Myrco

avatar 23/01/2013 @ 19:30:52
Ma réponse s'adressait évidemment à Aria que j'aurais dû citer.

Saule

avatar 03/02/2013 @ 21:28:43
"He was balancing himself on the dashboard of his car with that resourcefulness of movement that is so peculiarly American—that comes, I suppose, with the absence of lifting work or rigid sitting in youth and, even more, with the formless grace of our nervous, sporadic games. This quality was continually breaking through his punctilious manner in the shape of restlessness.

He was never quite still; there was always a tapping foot somewhere or the impatient opening and closing of a hand."

Traduction de Jaworski

Il se tenait en équilibre sur le marchepied de sa voiture avec cette aisance de mouvement si typiquement américaine, qui vient, je suppose, de ce que nous n'avons pas eu à soulever des fardeaux pendant nos jeunes années, et, plus encore, de la grâce élastique inhérente à nos sports nerveux et intermittents. Cette qualité se laissait toujours deviner dans ses manières cérémonieuses, sous la forme d'une fébrilité permanente. Il n'était jamais parfaitement tranquille : on lui voyait toujours un pied qui tapait contre quelque chose, une main nerveuse qui s'ouvrait et se fermait.

Bonne traduction je trouve. C'est le genre de phrase qui m'a donné du mal dans la version originale (dashboard of his car ? Je ne situais pas du tout la scène, dashboard ne m'évoquant rien d'autre que l'équivalent français)

Mais j'ai largement préféré lire la version originale que la traduction, en fait je n'ai utilisé la traduction que quand le sens d'une phrase ou d'un passage m'échappait (je n'aime pas utiliser le dictionnaire, ça casse la lecture).

Je suis complètement conquis par cette lecture par ailleurs, je trouve les évocations et les atmosphères incroyablement bien rendues et le langage vraiment très riche et imagé.

Saule

avatar 03/02/2013 @ 22:08:12
La fin du chaptre 1, quand le narrateur voit son voisin Gatsby pour la première fois

"The wind had blown off, leaving a loud, bright night, with wings beating in the trees and a persistent organ sound as the full bellows of the earth blew the frogs full of life. The silhouette of a moving cat wavered across the moonlight, and turning my head to watch it, I saw that I was not alone-fifty feet away a figure had emerged from the shadow of my neighbor's mansion and was standing with his hands in his pockets regarding the silver pepper of the stars. Something in his leisurely movements and the secure position of his feet upon the lawn suggested that it was Mr. Gatsby himself, come out to determine what share was his of our local heavens.

I decided to call to him. Miss Baker had mentioned him at dinner, and that would do for an introduction. But I didn't call to him, for he gave a sudden intimation that he was content to be alone-he stretched out his arms toward the dark water in a curious way, and, far as I was from him, I could have sworn he was trembling. Involuntarily I glanced seaward-and distinguished nothing except a single green light, minute and far away, that might have been the end of a dock. When I looked once more for Gatsby he had vanished, and I was alone again in the unquiet darkness"

Et la traduction

Le vent était tombé, laissant dans son sillage une nuit lumineuse et sonore, avec des battements d'ailes dans les arbres et une musique d'orgue continue - la formidable soufflerie de la terre qui gonflait jusqu'au paroxysme le choeur des crapauds. La silhouette d'un chat en maraude vacilla dans le clair de lune et, tournant la tête pour l'observer, je vis que je n'étais pas seul : à moins de vingt mètres de moi, une forme avait surgi de l'ombre dans la demeure de mon voisin et, les mains dans les poches, contemplait la poussière argentée des étoiles. Quelque chose dans son attitude nonchalante et l'assurance avec laquelle il était planté sur la pelouse me donnèrent à penser que c'était Mr Gatsby en personne, venu déterminer la part qui lui était dévolue de notre bout de ciel local.

Je décidais de l'appeler. Miss Baker avait parlé de lui au cours du dîner, et cela constituait une bonne entrée en matière. Mais je m'abstins, car son attitude, soudain, suggéra qu'il souhaitait être seul : il étendait les bras vers l'eau ténébreuse en un geste curieux et, malgré la distance qui nous séparait, j'aurais juré qu'il tremblait. involontairement, j'ai regardé en direction du large, sans pouvoir rien distinguer sinon une unique et minuscule lumière verte, très loin, qui aurait pu aussi bien marquer l’extrémité d'une jetée. Lorsque j'ai cherché de nouveau Gatsby du regard, il avait disparu, et je me suis retrouvé seul dans la nuit turbulente.

