Shelton
avatar 30/01/2013 @ 07:40:07
Quand on parle de lecture en famille ou en société, on peut tout entendre ! Certains affirment avec aplomb que les lecteurs ont disparu, que c’en est terminé du livre en papier, que l’avenir est dans la liseuse numérique… D’autres, sûrs d’eux-mêmes, prétendent que la lecture est de retour, que les ventes des Harry Potter ou de Cinquante nuances de Grey le prouvent. Et, lorsque ce brouhaha se calme quelque peu, il est toujours une voix pour s’élever et dire que de toute façon les jeunes aujourd’hui ne savent plus lire à cause de la méthode utilisée lors de l’apprentissage…

Je reste, moi, avec une seule question : à quoi ça sert de lire ? Je ne parle pas de l’apprentissage technique – lire sert aussi, du moins encore, lorsque l’on utilise Internet – mais de la transmission du plaisir de lire. Culture, loisir ou perte de temps ?

Se construire

Les anciens pensaient que la lecture était un outil de construction. Il l’est certainement à deux titres. Tout d’abord sur la forme pour apprendre au jeune lecteur à aller au bout d’une tâche. Les livres sont parfois volumineux, mais c’est important d’apprendre à faire l’effort de finir l’ouvrage. Or, justement, aujourd’hui on n’insiste plus sur cet aspect, allant jusqu’à proposer des ouvrages résumés. L’apprentissage de l’effort disparaît et tout livre de plus de cinquante pages devient trop long… Comme si les auteurs qui avaient écrit de gros pavés étaient mauvais, nous faisaient perdre du temps… Il faudrait jeter au feu Tolstoï, Dostoïevski, Balzac, Zola, Flaubert… et aujourd’hui Rowling !

Cet aspect des choses est tellement ancré dans les esprits que certains ne lisent plus les articles de plus d’une page dans les magazines. Problématique ? Oui, car, du coup, les auteurs et journalistes qui ont compris le mécanisme sont obligés de simplifier à l’extrême, ce qui détruit le raisonnement, pousse dans les excès, dans les fondamentalismes. Si le futur citoyen doit être indépendant et libre, il doit raisonner même quand c’est complexe et la vie humaine l’est de toute évidence ! Lire ces gros pavés qui parfois nous ont endormis c’est accepter l’effort et aller au-delà de certaines de nos limites…

C’est aussi se construire sur le fond. Ne croyons pas que la vie a commencé hier. Nous sommes en pleine révolution numérique, au cœur de la société de la communication… et l’homme depuis son apparition sur terre nous laisse des traces de sa pensée, de son évolution. Les peintures de Lascaux comme les romans de Stendhal ou la poésie de Rimbaud sont là pour nous donner un éclairage profond sur la nature humaine…

Transmettre le goût de la lecture c’est ouvrir les portes du partage et offrir au jeune les moyens de se construire plus surement qu’en lui inculquant des règles de façon arbitraire…

Se détendre

Lire c’est aussi se donner des espaces de détente. La télévision, le cinéma, Internet suffisent-ils pour cela ? Lire est pourtant d’une autre nature. Pour que la détente soit complète, il faut que l’imaginaire puisse jouer une place entière. Si on offre sur un plateau images, son, commentaires en transformant le spectateur en récepteur, l’imaginaire est bridé et l’être condamné à tout ingurgiter sans faire travailler son cerveau…

Le livre est constitué d’une part d’un apport – on parle ici de fiction – et d’autre part d’une ouverture à l’imaginaire. Les mots doivent prendre corps dans l’esprit qui les accompagnera d’images, de couleurs, de sons, de vie tout simplement. Lire c’est mettre en action toute sa personnalité ! Le livre s’incarne dans le lecteur. D’où des souvenirs de lecture très forts qui accompagnent souvent pour la vie…

Comment transmettre le plaisir de la lecture ?

