Eric Eliès
avatar 31/08/2015 @ 22:57:27
Ce livre semble très intéressant et je le rechercherai. Il y a néanmoins une chose qui me chiffonne dans la thèse telle qu'elle est présentée. Je cite Autrement dit, nomadisme (élevage strict et/ou commerce) rime avec monothéisme, servi dans un Dieu réduit à la pure abstraction de l’écriture. Car ce qui n’était que notations comptables sur des tablettes d’argile va devenir Parole sacrée rassemblée sur des supports facilement assemblables et transportables : Dieu devient portatif et définitivement invisible de par le signe écrit . On comprend bien que l'auteur assimile le passage du polythéisme au monothéisme à un processus d'abstraction entraîné par l'économie des supports matériels de la croyance, provoquée par les contraintes du nomadisme. Or le premier monothéisme (culte solaire d'Aton) est né dans une civilisation totalement sédentaire. Est-ce que Régis Debray évoque la religion égyptienne et la révolution religieuse du culte d'Aton, dont certains font (de manière plus ou moins farfelue, comme Freud) l'origine de tous les monothéismes via Moise ?

Radetsky 31/08/2015 @ 23:18:39
Ton hésitation est bien légitime. Mais le culte d'Aton a fait long feu, la contrainte liée au nomadisme ne l'a pas emporté dans un ensemble où le culte s'enracinait dans ses représentations monumentales, y compris dans celle de l'au-delà... L'Egypte n'avait aucune raison de retourner à un état antérieur au processus lié à l'urbanisme et à la vie sédentaire. Et les monothéisme ont à leur tour dérivé vers la sédentarité des lieux de culte, quand bien même le support (le Livre), faussement immatériel, fut à son tour "momifié" dans les représentations (la Kaaba ou le Kotel ne sont que des périphrases symboliques) demeurait la référence : on a bel et bien choisi l'enracinement, à son corps (mollement) défendant. Ce que l'Egypte avait déjà réalisé, tout polythéiste qu'elle demeurait. Rome aussi, avec les Grecs.

Radetsky 01/09/2015 @ 10:53:05
Je reprends mon argumentation, en insistant sur cet autre ouvrage de Régis Debray :
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/18801
dont celui qui nous occupe n'est que l'approfondissement et l'extension de l'un de ses arguments.

A l'origine était le Verbe, dit l'Ecriture... en l'occurence c'était sûrement quelque chose comme "...Maman ! Au secours, j'ai peur...!" Peur de la solitude et du manque de relation identifiable avec le cosmos (nous sommes au Paléolithique...mais on en est toujours là) > on place des dieux partout où on ne comprend pas. C'est le principe de l'Incomplétude, ou manque à la fois de lien, de support, de sens, qui produit un effet bien compréhensible : on se met à plusieurs car on a (un peu) moins peur ensemble. A la famille se substitue le clan, la tribu, le peuple, la nation, etc. etc.
Mais on ne peut pas se référer en bloc sub species au quidam (le chaman, prêtre, rabbin, imam, président, leader-bien-aimé...) faillible en tout, et franchement pas fiable en définitive. D'où naissance de LA contradiction qui fait encore notre croix, par le choix d'un Grand Autre extérieur et inatteignable (ceci est impératif) qui pourra se nommer Dieu, le Parti, la République, et on en passe et de pires.
On se crée des idoles ; qu'elles soient symboliques ne gène pas trop, mais c'est mieux (on triche un peu) si on les voit : cf. les marionnettes politiques ou religieuses encore en fonction...on retombe toujours dans la contradiction.

Les deux ouvrages s'articulent et se répondent. Régis Debray aura passé sa vie à décrypter la puissance des signes et des supports qui les véhiculent, pointant sa boussole sur cet invariant : nous avons absolument besoin d'un "quelque chose" qui nous dépasse et puisse nous faire sortir de notre condition misérable en nous dépassant à notre tour ; on appelle ça le "religieux" ; si on veut. Les poings levés, "l'Internationale" et les drapeaux rouges/noirs devant le Mur des Fédérés au Père Lachaise, ont autant de poids religieux qu'un "pardon" breton ou une grand-messe de Pâques à Notre-Dame.
La cérémonie de la Flamme à l'arc de triomphe devrait en avoir tout autant : quel plus fort symbole que cet "autel de la Patrie" où est présent l'Agneau sacrifié...?
Hélas, on se sent d'autant plus forts et légitimes qu'on exclut "les autres" : ceux qui n'ont pas de barbe, qui ne se signent pas, qui ne sont pas circoncis, qui ne mangent pas de porc (ou l'inverse), qui battent leurs femmes (ou l'inverse...), qui ne prient pas (ou l'inverse), etc. etc.

Quant au "politique" là-dedans, il faut lire ces deux livres. Pour faire court, je dirais que, tout comme le Diable est le singe de Dieu, le Politique singe le Diable mais avec bien moins de talent.

Pauvres de nous...

Eric Eliès
avatar 01/09/2015 @ 23:16:43
Merci de tes réponses, longues, précises et... engagées ! Je me suis souvenu que j'avais, quelque part dans les tréfonds de ma bibliothèque, un livre de Régis Debray ("Le feu sacré") : je m'y plongerai bientôt !

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