A nouveau la traduction est bonne je trouve, dommage qu'il passe de l'imparfait au passé simple puis au passé composé. Il aurait pu garder l'imparfait. Aussi la "la nuit turbulente" n'évoque pas grand chose, je préfère la "unquiet darkeness" orginale. Pour le "the full bellows of the earth blew the frogs full of life", c'est une image bizarre, je suis incapable de dire si c'est bien traduit. Il faudrait comparer avec les autres traductions.

Par rapport à ce qu'on disait plus haut, "Pauvre bougre" rend bien "Son-of-a-bitch" dans le contexte. Par contre Gatsby a une expression récurrente, "old sport", traduite par "mon vieux", ce qui perd un peu de la saveur.

Je vais me procurer la traduction plus moderne.

Numanuma
avatar 03/02/2013 @ 23:26:15
C'est étrange cette traduction de "son of a bitch" qui est pourtant d'une compréhension aisée, à l'inverse du super usité "fuck" qui, pour le coup, est sujet à des dizaines d'interprétations possibles.

SOB est quand même bien éloigné d'"enfoiré", qui signifie "plein de merde" si je ne me trompe ou de "connard".

Saule

avatar 04/02/2013 @ 14:19:38
Oui, mais dans le contexte, le "son of a bitch" est dit de manière amicale, ça correspond tout à fait à pauvre bougre dans la bouche du personnage à ce moment de l'histoire (je ne dis pas le contexte exact, pour ne pas révéler quelque chose).

Numanuma
avatar 04/02/2013 @ 17:54:18
Oui, je le comprends parfaitement. Mais c'est juste frappant. Le petit Français lira Shakespeare dans une langue (plus ou moins) moderne et le petit Anglais le lira dans une langue archaïque. Et vice versa pour Rabelais.


Je me souviens que pendant mes études j'ai lu le Songe d'une nuit d'été, une page traduite, une page en anglais. Pour les lecteurs de langue maternelle anglaise, c'était aussi ardu que pour moi devant Rabelais.

Aria
avatar 20/07/2013 @ 00:46:46
En relisant cette discussion, je me souviens d'avoir longuement discuté avec mon libraire et deux clients différents du choix de traduire "The Great Gatsby par simplement "Gatsby".

Cela ne nous gênait pas plus que ça !
Pour beaucoup de livres dans des langues qu e je ne connais pas, mais avec des ressemblances avec l'allemand par exemple, (norvégien, danois),le traducteur s'éloigne un peu du titre d'origine, pour ce qu'il me semble.

Il nous est facile, à la plupart d'entre nous, d'avoir un avis sur les traductions d'un titre, de certains mots... d'anglais en français.
Il me semble, bien que j'aie beaucoup oublié l'anglais, en tout cas je comprends mal l'américain où de nombreux mots d'argot sont utilisés, que la traduction en français améliore souvent grandement le texte (c'est le cas pour "Therapy" de David Lodge).

J'ai lu "Thoughts" du même David Lodge en anglais. Le livre est excellent mais Lodge en a travaillé le texte. Ca se sent. En tout cas plus que pour "Therapy" où Lodge prête au couple de héros du livre des échanges verbaux truffés de grossièretés.
Il s'agit d'un couple banal. Dans "Thoughts", il s'agit d'un couple d'universitaires, dont les échanges sont très châtiés. Que des phrases intelligentes, des conversations entre le mari et sa maîtresse, universitaire elle aussi, fines.
En français, c'est aussi un très bon livre, qui a quelque chose de la philosophie bouddhiste.

Saint Jean-Baptiste 20/07/2013 @ 11:08:29
Maintenant que j'ai lu Gatsby le Magnifique, je trouve que « pauvre bougre » est la traduction parfaite de "Son-of-a-bitch". C'est une expression affectueuse qui convient tout à fait au personnage en la circonstance.
Enfoiré, pauv' type, idiot, ne conviennent pas du tout, ce sont des insultes. Et encore moins fils de pute !