Est-ce possible ? Si la solution parfaite existait, ça se saurait ! Les pistes, par contre, sont assez nombreuses et en voici quelques-unes… L’exemple parental, l’initiation jeune, les professeurs de littérature qui accompagnent le jeune lecteur, des ouvrages variés mis à disposition des lecteurs…

Si les parents lisent avec plaisir cela ne transforme pas l’enfant en lecteur mais il perçoit qu’il y a là une source de bonheur. L’exemple est un élément positif mais pas infaillible. On voit aussi des jeunes rejeter temporairement leurs parents et, avec, leur passion des livres…

Il faut aussi accepter que chaque lecteur puisse avoir son propre jugement sur l’œuvre. C’est là que l’enseignant est en première ligne. Il doit accepter les différences de ressenti des lecteurs. Pourquoi devrions-nous tous tomber en pamoison devant les Fables de La Fontaine ou un roman de Proust. Il y a assez d’ouvrages dans la littérature pour que chacun puisse faire son petit marché. Pour cela, il faut quand même tester, aller au bout de certains ouvrages, se pousser à découvrir des auteurs plus difficiles… On aura ainsi des jeunes qui accepteront Vian et rejetteront Aragon, préfèreront Racine à Corneille, prendront plaisir avec Flaubert et dormirons bercés par Balzac… Et alors ? Est-ce un problème ? Non, c’est juste accepter que chaque homme est différent et libre… Oui, la lecture est une bonne école de citoyenneté !

Darius
avatar 02/02/2013 @ 14:43:08
comme j'ai deux ados, je me permets de donner quelques réflexions sur le sujet...

1. Tous deux m'ont vu lire depuis toujours.. Il ne sont pas du tout en bagarre avec moi, maus aucun des deux n'aiment lire.. les nouvelles technologies les passionnent bien plus, cela n'a rien à voir avec le fait de vouloir faire le contraire des parents..

2. Les professeurs, sachant sans doute que les ados n'accrochent plus aux bouquins, se décarcassent pour soi-disant trouver des sujets accrocheurs.. Et là, c'est le drame.. ma fille, par exemple avait le choix entre divers sujets : l'histoire d'un ado drogué, une autre qui se tapait tous les mecs, des histoires d'amour, des enfants fugueurs.. et j'en passe... bref, que du hard à cent lieues de ce qu'elle vivait...
J'ai vu que ma fille avait noté en bas de résumé : je ne me retrouve pas du tout dans ce type d'histoires... ce n'est pas mon monde... Finalement, j'étais rassurée..

Saint Jean-Baptiste 02/02/2013 @ 15:14:42


2. Les professeurs, sachant sans doute que les ados n'accrochent plus aux bouquins, se décarcassent pour soi-disant trouver des sujets accrocheurs.. .

Tu as tout à fait raison, Darius, et ta fille aussi. Ce qui se passe est abominable !
Les services du ministère de l'enseignement public a recommandé des livres d'une incroyable immoralité : ce sont des livres qui racontent des histoires de drogués, des tournantes de viol collectif, des suicides de jeunes, etc.
Les associations des parents ont rouspété mais vainement ! La ministre a fait savoir que c'était des histoires d'aujourd'hui qui intéresseraient les jeunes !

On se demande ce qui se passe en Belgique ! Non seulement on se moque des jeunes mais on dirait qu'on veut les pervertir ! Ou bien alors c'est cet égalitarisme de malheur qui veut que tout soit nivelé par le bas !?

Ce ministère est pourtant du parti conservateur de droite, l'ex parti Social Chrétien qui a perdu, en même temps, son nom, ses valeurs et son électorat et qui maintenant pratique un racolage éhonté.

Misère !

Numanuma
avatar 03/02/2013 @ 12:16:36
Je vous donne mon avis sur la question dans une dizaine d'année, quand Jules sera en âge d'entrer en guerre générationnelle avec ses vieux schnocks de parents qui lisent des livres^^

Fanou03
avatar 17/09/2014 @ 13:44:34
La "non-lecture" des adolescents est décidément un sujet délicat à appréhender. Loin des idées reçues, de récentes enquêtes semblent par exemple montrer que la génération des 15-24 ans lit plus que les autres générations, voir cet article de Rue89:

http://rue89.nouvelobs.com/rue89-culture/2014/…

L'article s'appuie sur l'étude "Les Français et la lecture" menée par le Centre national du livre, le Syndicat national de l’édition et Ipsos. Bien sûr l'enquête s'appuie sur des opinions déclaratives, donc toujours à prendre à précaution...

