si c'est un peu vieillot. Ton texte m'a fait pensé à ce livre.

Bon, je ne rebondirai pas sur le lobe nu qui m'a fait hurler de rire, mais je te dirais que j'ai apprécié ton texte, sa malice et son écrit, toujours impeccable, le Lobe's style.

Lobe
avatar 26/10/2015 @ 07:48:07


Il faut décidément que je me remette au monopoly pour mieux comprendre les péripéties de ton américain. J'ai compris qu'il avait abordé la capitale comme un monopoly, rue par rue, case par case en somme. Est-ce bien cela ?


Case par case oui, mais de façon désordonnée. La rue de la Paix, sinon, serait venue en dernier ;)


Peut-être ton américain devrait-il lire "le fil du rasoir", de Somerset Maugham, même si c'est un peu vieillot. Ton texte m'a fait pensé à ce livre.


Je ne connais pas, je vais jeter un oeil!

Bon, je ne rebondirai pas sur le lobe nu qui m'a fait hurler de rire, mais je te dirais que j'ai apprécié ton texte, sa malice et son écrit, toujours impeccable, le Lobe's style.


Merci Antinea. Ta sorcière est incroyablement sémillante et vivante aussi!

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