Pour Numanuma « enfoiré » ne veut pas dire « plein de merde » ; où as-tu été chercher ça ? Ca veut dire : qui joue dans une foire ou qui ressemble à un personnage de foire. Dans l'esprit de Coluche ça s'appliquait parfaitement aux policiers.

Myrco

avatar 20/07/2013 @ 14:15:23
@SJB
Maintenant que je l'ai lu aussi (ce qui n'était pas le cas à l'époque de l'échange)je suis tout à fait d'accord avec ton premier paragraphe ."Pauvre enfoiré" aurait peut_être convenu dans un autre contexte mais sûrement pas ici.Pour moi c'est une insulte,mais à vrai dire je n'en connais pas l'origine.

Myrco

avatar 20/07/2013 @ 15:07:05
Comme je suis toujours curieuse de l'origine de certaines expressions ,je suis allée faire mes petites recherches sur Internet et ailleurs.
Numanuma n'avait pas tort du tout .A l'origine "enfoiré" dérive de "foire" terme vulgaire pour désigner effectivement la merde.
(appelons un chat un chat).Dans le Petit Robert ,on trouve comme définition "souillé d'excréments" en n°1;par la suite cela n'a plus été utilisé dans ce sens mais comme une insulte signifiant "maladroit","bon à rien" ,voire "salaud".

Depuis Coluche,il semble que ce terme (comme d'autres expressions injurieuses)puisse s'utiliser sans cette connotation injurieuse dans le vocabulaire des jeunes des quartiers ,vocabulaire que l'humoriste s'était approprié.
Un exemple ,cet échange anodin entre deux potes des quartiers qui se rencontrent:
-"Tiens c'est Kader ,comment tu vas salope?"
-"J'temmerde fils de pute ! Et toi ,enfoiré,çà gaze?"
Source:"Le dictionnaire de la zone".

Eh oui mon pauvre SJB,nous sommes complètement dépassés !!

Il n'en reste pas moins que le souci de modernité ne justifie pas cette traduction dans un roman dont le contexte social n'a rien à voir avec celui de la zone!

Saint Jean-Baptiste 22/07/2013 @ 15:53:21


Eh oui mon pauvre SJB,nous sommes complètement dépassés !!

Hé oui ! ma chère Myrco, tu l'as dit, nous sommes complètement dépassés...;-))

Et mes excuses à Numanuma, pour la signification de « enfoiré ». Heureusement que Coluche ne connaissait pas non plus le sens exacte de cette expression !

Aria
avatar 23/07/2013 @ 17:23:54
Ben si !

Coluche connaissait sûrement le sens de l'expression. Mais c'était loin d'être un enfant de choeur !
Vous le croyez plus bête qu'il n'était.

Ce n'est pas que vous êtes "dépassés", c'est que vous n'avez jamais parlé grossièrement.

Maintenant, quand vous dites les 5 lettres (M....), vous savez bien ce que cela veut dire ! Mais je suis sûre que vous n'employez jamais ce mot !

Aria
avatar 23/07/2013 @ 17:30:16
C'est étrange cette traduction de "son of a bitch" qui est pourtant d'une compréhension aisée, à l'inverse du super usité "fuck" qui, pour le coup, est sujet à des dizaines d'interprétations possibles.

SOB est quand même bien éloigné d'"enfoiré", qui signifie "plein de merde" si je ne me trompe ou de "connard".

"Son of a bitch" est couramment employé par les personnages d' Hemingway. Cela veut vraiment dire, comme littéralement " fils de chienne". Y a pas à tortiller.

Et les Espagnols pour qui insulter sa mère est une chose inacceptable, utilisaient couramment (je dis bien "utilisaient", ce qui est pire, car il s'agit de la Vierge) l'expression "Hijo de la Gran Puta".

Arundhati
avatar 25/07/2013 @ 16:47:18
Au vu des extraits présentés, j'irais sans hésiter également vers la version de Wolkenstein.
Le drame de certaines traductions, c'est de faire d'un auteur à la langue simple et efficace un dandy aux expressions ampoulées.
Ce qui est plus ancien (je parle de la traduction) n'est pas forcément meilleur.
On peut se rappeler de l'effroi de Milan Kundera quand il fut capable de lire ses propres livres en version française...