Lien direct vers l'étude :

http://centrenationaldulivre.fr/fichier/…

Radetsky 17/09/2014 @ 15:55:33
Je confirme pour mes filles. Elles ont toujours vu à la maison quelqu'un avec un livre en mains, télé éteinte, depuis toujours et le papier imprimé cache les murs... sans omettre certaines contraintes sans négociation possible (pas de jeux électromachins, d'horaires aberrants, d'esprit moutonnier dans les fréquentations, etc. etc) et avec un caractère de cochon et raisonneur comme chez elles, ça a marché ; mais ce sont des filles (Dieu merci !). Elles lisent donc (aujourd'hui 36 et 21 ans). Ceci n'est pas une preuve et une règle dans les effets constatés, hélas et ça ne marche pas pour tout le monde.

Tistou 17/09/2014 @ 16:42:44
La réflexion initiale de Shelton est très pertinente. Et j'y souscris pleinement : simplification de l'info pour être lu, réduction du rôle de l'imaginaire des images (ce qui est filmé, pour simplifier) par rapport à l'écrit ...
Rien à retirer et si j'y ajoute mon expérience personnelle : mes 3 garçons ne lisent pas. Du tout. (si, le dernier des magazines Auto !)

Kalie
avatar 17/09/2014 @ 18:55:21
Personnellement, mon goût de la lecture ne m'est pas venu de mes parents (ils ne lisaient pas par manque de temps car commerçants journées 4h00-20h00). Je crois moyennement à la transmission du goût de la lecture. Mes enfants ne lisent pas (7 et 10 ans). Pourtant, je leur propose des livres de leur âge et ils me voient souvent avec un livre à la main. Je pense que si j'ai beaucoup lu dès le plus jeune âge, c'est à cause de circonstances particulières. J'étais seul (fils unique) dans l'arrière boutique de mes parents et pas de TV, cassettes VHS, DVD, ni de jeux vidéos (années 70/80 oblige). La lecture était l'unique moyen de m'évader et de faire travailler mon imagination. Autre temps, autres loisirs...

Feint

avatar 17/09/2014 @ 19:02:52
Quand on observe le rapport à la lecture au sein d'une même fratrie, on constate souvent d'importantes disparités. Dans toutes les générations, d'ailleurs.

Mr.Smith

avatar 17/09/2014 @ 19:33:14
Voilà comment j'envisage la chose :
Nous n'estimons plus le savoir, comme les lumières par exemple le faisaient.
Certaines époques antérieures nous ont livré des hommes dont les travaux inlassable les a drapé d'un savoir inimaginable pour nous, hommes modernes.
Il était courant, pour les lettrés du XVIII ème siècle, de s'adonner autant à la pèche à la ligne qu'à l'histoire ou la géomètrie.
L'appréhension du monde, la soif de s'émerveiller chaque jour devant sa complexité, le regard intrigué sur l'altérité, furent pour ces hommes autant d'alluvions d'un courant irrésistible, inhérent à leur nature.

Le monde d'aujourd'hui nous échappe. Nombreux sont ceux qui ont renonçé à le comprendre. Tout est séparé, géographiquement, conceptuellement : de la création à l'achat en passant par la production. Nous maîtrisons des maillons si petits de ces longues chaînes qu'ils en deviennent insigifiants.
Je reprends Ivan Illich, qui expliquait qu'il nous était demandé de nous réinsérer constamment dans notre propre création.

Je vois là une des raisons du manque d'intérêt pour la lecture et le savoir en général. Une ouverture sur le monde restreinte à des cadres et des canaux étroits. Mercantiles.
Une remodélisation des synapses.

C'est une question en tout cas qui me passionne. J'en veux pour preuve ma réponse (documentée dans un futur proche) à Fanou : Les Français ont de toutes façons une orthographe moins bonne qu'il y a vingt ans. Je te retrouve les études et nous en reparlons.

AmauryWatremez

avatar 17/09/2014 @ 20:40:09
Elle portait un prénom de fée des romans des chevaliers de la Table Ronde bien que n'étant pas née à une époque romanesque et enchantée qui célébrerait l'amour courtois et les exploits héroïques et gratuits. Elle portait beaucoup de rêves cependant dans son cœur ne se passionnant guère pour les vedettes « kleenex » de la télé-réalité ou les chanteurs d'une saison ou deux qui ne créent rien, ne font que reprendre d'anciennes chansons.