Murasaki 14/08/2013 @ 01:37:58
Bonjour,
voilà quelques remarques que m'inspirent certains commentaires sur les traductions de The Great Gatsby, "Le Grand Gatsby".

La traduction de Wolkenstein est certes fluide et comporte de bonnes trouvailles par endroits, mais elle est souvent très éloignée du texte et truffée de contresens. Le phrasé de Fitzgerald est très particulier pour un lecteur anglophone et n'est pas spécialement fluide; il pousse la syntaxe anglaise dans ses retranchements, si l'on peut dire; il n'a rien de naturel. La traduction de Wolkenstein peut plaire quand on ne connaît pas le texte.
Pour "poor son-of-a-bitch", il s'agit d'un contresens. Je me suis renseigné auprès de plusieurs anglophones, notamment des professeurs de littérature américaine qui connaissaient bien le roman. Il est employé deux fois dans le roman. Au chapitre VII, qui évoque l'accident dont est victime Myrtle, il veut bien dire "salaud", "enfoiré", car il s'applique au conducteur qui a fuit après l'accident; mais au chapitre IX, qui évoque l'enterrement de Gatsby, il est employé en un sens très atténué, pour marquer la pitié du locuteur, et , comme me l'ont confirmé tous mes interlocuteurs anglophones (aucun n'a souscrit à l'interprétation retenue par W., malgré tous mes efforts pour les en convaincre), correspond bien à "pauvre bougre". Ce n'est que dans un second temps que l'expression peut surprendre et constitue une étrange épigraphe pour Gatsby.
Je n'ai pas la traduction de W. sous la main, car je suis en vacances, mais j'ai pu observer plus de 60 à 70 faux sens ou contresens par chapitre, sans parler des omissions. Par exemple, au chapitre III:

"She had a fight with a man who says he’s her husband,” explained a girl at my elbow."

Cette phrase signifie:
Elle s’est disputée avec un homme qui dit qu’il est son mari, expliqua une jeune fille qui se trouvait à côté de moi.

W. traduit "explained at my elbow" par quelque chose comme "en parlant à mon coude"! Au chapitre V, je cite toujours de mémoire, le mot "chin" dans la phrase suivante:

"Then he sat down, rigidly, his elbow on the arm of the sofa and his chin in his hand (Puis il s’assit, avec raideur, le coude sur le bras du sofa et le menton dans la main)"

est traduit par "genou", si je me souviens bien!
Ces fautes pourraient passer pour de simples étourderies bien excusables, s'il n'y en avait pas tant d'autres à chaque page.
En ce qui concerne les phrases suivantes:

"There was music from my neighbor’s house through the summer nights. In his blue gardens men and girls came and went like moths among the whisperings and the champagne and the stars (On entendait de la musique chez mon voisin jusqu’au matin les nuits d’été. Dans ses jardins bleus, des hommes et des jeunes femmes allaient et venaient comme des papillons de nuit parmi les chuchotements et le champagne et les étoiles)"

il n'est pas indispensable de traduire "moths", terme assez courant en anglais (il suffit de consulter google pour le vérifier) par "phalènes", terme assez rare et mystérieux pour un lecteur français. L'adjectif "blue" est à conserver; il s'inscrit dans la symbolique des couleurs qui parcourt tout le livre. Le bleu symbolise le désespoir, mais aussi les illusions de Gatsby, ses rêveries romantiques, un idéal inaccessible, la vaine agitation, l’instabilité, l’inquiétude.
En ce qui concerne le titre, Fitzgerald a lui-même beaucoup hésité. Personnellement, le choix de W. ne me dérange pas. Elle s'appuie sur un article de Michel Viel, l'un des traducteurs du livre dont tous les traducteurs actuels s'inspirent beaucoup, notamment Jaworski (les ressemblances sont frappantes quand on compare les traductions, phrase par phrase, comme je l'ai fait), même si aucun ne le cite. Ce qui est vrai, c'est que dans le dernier chapitre, le père de Gatsby déclare, après la mort de son fils:

"If he'd of lived, he'd of been a great man (S’il avait vécu, il serait devenu un grand homme)".