Elle s'évadait et voyageait, comme tous les gosses inadaptés à leur époque, à la société hyper-matérialiste et égoïste, par la lecture, ce genre de gosses qui se réfugient dans les livres parce qu'ils ne sont pas très doués pour affronter la bêtise du monde qui n'est pas du tout fait pour les personnes intelligentes ou capables d'un peu plus de compréhension de ce qui les entoure.

Elle avait essayé de rire aux blagues sur le physique ou les habits des « réprouvés » de son lycée, les élèves marginalisés car trop différents des autres, trop sensibles, et « hors normes ». Pour ne pas être exclue des groupes de jeunes gens et de jeunes filles, elle enlevait ses lunettes qui l'aurait fait entrer dans le cercle « honteux » pour sa génération des « intellos » et mettait ses lentilles qui lui faisaient mal aux yeux. Elle n'avait rien pu faire pour la taille de son nez qu'elle trouvait trop grand. Elle avait voulu faire comme les autres mais cela lui avait profondément déplu, car ce n'était pas du tout dans sa nature gentille.

Et on ne peut pas forcer sa nature éternellement....

Elle avait un frère jumeau qui quant à lui se fichait éperdument d'être bien vu du sportif de sa classe ou des filles maladroitement maquillées vedettes de la cour, il savait très bien que les unes et les autres finiraient qui employé de banque derrière un morne guichet, qui coiffeuse ou démonstratrice de parfums, et que lui seul conserverait l'intégrité de ses rêves et des aspirations alors que ses anciens condisciples ne songeraient qu'à leur Plan Épargne Logement ou leurs prochaines RTT au camping de Palavas les Flots.

Parfois elle enviait son frère...

Elle allait souvent à la bibliothèque toute proche, on ne disait plus comme ça, aimer les livres passionnément n'était pas dans l'air du temps, mais pour elle c'était surtout les livres qu'elle y trouvait qui importaient et non les ordinateurs comme la plupart de ses camarades pour qui c'était des objets presque tabous.Elle aimait bien le bibliothécaire, elle voyait bien que lorsqu'il prenait son ton sévère pour imposer le silence, ou bien qu'il sortait une plaisanterie un peu caustique voire ironique, ce que ses camarades n'aimaient pas beaucoup, il avait envie de rire sous cape. En fait, elle reconnaissait un « frère d'armes » en quelque sorte, un de ces êtres blessés qui se cache en faisant le malin.

Il avait d'ailleurs compris que la fine mouche l'avait percé à jour et quand il faisait son numéro de méchant, il avait pour elle un petit regard entendu.

Elle empruntait souvent des livres. Elle aimait bien les histoires épiques et les romans sombres, qui ne se finissent pas toujours bien, parce que pour elle cela ressemblait plus à la vie, dans laquelle il y a rarement des fins heureuses. Elle lui avait demandé un jour ce qu'il lui conseillerait de lire. Il avait hésité un peu, et ensuite cela avait été comme s'il ouvrait les vannes de son envie de discuter, il était exalté par son sujet. Il l'avait presque noyée sous un flots de paroles, ce qui est un stratagème de timide, s'en apercevant et s'arrêtant soudain, un peu gêné, comme toutes les personnes qui répriment leur envie de partager leurs passions trop longtemps.

Il avait un peu rougi et avait prétexté de la présence derrière elle d'une autre personne venant emprunter un livre pour couper court à la conversation qui pourtant n'avait rien d'équivoque. Avant de partir, elle lui confia qu'elle écrivait aussi, il se ravisa et se retournant vers elle le visage illuminé lui dit que c'était normal pour un grand lecteur d'avoir un jour envie d'écrire et de coucher sur le papier ses propres mots.

Lorsqu'il fit venir un écrivain (un lien vers cette rencontre), elle était heureuse de rencontrer un adulte comme elle, ainsi que quelques autres élèves, les autres affectant de considérer en s'asseyant dans la salle autour de l'auteur présent que c'était surtout le moyen d'échapper à un cours bien ennuyeux. Celui-ci leur montra que la télévision et le cinéma racontaient maintenant des histoires qui étaient les mêmes depuis que l'homme s'était mis debout sur ses pattes arrière, que c'était surtout les manières de raconter qui changeaient tout, et que les feuilletons qu'ils regardaient empruntaient aux œuvres qu'on leur faisait étudier en cours.

Quant l'auteur avait demandé si des jeunes dans son public écrivaient, elle n'avait pas osé le dire, par peur des rires moqueurs des autres, qui pourtant étaient pris presque malgré eux par ce qu'ils entendaient, à tel point que lorsque le bibliothécaire rompit le silence après une dernière question, ils perçurent tous la qualité de ce silence dans lequel il y avait des rêves tout droit sortis des pages des livres qu'ils venaient tous d'évoquer...

Elle comprit que ce n'était pas facile d'être comme elle, d'aimer la littérature aussi profondément, mais que cela n'appartenait qu'à elle seule, et que les perspectives bien mornes qui animaient les aspirations de ses camarades ne seraient jamais les siennes. Pas parce qu'elle était meilleure, ou pire que les autres. Mais parce que c'était son trésor, un bien infiniment précieux.

Je pense souvent à elle, et je me dis qu'il n'est pas normal que des jeunes filles comme elle doivent cacher le fait qu'elles ont du cœur, et des rêves plus grands que la moyenne, que ce n'est pas juste...

Mais ainsi va hélas notre société moderne...

Windigo

avatar 18/09/2014 @ 04:03:03
Lorsqu'un ado de quinze ans va à la bibliothèque, et décide de lire un livre de Stephen King, et que la bibliothécaire en furie décide de le sermonner impitoyablement, sévèrement, parce qu'elle voudrait qu'il lise des livres pour enfant de cinq ans et moins, comment croyez-vous que le jeune va réagir ? Pour ma part, ça m'est arrivé, j'ai été dix ans sans retourner à la bibliothèque. J'avais carrément perdu l'intérêt de lire à cause de cette folle hystérique. Un conseil pour tous, que vous soyez enseignant, bibliothécaire, libraire, parent d'ado, laissez donc les jeunes lire ce qu'ils ont envie de lire.

AmauryWatremez

avatar 18/09/2014 @ 08:44:06
Je suis documentaliste en lycée, il n'y a plus guère que deux ou trois jeunes réellement lecteurs les autres viennent là pour le calme de l'endroit, ce qui n'est déjà pas mal

Tistou 18/09/2014 @ 09:33:24
Elle portait un prénom de fée des romans des chevaliers de la Table Ronde bien que n'étant pas née à une époque romanesque et enchantée qui célébrerait l'amour courtois et les exploits héroïques et gratuits. Elle portait beaucoup de rêves cependant dans son cœur ne se passionnant guère pour les vedettes « kleenex » de la télé-réalité ou les chanteurs d'une saison ou deux qui ne créent rien, ne font que reprendre d'anciennes chansons.

Elle s'évadait et voyageait, comme tous les gosses inadaptés à leur époque, à la société hyper-matérialiste et égoïste, par la lecture, ce genre de gosses qui se réfugient dans les livres parce qu'ils ne sont pas très doués pour affronter la bêtise du monde qui n'est pas du tout fait pour les personnes intelligentes ou capables d'un peu plus de compréhension de ce qui les entoure.

Elle avait essayé de rire aux blagues sur le physique ou les habits des « réprouvés » de son lycée, les élèves marginalisés car trop différents des autres, trop sensibles, et « hors normes ». Pour ne pas être exclue des groupes de jeunes gens et de jeunes filles, elle enlevait ses lunettes qui l'aurait fait entrer dans le cercle « honteux » pour sa génération des « intellos » et mettait ses lentilles qui lui faisaient mal aux yeux. Elle n'avait rien pu faire pour la taille de son nez qu'elle trouvait trop grand. Elle avait voulu faire comme les autres mais cela lui avait profondément déplu, car ce n'était pas du tout dans sa nature gentille.

Et on ne peut pas forcer sa nature éternellement....

Elle avait un frère jumeau qui quant à lui se fichait éperdument d'être bien vu du sportif de sa classe ou des filles maladroitement maquillées vedettes de la cour, il savait très bien que les unes et les autres finiraient qui employé de banque derrière un morne guichet, qui coiffeuse ou démonstratrice de parfums, et que lui seul conserverait l'intégrité de ses rêves et des aspirations alors que ses anciens condisciples ne songeraient qu'à leur Plan Épargne Logement ou leurs prochaines RTT au camping de Palavas les Flots.

Parfois elle enviait son frère...