Il faudrait donc conserver "grand", qui s'accorde du reste aux rêves de grandeur de Gatsby. On dit bien "Le Grand Maulne", même si le sens de l'adjectif est différent. Le titre "Gatsby le magnifique" est très beau, mais inexact.
Quant à "old sport", c'est une expression désuète et faussement aristocratique destinée à donner l’impression que Gatsby a été élève dans une université prestigieuse, comme celles d’Oxford ; « old sport » a désigné vers 1861 des « hommes chics », liés au monde des parieurs. Le sens de « chic type » est attesté à partir de 1881. Fitzgerald l’aurait empruntée à un certain Max Gerlach, l’un de ses voisins à Long Island, bootlegger à cette époque, mort en 1958, qui approvisionnait Fitzgerald en alcool et prétendait avoir des ancêtres allemands. La traduction la plus adéquate semble être "vieille branche".
"Unquiet darkness" à la fin du chapitre I ne signifie pas "nuit turbulente" mais "ténèbres inquiètes".
Le paragraphe suivant:

"He was balancing himself on the dashboard of his car with that resourcefulness of movement that is so peculiarly American—that comes, I suppose, with the absence of lifting work or rigid sitting in youth and, even more, with the formless grace of our nervous, sporadic games. This quality was continually breaking through his punctilious manner in the shape of restlessness. He was never quite still; there was always a tapping foot somewhere or the impatient opening and closing of a hand"

est assez complexe et difficile à rendre. J'ai dû interroger plusieurs professeurs de littératures américaines (anglophones) pour en comprendre le sens. Je précise qu'ils étaient tous d'accord sur son interprétation, ce qui n'est pas toujours le cas. Il signifie:

"Il se tenait en équilibre sur le tableau de bord de sa voiture, avec cette agilité fébrile dans les mouvement qui est si particulière aux Américains et qui provient, je suppose, du fait que nous n’avons pas à soulever de fardeaux ni à rester assis tout raides dans notre jeunesse et, plus encore, de la grâce naturelle de ces sports nerveux et instinctifs que nous pratiquons. Cette caractéristique transparaissait sans cesse dans ses manières guindées sous la forme d’une agitation constante. Il ne restait jamais complètement immobile ; il avait toujours un pied qui tapait contre quelque chose ou une main qui s’ouvrait et se fermait avec impatience."

La voiture est décapotable, donc Gatsby peut s’asseoir sur le tableau de bord. Il est inutile de traduire "dashboard" par « marchepied », comme s’il y avait « running board » (comme le prétend Nabokov). Les termes "formless" et "sporadic" sont particulièrement durs à comprendre pour un non-anglophone. Le narrateur fait allusion à des sports comme le baseball, le golf, le tennis, le football américain, où il faut s’adapter à chaque instant à des situations inattendues, contrairement aux sports aristocratiques et traditionnels, plus codés, ce qui crée une tension palpable, une attente pleine d’impatience ou d’appréhension. Gatsby est sur le point d’atteindre son rêve et ressemble à un batteur, au baseball, qui attend qu’on lance la balle. D’où sa nervosité. Gatsby est à la fois prêt à agir et nerveux. La traduction de Jaworski, citée par Saule ("la grâce élastique inhérente à nos sports nerveux et intermittents"), ne signifie rien ("grâce naturelle" et non "élastique", "sports instinctifs" et non "intermittents").
De toutes les traductions publiées, celle de Jaworski est la plus juste, même si elle reste très insatisfaisante sur de nombreux points et contient près d'un contresens ou faux sens grave par page, ce qui est loin du record de Wolkenstein (6 à 7 en moyenne). Elle doit beaucoup à celle de Michel Viel, selon moi, bien que le traducteur prétende ne pas avoir lu les autres traductions (dans ce cas il faudrait qu'il explique les nombreuses similitudes, dont certains contresens repris littéralement). Celle de Wolkenstein plaira beaucoup à ceux qui n'aimeraient pas le style de Fitzgerald, aux antipodes du sien, et qui ignorent la subtilité et l'incroyable intelligence de l'auteur.

Saule

avatar 14/08/2013 @ 09:38:42
Très intéressant, je regrette de n'avoir pas lu plusieurs traductions en parallèle pour les comparer comme tu fais.