Elle allait souvent à la bibliothèque toute proche, on ne disait plus comme ça, aimer les livres passionnément n'était pas dans l'air du temps, mais pour elle c'était surtout les livres qu'elle y trouvait qui importaient et non les ordinateurs comme la plupart de ses camarades pour qui c'était des objets presque tabous.Elle aimait bien le bibliothécaire, elle voyait bien que lorsqu'il prenait son ton sévère pour imposer le silence, ou bien qu'il sortait une plaisanterie un peu caustique voire ironique, ce que ses camarades n'aimaient pas beaucoup, il avait envie de rire sous cape. En fait, elle reconnaissait un « frère d'armes » en quelque sorte, un de ces êtres blessés qui se cache en faisant le malin.

Il avait d'ailleurs compris que la fine mouche l'avait percé à jour et quand il faisait son numéro de méchant, il avait pour elle un petit regard entendu.

Elle empruntait souvent des livres. Elle aimait bien les histoires épiques et les romans sombres, qui ne se finissent pas toujours bien, parce que pour elle cela ressemblait plus à la vie, dans laquelle il y a rarement des fins heureuses. Elle lui avait demandé un jour ce qu'il lui conseillerait de lire. Il avait hésité un peu, et ensuite cela avait été comme s'il ouvrait les vannes de son envie de discuter, il était exalté par son sujet. Il l'avait presque noyée sous un flots de paroles, ce qui est un stratagème de timide, s'en apercevant et s'arrêtant soudain, un peu gêné, comme toutes les personnes qui répriment leur envie de partager leurs passions trop longtemps.

Il avait un peu rougi et avait prétexté de la présence derrière elle d'une autre personne venant emprunter un livre pour couper court à la conversation qui pourtant n'avait rien d'équivoque. Avant de partir, elle lui confia qu'elle écrivait aussi, il se ravisa et se retournant vers elle le visage illuminé lui dit que c'était normal pour un grand lecteur d'avoir un jour envie d'écrire et de coucher sur le papier ses propres mots.

Lorsqu'il fit venir un écrivain (un lien vers cette rencontre), elle était heureuse de rencontrer un adulte comme elle, ainsi que quelques autres élèves, les autres affectant de considérer en s'asseyant dans la salle autour de l'auteur présent que c'était surtout le moyen d'échapper à un cours bien ennuyeux. Celui-ci leur montra que la télévision et le cinéma racontaient maintenant des histoires qui étaient les mêmes depuis que l'homme s'était mis debout sur ses pattes arrière, que c'était surtout les manières de raconter qui changeaient tout, et que les feuilletons qu'ils regardaient empruntaient aux œuvres qu'on leur faisait étudier en cours.

Quant l'auteur avait demandé si des jeunes dans son public écrivaient, elle n'avait pas osé le dire, par peur des rires moqueurs des autres, qui pourtant étaient pris presque malgré eux par ce qu'ils entendaient, à tel point que lorsque le bibliothécaire rompit le silence après une dernière question, ils perçurent tous la qualité de ce silence dans lequel il y avait des rêves tout droit sortis des pages des livres qu'ils venaient tous d'évoquer...

Elle comprit que ce n'était pas facile d'être comme elle, d'aimer la littérature aussi profondément, mais que cela n'appartenait qu'à elle seule, et que les perspectives bien mornes qui animaient les aspirations de ses camarades ne seraient jamais les siennes. Pas parce qu'elle était meilleure, ou pire que les autres. Mais parce que c'était son trésor, un bien infiniment précieux.

Je pense souvent à elle, et je me dis qu'il n'est pas normal que des jeunes filles comme elle doivent cacher le fait qu'elles ont du cœur, et des rêves plus grands que la moyenne, que ce n'est pas juste...

Mais ainsi va hélas notre société moderne...


Joli.

AmauryWatremez

avatar 18/09/2014 @ 13:08:58
Et vrai, je pense encore souvent à elle, ce que je raconte était il y a deux ans

AmauryWatremez

avatar 18/09/2014 @ 13:27:13
l'auteur dont je parle est Jérôme Leroy

Donatien
avatar 18/09/2014 @ 17:45:44
Bravo Amaury, belle défense de la lecture et de ceux qui osent encore la partager!
Un vieux timide.
A+

Fanou03
avatar 24/09/2014 @ 12:01:48
Pour compléter ces réflexions sur la lecture chez les adolescents:

http://campus.lemonde.fr/campus/article/…

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