Pour "dashboard", ça cloche de traduire par tableau de bord. Dans mon "Oxford advanced learner's dictionary of current english" (dictionnaire en anglais simple, pour apprendre la langue : je conseille), je crois comprendre que le sens premier de "dashboard" est garde-boue ce qui corresponds tout à fait : autant je n'imagine pas Gatsby assis nerveusement sur son tableau de bord autant ça marche bien avec garde-boue (sur ces anciennes voitures du moins)

Je crois que sporadic est facile est comprendre pour un francophone car, toujours d'après mon dico, c'est la même chose que sporadique ("occuring, seen, only here and there or occasionally"). Idem pour "formless" qui veut dire sans forme. Je trouve que tu expliques très bien le sens tel qu'il s'applique à Gatsby et aux sports "modernes", ça semble très bien vu. Mais je ne suis pas sur que ce soit un problème de traduction : ce que tu fais ressortir doit être aussi difficile à appréhender pour le lecteur anglais que pour nous.

En fait il aurait fallu un autre auteur pour traduire ce texte. Quelqu'un comme Nabokov (je crois qu'il écrivait en français), il me semble qu'il est mentionné dans ce fil, aurait été idéal.

Myrco

avatar 14/08/2013 @ 19:30:37
Effectivement, très très intéressante cette intervention de Murasaki, qui discrédite en tout cas totalement la version Wolkenstein.Sans vouloir l'offenser, Aria devrait lire çà.

Murasaki 15/08/2013 @ 00:06:33
L'interprétation que je donne de dashboard est celle d'un spécialiste américain de Gatsby qui a mis au point la version la plus exacte du texte. Dans le Oxford Advanced Learner's Dictionary en ligne, je ne trouve que cette définition: the part of a car in front of the driver that has instruments and controls in it. Le sens de "garde-boue", d'après tous les dictionnaires que j'ai pu consulter, ne s'applique qu'à des véhicules tirés par des chevaux. C'est pourquoi Nabokov considérait que Fitzgerald s'était trompé et avait mis dashboard en pensant à running board, marchepied. Le mot que Fitzgerald utilise pour garde-boue ou aile (les deux sens coexistent à son époque) est tender. On le trouve deux fois dans Gatsby (chapitres 3 et 8).
J'ai pu comparer 37 traductions de Gatsby en 9 langues, la plupart publiées depuis 2011, date à laquelle les droits d'auteur sont tombés dans le domaine public. Aucune n'est fiable, indépendamment même des choix propres à chaque langue et de la sensibilité du traducteur. Il faut beaucoup de temps pour vérifier chaque point et les traducteurs ont des délais à respecter; ils traduisent plusieurs livres à la fois. Ce n'est pas le cas de W. qui n'est pas traductrice, mais prof de littérature comparée à la fac; vue le nombre incalculable d'erreurs qu'elle commet, je m'interroge sur la pertinence de ses cours quand il s'agit d'auteurs en langue anglaise. J'ai passé 7 mois à poser des questions à quantité d'anglophones pour arriver à comprendre la plupart des nuances, sans parler de la lecture des ouvrages critiques. Le premier traducteur de Gatsby, Victor Llona, était péruvien d'origine; sa façon de traduire me rappelle beaucoup celle des hispanophones, qui collent au texte, à tel point que ça ne veut rien dire parfois. Il fréquentait James Joyce, Fitzgerald, Hemingway, entre autres; parfois, il comprend très bien le texte, mais très souvent sa traduction n'est qu'un calque dépourvu de sens.

Saint Jean-Baptiste 15/08/2013 @ 12:50:27
Très intéressant, Murasaki, ces considérations ! Ça valorise encore le livre, si besoin était. C'est dommage qu'on ne puisse lire Fitzgerald dans le texte – enfin moi – ce doit être une écriture très particulière.

Personnellement je vois très bien Gatsby assis sur son tableau de bord. C'était une décapotable et, à cette époque, les tableaux de bord étaient de vrais petites tablettes où les passagères s’asseyaient volontiers pour se faire voir quand la voiture roulait au ralenti et le chauffeur pouvait très bien s'y asseoir aussi quand la voiture était à l'arrêt.

Murasaki 16/08/2013 @ 00:42:59
Merci pour cette précision Saint Jean-Baptiste.
NB j'ai écrit "tender" par erreur pour "fender" à propos du mot anglais pour "garde-boue".

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